A Series Of Unfortunate Events (Thomas Newman)

Aux enfants de la (mal)chance

Disques • Publié le 22/09/2011 par

A Series Of Unfortunate EventsLEMONY SNICKET’S A SERIES OF UNFORTUNATE EVENTS (2004)
LES DÉSASTREUSES AVENTURES DES ORPHELINS BAUDELAIRE
Compositeur :
Thomas Newman
Durée : 68:58 | 29 pistes
Éditeur : Sony Classical

 

4.5 out of 5 stars

Un an après la fraîcheur roborative de Finding Nemo (Le Monde de Nemo), Thomas Newman poursuit son exploration de nouveaux continents et nous surprend à nouveau en signant la partition de Lemony Snicket’s A Series Of Unfortunate Events. Adapté d’une série d’ouvrages pour la jeunesse constituant un agréable pendant à Harry Potter, ce film prend le contrepied du merveilleux habituel en mêlant poésie noire à la Tim Burton et pastiche malicieux de Charles Dickens, cocktail forcément stimulant pour l’imagination d’un compositeur volontiers porté sur les expérimentations et les excentricités. On peut donc remercier le réalisateur Brad Silberling, surtout connu pour son impersonnalité mais ayant su inspirer à James Horner (Casper) et à Gabriel Yared (City Of Angels [La Cité des Anges]) d’assez belles partitions, d’avoir fait preuve d’une telle audace et d’un tel bon goût en engageant Newman sur un film de fantasy aux ambitions de blockbuster ! En effet, cette musique marque indéniablement d’une pierre blanche la carrière du compositeur qui, tout en conservant son style si original et en l’imposant aux producteurs comme au public, saisit l’occasion de s’avancer plus loin que jamais hors de son domaine habituel.

 

Il faut préciser d’emblée que Newman, à qui l’on reproche souvent de trop délaisser les thèmes au profit des atmosphères et qui reconnaît lui-même qu’il garde presque toujours les mélodies pour les dernières minutes du film, s’est ici astreint à composer un grand nombre de thèmes : on n’en compte pas moins de cinq majeurs, ce qui fait sans doute de Lemony Snicket?s A Series Of Unfortunate Events l’un des scores les plus riches du compositeur sur le plan thématique. Il propose pour l’ouverture (The Bad Beginning) un thème mélancolique et envoûtant introduit par de longs mouvements de cordes sombres et désenchantées, qui font place à une mélodie répétitive et hypnotique interprétée par une flûte fragile, des clochettes en abondance ainsi qu’une harpe et d’autres instruments à cordes aux sonorités cristallines. Le fait que ce thème, que l’on réentendra dans Lachrymose Ferry et dans Hurricane Herman, succède tout d’abord à une parodie de chanson dégoulinante issue d’un Walt Disney fictif le plus tarte et le plus horripilant qui soit, illustre parfaitement le ton décalé de l’auteur Lemony Snicket : vous vouliez de la lumière ? On vous donnera des ténèbres ! Vous vous attendiez à des personnages nobles et héroïques ? Vous n’aurez que des protagonistes faibles et dévorés par des intérêts mesquins ! Vous étiez en quête d’émerveillement ? Vous n’aurez droit qu’à de la tristesse et du désespoir ! A ce titre, les noms des pistes de l’album sont déjà un régal d’humour grinçant, insistant de façon drolatique sur l’aspect dépressif et dangereux de l’histoire (An Unpleasant Incident…, The Incredibly Deadly… et The Regrettable Episode…) ou usant du paradoxe (The Marvelous Marriage et A Woeful Wedding) : une telle ironie ne pouvait que réjouir le compositeur de The Player.

 

Les orphelins tout sourire, confiants en leur avenir

 

Thomas Newman oppose ensuite la duplicité et la roublardise du comte Olaf, qui n’épargne aucun effort pour se débarrasser des encombrants héritiers Baudelaire, et la douceur et l’innocence caractérisant les trois orphelins. Chez Olaf et Verisimilitude présentent ainsi un fascinant portrait du méchant : le personnage semble d’abord facétieux et séduisant grâce au mélange malicieux et virtuose de pizzicati de violons (déjà entendus fréquemment chez le compositeur), de saxophone criard, de marimba et de clarinette. Ondoyant, presque sournois, Olaf poursuit son entreprise de séduction puis, comme si le voile tombait subtilement, l’orchestre à cordes prend le relais en une mélodie suave, pleine de menace et presque douloureuse, révélant la véritable personnalité de l’assassin, hautement redoutable. A l’inverse, les héros (The Baudelaire Orphans) bénéficient d’un thème plus typique du style habituel de Newman, élégiaque et mystérieux, introduit par un piano et des sonorités synthétiques tantôt cristallines tantôt vaporeuses, avant que le célesta ne fasse son entrée pour proposer une mélodie dont les accents magiques ne sont pas sans évoquer une version assombrie du thème de Harry Potter. A ce thème qui réapparaît dans VFD et dans One Last Look, Newman en ajoute un second associé cette fois-ci aux défunts parents Baudelaire et à l’amour qui les liait à leurs enfants (Resilience, The Letter That Never Came). D’une grande tendresse, délicat et presque évanescent, confié d’abord au piano puis à des cordes lyriques, ce thème est sans doute le plus beau de l’album, assez proche de ceux de Road To Perdition (Les Sentiers de la Perdition) et de Finding Nemo.

