Crucifix, pieu, lumière du jour, feu, eau vive (ou bénite), ail : les moyens d’éloigner ou de détruire un vampire sont légion, suffisamment pour éclipser ses propres pouvoirs. Les faiblesses de cette créature mythifiée par l’écrivain Bram Stoker font d’ailleurs tout le sel des films de vampire. On se demande souvent à quelle sauce va être dégustée la « mort » du prince de la nuit. Et puisqu’un bon vampire est un vampire mort, autant que son trépas soit spectaculaire. Et quoi de plus spectaculaire que de mourir en livrant un combat dantesque face à son ennemi de toujours ? Les meilleurs films de vampire ont d’ailleurs une Némésis (souvent incarnée par le Professeur Van Helsing) à la hauteur du monstre buveur de sang.
Ce dernier a tellement travaillé l’esprit des cinéastes que le nombre de films de vampires dépasse aujourd’hui les 300 et fait de la créature de la nuit l’un des mythes les plus traités au cinéma ! On comprendra aisément qu’il faille nécessairement séparer le bon grain de l’ivraie pour tenter de faire un état des lieux car, bien évidemment, ces films ne sont pas tous dignes d’intérêt. Et si, pour être réussi, le style et la photographie (à même de gérer, entre autres, les flux d’hémoglobine) de ce genre de film sont prépondérants, la musique est souvent un élément moteur. Qu’elle soit symphonique ou synthétique, tonale ou atonale, la musique du film de vampire est, comme la créature maléfique, à la fois, séductrice et terrifiante…
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#1 – L’éveil du vampire (1910-1950)
#2 – La révolution Hammer (1950-1970)
#3 – De vampire en pire (1970-1980)
#4 – Le vampire est derrière nous (1980-2000)
#5 – Le (vam)pire est à craindre (2000-2017)
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Alors que le film de vampire devient une manne pour les producteurs de tout poil et qu’il s’expatrie à nouveau en dehors des Etats-Unis (on peut citer le peu connu Dracula Istambula de Mehmet Muthar en 1953), il faut attendre 1957 et Roger Corman, le pape du film fauché, pour voir le mythe du vampire se donner à lui-même un bon coup de fouet avec Not Of This Earth, sur un scénario bigrement alambiqué : pour sauver sa race menacée de mort, un extraterrestre se doit de trouver du sang en grande quantité. Il est aidé par une sorte de pieuvre volante (!) qui aspire le sang des humains. La musique du film est écrite par Leigh Harline, qui illustrera musicalement encore quelques productions Corman, et restera surtout connu pour avoir écrit des musiques avec peu de moyens, le poussant à des expérimentations sonores inhabituelles.
Le cinéma américain délaisse pour un temps le vampirisme, et c’est au tour du cinéma européen de s’engouffrer dans la brèche. Entre alors en piste le fameux studio Hammer, fondé en 1934 et qui vivote doucement jusqu’ici en produisant de petites comédies et quelques thrillers de seconde zone. Terence Fisher, réalisateur fécond et attitré du studio, met en scène en 1958 ce qui est considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs films de vampire : Horror Of Dracula (Le Cauchemar de Dracula). Le scénario s’écarte plus ou moins de l’histoire originale de Bram Stoker et met en vedette Christopher Lee (qui portera la cape de Dracula à huit reprises pour le compte de la Hammer) et Peter Cushing (en indéfectible professeur Van Helsing).
La musique est confiée à James Bernard, qui deviendra l’un des fers de lance du département musique du studio. Bernard s’inspire des trois syllabes de Dra-cu-la pour écrire un motif de trois notes porté par les cuivres de l’orchestre. Le générique, où un plan fixe nous présente une gargouille de pierre (pas de quoi s’extasier outre-mesure, donc), tétanise par sa puissance musicale et son thème maléfique. Le spectateur, qui n’est ainsi pas distrait par le visuel, a tout loisir d’appréhender le thème qui viendra épauler chaque apparition du comte. Silva Screen éditera en 1992 un CD intitulé The Horror Of Dracula sur lequel on retrouve non seulement le fameux thème du film (réenregistré en 1989 avec Neil Richardson à la baguette) mais également, entre autres morceaux, une suite de plus de 18 minutes où Christopher Lee narre, de sa voix grave si caractéristique, une sorte de résumé de l’œuvre de Stoker soutenue par la musique de James Bernard.
La Hammer se lance alors dans une course folle à la production de films d’horreur qui doivent respecter un cahier des charges relativement balisé : de l’épouvante, du suspens, du sang et un peu d’érotisme, mélange qui choqua plus la critique et les bien-pensants de l’époque que le public, qui vient voir en masse ces films où l’on peut frissonner de plaisir et de frayeur. Dans The Brides Of Dracula (Les Maitresses de Dracula), tourné en 1960 sous la direction de Terence Fisher, une voix off nous indique que Dracula est mort (exit Christopher Lee donc), mais que ses disciples sont bien vivants et continuent de boire le sang de leurs victimes. La partition n’a pas été ici déléguée à James Bernard mais à Malcolm Williamson qui s’évertue à reproduire le son du film de 1958 sans en atteindre l’impact. Le film met en vedette la magnifique Yvonne Monlaur (qui interprète son rôle avec conviction et un délicieux french accent qui lui est natif) et Peter Cushing (en Professeur Van Helsing).
