Red Dragon (Danny Elfman)

Coeur de dragon

Disques • Publié le 25/08/2011 par

Red DragonRED DRAGON (2002)
DRAGON ROUGE
Compositeur :
 Danny Elfman
Durée : 57:15 | 17 pistes
Éditeur : Decca Records

 

4 out of 5 stars

Après la première adaptation due à Michael Mann, la seconde relecture du Red Dragon de Thomas Harris échoit finalement à Brett Ratner ; celui-ci choisit alors de faire appel à Danny Elfman, déjà compositeur d’un de ses films précédents, The Family Man. Lorsque l’on connaît la prédilection du musicien pour les univers sombres et décadents, l’on se dit que ce choix s’imposait comme une évidence. Le metteur en scène essayant péniblement de marcher sur les traces de Jonathan Demme, Elfman se réfère à son tour à The Silence Of The Lambs plutôt qu’à Hannibal, une aubaine pour lui qui dit avoir beaucoup d’admiration pour le travail de Shore. Après plusieurs scores oubliables au début des années 2000, celui de Red Dragon, beaucoup moins attendu que Planet Of The Apes (La Planète des Singes) ou Spider-Man, se révèle finalement plus convaincant et plus juste, constituant une belle réussite gothique comme on n’en avait plus entendu depuis Sleepy Hollow.

 

En effet, Elfman vient prouver à point nommé qu’il n’est jamais aussi doué que lorsqu’il s’agit de créer des atmosphères tendues et malsaines, chargées d’un lyrisme glauque et désespéré. Bien plus que celle d’Hannibal Lecter, qui apparaît très peu dans cette première histoire et n’est qu’un argument commercial destiné à attirer les spectateurs qui ne jurent que par Anthony Hopkins, la musique de Red Dragon est celle de Francis Dolarhyde, nouveau Norman Bates victime d’une enfance traumatique, terrifié par les femmes et hanté par des visions morbides auxquelles le compositeur du remake de Psycho (Psychose) va conférer une intensité décuplée, plongeant tout le score dans une mélancolie et une lourdeur insondables. Dès Logos, le ton est donné avec un mélange de sonorités synthétiques mi-planantes mi-grinçantes et de cordes sournoises, desquelles émerge un motif cristallin à la fois étrange et entêtant qui réapparaîtra tout au long de la partition, porteur de mystère et d’angoisse. Elfman va plus loin encore avec le Main Titles, éblouissant comme dans presque toutes ses musiques : après une reprise du motif obsédant entendu dans Logos, il fait appel à une rythmique électronique plus moderne rappelant les Men In Black qui ne cesse de parcourir le morceau en le dynamitant de l’intérieur, tandis que l’orchestre se lance dans de vertigineuses embardées de rage et de violence à grand renfort de violons cisaillés jusqu’à la torture. Toute la folie du Dragon Rouge, dont les images du générique font défiler le journal terrifiant, est résumée ici par la folie non moins grandiloquente du compositeur.

 

Hannibal (Anthony Hopkins) reluque Will Graham (Edward Norton)

 

Le thème principal de Logos, toujours plus hypnotique, de même que les sonorités métalliques du Main Titles, se retrouvent tout au long de l’odyssée de l’inspecteur au cœur des ténèbres et de l’horreur, reflets de la psyché délirante du tueur. Dans toute la première partie de l’album, les morceaux de suspense s’avèrent alors particulièrement prenants et réussis. The Old Mansion, sans doute le plus symptomatique et le meilleur d’entre eux, remarquable de cohérence et de construction dramatique, se présente comme une admirable synthèse de tout ce qui fait le génie de l’alter ego musical de Tim Burton et de Sam Raimi : les accents cristallins et les accords désespérés associés au pingouin dans Batman Returns (Batman le Défi) sont désormais attribués à Dolarhyde et à ses victimes ; la flûte fragile et les cordes dépressives noient l’ensemble dans les brumes hivernales de A Simple Plan (Un Plan Simple) ; enfin, des cuivres grondants et de lourdes percussions ponctuent les découvertes du héros comme lorsque Dianne Wiest explorait le château d’Edward Scissorhands (Edward aux Mains d’Argent), sans que l’auditeur/spectateur sache s’il doit éprouver de l’horreur ou de l’émerveillement, surtout au moment où interviennent les chœurs. C’est alors que réapparaît le thème très véhément entendu dans le Main Titles, et l’on bascule alors dans l’univers du tueur.

 

Sourde, grondante, pleine de colère rentrée, marquée par des violons qui n’en finissent plus de gémir et de crisser, la musique associée à Francis Dolarhyde compte parmi les plus tourmentées que le compositeur ait écrites, dans la droite lignée du très crépusculaire Dolores Claiborne. La longue piste Enter The Dragon constitue une sorte de portrait du monstre : ouverture violente, lente plongée dans des méandres mornes, reprises insidieuses du motif cristallin du début, grincements métalliques, cuivres et cordes sévères, longs crescendos suivis d’explosions dramatiques. Toute cette violence, déjà présente en introduction lors du redoutable duel entre Will Graham et Hannibal Lecter (The Revelation), se retrouvera à un degré d’intensité encore plus élevé dans les scènes d’affrontements finales : depuis la fin de Love On A Couch jusqu’à He’s Back !, la musique bombarde avec fureur en ne laissant à l’auditeur que peu de répit ! Là encore, tout ce qui faisait la douloureuse grandeur de Batman Returns, du défilé de monstres pathétiques assoiffés de vengeance à l’amour impossible, se retrouve dans la musique de Red Dragon, dont les sonorités tordues épousent la folle démesure de Dolarhyde pour culminer finalement dans un lyrisme inattendu.

 

Au milieu de tout cela, l’on compte quand même quelques morceaux plus paisibles et fragiles, évoquant l’enfant apeuré caché derrière le serial killer et se rapportant à la relation amoureuse naissante entre Francis et Reba McLane : We’re Different, Tiger Balls et la première partie de Love On A Couch font appel à la même flûte délicate et mélancolique que The Old Mansion, bientôt rejointe par une harpe et des cordes sensuelles. Mais ces rares moments de calme entre deux tempêtes ne font pas oublier la tonalité dominante de la partition, trouble et malsaine à l’instar des rencontres avec Hannibal Lecter, parmi lesquelles The Cell est la plus représentative. Trouvant ici tout ce qui peut satisfaire sa fibre ténébreuse et mortifère, Danny Elfman signe avec Red Dragon une musique sans doute moins originale que celles de ses prédécesseurs mais d’une éloquence et d’une qualité qui lui permettent néanmoins de s’élever à leur niveau. Certes, on pourra lui reprocher d’en faire un peu trop dans le film, comme si le réalisateur n’avait pas confiance en ses propres images et comptait exclusivement sur la musique pour susciter la tension, mais ce serait vouloir nier la personnalité exubérante du compositeur, qui s’épanouit pleinement dans l’univers de Thomas Harris et s’apprécie encore davantage en écoute isolée.

 

Hannibal prend son bain

Gregory Bouak
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