 

Avec le thème lumineux entendu dans The Reptile Room, The Wide Window et Taken By Surpreeze, chamarré et flamboyant, porté par des violons enjoués, des guitares, des instruments indiens (flûte et cithare), des percussions et des sonorités synthétiques, Newman nous entraîne à sa suite dans un monde plein de surprises et de fantaisie qui constitue sans doute l’atout le plus séduisant du score de Lemony Snicket?s A Series Of Unfortunate Events (tout comme dans le film ce sont les décors qui l’emportent sur tout le reste). Au sein d’une atmosphère en apparence dominée par la tristesse et la nostalgie, bon nombre de morceaux insolites s’enchaînent, tous plus saugrenus les uns que les autres, et toute la batterie d’instruments hétéroclites aux sonorités décalées typiques du compositeur se retrouve ici, mêlée au traditionnel orchestre symphonique. Sarabande endiablée dans In Loco Parentis ; folie douce dans Puttanesca, plein de castagnettes, de pizzicati, de sonorités métalliques déglinguées et de bois sifflants ; musique de foire dans The Marvelous Marriage, à grand renfort de tambour, de tuba et d’accordéon ; ritournelle intrigante et hypnotique dans A Woeful Wedding, qui s’enfle peu à peu en une marche tonitruante ; sans oublier l’entêtant générique de fin (Drive Away) ou encore la chanson sautillante prévue pour l’ouverture du film, Loverly Spring, marquée par les pépiements des flûtes et par des voix féminines sucrées… Bien sûr, on n’évite pas toujours le cliché du mickey mousing mais cela fait tellement de bien d’entendre autre chose que du Williams, du Broughton ou du Silvestri, aussi estimables que soient ces compositeurs !

 

Le comte Olaf fait sa star

 

Enfin, Newman a aussi résolu de se lâcher et d’offrir aux spectateurs de véritables moments de suspense et d’action. Il faut rappeler que c’était seulement au bout de quinze ans de carrière, lors de la mort d’Edouard Delacroix dans The Green Mile (La Ligne Verte), que le compositeur avait accepté de verser dans ce registre et de se montrer réellement agressif : après quelques brèves séquences dans Road To Perdition (Les Sentiers de la Perdition) puis dans Finding Nemo, le voici fin prêt pour le film de Brad Silberling. On trouve alors une longue montée de tension dans An Unpleasant Incident Involving A Train lorsque les enfants sont enfermés dans la voiture et menacés de se faire écraser : l’avancée inexorable du train lancé à toute allure et les efforts désespérés des héros pour s’échapper sont accompagnés d’un crescendo de percussions de plus en plus violentes, d’emballements de cuivres frénétiques et tourbillonnants et de sonorités synthétiques allant jusqu’à la dissonance. Les lourds roulements de timbales et les sonneries de cuivres dramatiques se retrouvent dans Hurricane Herman, doublés de vertigineuses attaques de cordes graves et rageuses, d’une efficacité absolue ; ce déchaînement de violence et d’énergie se conclut dans Attack Of The Hook-Handed Man sur une note victorieuse. Comme toujours chez Newman, cela n’aura pas duré très longtemps mais n’en aura été que plus précieux !

 

Riche et variée, douce-amère mais non déprimante, étrange sans jamais être malsaine, toujours inattendue mais d’une grande cohérence, la partition de Thomas Newman pour Lemony Snicket?s A Series Of Unfortunate Events, représentée à la perfection par un album de presque 70 minutes, se présente comme un véritable Cabinet des Curiosités qui enchantera encore au-delà de nombreuses écoutes. Complétant avec un rare bonheur une filmographie décidément unique, elle compte finalement parmi les plus belles réussites du compositeur.

 

Olaf, tuteur idéal ?

Gregory Bouak
Les derniers articles par Gregory Bouak (tout voir)