James Bernard revient en 1963 avec une partition absolument envoutante et vénéneuse pour Kiss Of The Vampire (Le Baiser du Vampire) dont il tire une rhapsodie pour piano et orchestre, à mi-chemin entre Liszt et Rachmaninov, d’une classe et d’une puissance incroyables. La partition entière n’a jamais connu les honneurs d’une édition complète, mais on peut écouter un réenregistrement de cette rhapsodie sur l’édition de The Devil Rides Out qui se consacre aux musiques du compositeur britannique. Le roi des non-morts, Dracula, en l’occurence Christopher Lee, revient également sur les écrans en 1965 dans Dracula, Prince Of Darkness (Dracula Prince des Ténèbres). La musique, toujours de la main de James Bernard, reprend les montées chromatiques de l’orchestre qui ont tant réussi au chef d’œuvre de 1958, mais va plus loin en introduisant un peu plus de contenu mélodique. On peut ainsi écouter une marche funèbre (Funeral In Carpathia) sur le disque de Horror Of Dracula dans toute la splendeur d’un réenregistrement fort bien venu.
Dracula Has Risen From The Grave (Dracula et les Femmes), tourné en 1968 avec la sublime Veronica Carlson saboulée par un Christopher Lee toujours vigoureux, et un an plus tard Taste The Blood Of Dracula (Une Messe pour Dracula) permettent à James Bernard de continuer à développer la mythologie musicale de Dracula. On y entend toujours le fameux motif de trois notes (avec de subtiles variations) qui atteste de la présence du diabolique Comte. Si le premier n’a pas été édité en CD, le second est lui sorti chez GDI Records. On peut y entendre la musique de Bernard en dehors de son support visuel et savourer les cuivres grondants, les timbales qui se démènent et les cordes qui se tendent dans l’action. Le compositeur produit à cette occasion un Opening Credits d’une douceur un peu déconcertante, mais qui ravit nos oreilles avec sa mélodie à la flûte traversière d’une candeur charmante.
En 1964, The Last Man On Earth (Je suis une Légende) permet au cinéma américain de revisiter le mythe. Basé sur une nouvelle du génial Richard Matheson, le scénario présente Vincent Price en dernier humain encore vivant sur une Terre envahie de « vampires zombifiés » qui ne se montrent qu’à la nuit tombée. La musique de Paul Sawtell et Bert Shefter n’a rien de révolutionnaire mais est composée avec soin. Les deux compères ont recours à un orchestre conventionnel, et dès lors les cuivres et les cordes se taillent la part du lion sans pour autant ôter toute subtilité (comme l’emploi d’un glissandi de harpe pour évoquer le passage des saisons).
Le vampire de 1967 se présente sous le signe de l’irrévérence avec The Fearless Vampire Killers (Le Bal des Vampires). Roman Polanski se moque ici des films de vampires et principalement ceux de la Hammer. Son compositeur attitré, le polonais Krzysztof Komeda, utilise une combinaison assez ironique de petite formation orchestrale (clavecin, contrebasse…) et de voix fantomatiques. L’effet, parfois complètement décalé, mais aussi fort bien vu (le film jouant à la fois la carte de la satyre et celle de la séduction) est à dessein assez surprenant.
Le cinéma mexicain s’approprie lui aussi le mythe du vampire à la fin de la décennie 1950 avec El Vampiro (Les Proies du Vampire) et El Ataud del Vampiro (Le Retour du Vampire) réalisés tout deux par Fernando Mendez et dont la musique (éditée en LP en 2010) est signée Gustavo César Carrión. La télévision, qui s’invite de plus en plus dans les foyers américains dans les années 60, s’approprie une part du gâteau vampirique avec la diffusion à partir de 1966 de la série Dark Shadows. Un double CD, limité à 1000 exemplaires, sorti en 2010 sous le label Counterpoint, récapitule les meilleurs morceaux du compositeur Robert Cobert.
Mais c’est en Italie qu’il faut chercher une relecture originale du folklore vampirique avec, notamment, La Maschera del Demonio (Le Masque du Démon) réalisé en 1960 par Mario Bava et mettant en vedette la sculpturale Barbara Steele. Si le scenario jette le trouble sur la figure du démon vengeur, la musique de Roberto Nicolosi épouse à merveille les zooms et travellings latéraux en noir et blanc de la caméra de Bava, sans trop en faire. Bava réalisera d’ailleurs deux autres films ayant pour toile de fond les buveurs de sang, avec un péplum obscurément vampirique, Ercole al Centro della Terra (Hercule contre les Vampires) en 1961, dont la musique est composée par Armando Trovaioli, et Terrore nello Spazio (La Planète des Vampires) en 1965 (le film n’a de vampire que les titres américains et français). Ce dernier est accompagné d’une musique de Gino Marinuzzi (éditée chez Digitmovies) qui emploie pour l’occasion une combinaison de sons orchestraux et synthétiques appropriée à l’univers baroque décrit par Bava. L’Italie est un des premiers pays du vieux continent à prendre le train en marche : outre les films de Mario Bava, on peut signaler un excellent L’Amante del Vampiro (La Maitresse du Vampire) tourné en 1960 et dont la musique, superbe mais hélas inédite, est de la main d’Aldo Piga.
En France, les années 60 ne sont pas encore totalement imprégnées par la mode du vampire, mais on peut néanmoins citer Et Mourir de Plaisir réalisé en 1960 par Roger Vadim, qui évoque vaguement une malédiction de cet acabit. La superbe musique pour orchestre, flute et orgue (notamment) est signée Jean Prodromidès, et on peut l’écouter via le CD sorti chez CinéMusique en 2010 (couplée avec un autre film mis en musique par ce compositeur, à savoir Danton). A la fin des années 60, le cinéaste français Jean Rollin, apôtre du film érotique dans nos vertes contrées, commence en 1968 avec Le Viol du Vampire un cycle de films de vampire plus ou moins lascifs qui se poursuivra jusqu’au milieu des années 70. Sa musique, composée par Yvon Gérault, saura étonnement bien tirer parti des restrictions budgétaires autant visuelles que sonores. Ces budgets contrits dicteront leur impitoyable loi dans les années à venir…