Hellboy 2: The Golden Army (Danny Elfman)

Un grain de sable dans la mécanique

Disques • Publié le 03/12/2008 par

Hellboy IIHELLBOY II: THE GOLDEN ARMY (2008)
HELLBOY II : LES LÉGIONS D’OR MAUDITES
Compositeur :
Danny Elfman
Durée : 57:11 | 20 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

3.5 out of 5 stars

Il est certain que Marco Beltrami est bien loin de faire l’unanimité. A tort ou à raison, son style est souvent jugé froid, distant, dépouillé (dans ce que ce terme a de plus péjoratif), sans âme et peu inventif et il ne serait, aux yeux de ses détracteurs, au mieux qu’un compositeur de second plan, maladroit dans l’action et parfaitement incapable de trousser une ligne mélodique digne de ce nom… Soit. Mais pourquoi, alors même qu’il y remplit un cahier des charges strictement inverse (thématique soutenue et accrocheuse, diversité de ton, trouvailles orchestrales, implication émotionnelle indéniable…), a-t-il vu sa partition pour Hellboy, premier du nom, fustigée elle aussi et sur les mêmes critères ? Convenait-il d’en taire les qualités tant elles cadraient si peu avec le portrait guère flatteur que certains font de lui ? Ses admirateurs, car il y en a, se le demandent encore…  Quoi qu’il en soit, le remplacement de Beltrami pour Hellboy II : The Golden Army a d’une manière générale été accueilli plutôt chaleureusement. Guillermo Del Toro, lui qui souhaite ancrer profondément sa deuxième incursion dans ce qu’on nommera la dark fantasy, estime que Beltrami n’est de toute façon pas la personne qu’il lui faut pour cela et souhaite depuis longtemps, dit-il, travailler avec Danny Elfman. Dont acte. Et un rêve qui s’exauce…

 

Premier mot d’ordre, et pas le moindre, Del Toro et Elfman décident d’un commun accord de faire carrément l’impasse sur les révisions, d’occulter le programme précédent purement et simplement et donc de ne s’embarrasser d’aucune question de continuité musicale, ce que le réalisateur justifie avant tout par le respect qu’il voue aux deux compositeurs. Admettons. A la trappe donc l’entièreté du travail de Beltrami (même si certains aspects – l’intervention d’une guitare électrique, quelques notes de clarinette – ne sont pas sans l’évoquer ponctuellement) et ce que ce dernier avait initialement mis en place en particulier, bien évidemment, le matériau thématique.

 

Hellboy II

 

Est-ce alors pour contourner toute tentation (inévitable) de comparaison qu’Elfman décide d’effleurer les personnages récurrents (Hellboy, Liz ou Abe) en les esquissant à peine ? Difficile en effet d’identifier aisément et précisément les caractérisations musicales de chacun, lesquelles se limitent à de très courts motifs, voire à de simples interventions instrumentales. Les nouveaux personnages ne sont d’ailleurs guère mieux lotis. Krauss et sa courte et ironique marche germanique mise à part, il apparaît très vite que le compositeur s’est avant tout attaché aux sentiments et émotions au travers de mélodies fragmentaires, fuyantes ou indécises : les cordes plaintives liant le prince Nuada à son peuple mourant, les quelques notes fragiles d’une relation qui se cherche encore entre Liz et Hellboy, le lyrisme tout en douceur d’un amour naissant et éphémère entre Abe et la princesse Nuala, ou encore la beauté chorale mais tragique de la disparition d’un élémentaire. Seules les Légions d’Or du titre (une armée mécanique) peuvent en définitive s’enorgueillir d’un thème saillant et « au carré » qui convient d’autant mieux à Elfman qu’il lui permet de laisser exploser toute la puissance géométrique qu’on lui connaît.

 

Passées ces quelques considérations spécifiques, la partition de Hellboy II, pour large orchestre et chœur, fait montre dans son ensemble d’une fantasy musicale fantasque et chatoyante, d’un sens de l’épique pour le moins percutant et d’une noirceur romantique qui, ensemble, renvoient pour l’essentiel directement aux riches heures du Elfman des années 90. De fait, Guillermo Del Toro admire le compositeur et celui-ci, à l’évidence, le lui rend bien, assumant pleinement ses antécédents et ne craignant jamais la récidive vis à vis d’un casier musical particulièrement chargé : Sleepy Hollow, Edward Scissorhands (Edward aux Mains d’Argent), Planet Of The Apes (La Planète des Singes), Nighbreed (Cabal), Batman Returns (Batman le Défi), Darkman, Mars Attacks !, Men In Black, Army Of Darkness (L’Armée des Ténèbres)… On ne doute pas une seconde qu’il ait en cela parfaitement comblé les attentes du réalisateur mexicain, certaines de ces références ayant d’ailleurs servi de musiques temporaires au stade du montage, aux côtés de pages plus anciennes signées Bernard Herrmann (une influence elle-même assimilée depuis longtemps par Elfman). On ne peut du reste contester une maîtrise et un savoir-faire qui transpire littéralement de chaque note, tout comme le plaisir immédiat qui en résulte (particulièrement manifeste à l’écoute du disque paru chez Varèse Sarabande).

 

Hellboy II

 

Pourtant, à mettre ainsi généreusement à disposition, sans retenue aucune, une large gamme des figures de style bien connues du « Museum d’Histoire Elfmanienne », le compositeur a pris le risque d’amalgamer en un seul et unique effort (et pour une première collaboration qui plus est) tout ce qui, pendant maintes années (et autant de contributions), a servi à façonner les bases musicales d’imaginaires fermement rattachés aujourd’hui à d’autres réalisateurs (Tim Burton bien évidemment, mais aussi Sam Raimi). En ne s’écartant à aucun moment d’un sentier qui peut paraître tracé à l’avance, Hellboy II pourrait ainsi apparaître comme une partition-carrière, qui chez Burton notamment prendrait sans doute tout son sens mais qui en l’occurrence ici peut tout aussi bien paraître déplacé voire franchement hors sujet.

 

Conjuguée avec le refus d’une continuité musicale minimum vis à vis du premier volet et faute d’une réelle consistance thématique nouvelle, cette orientation ne contribue-t-elle pas à affaiblir considérablement la portée de l’imaginaire propre à Guillermo Del Toro, jusqu’à le rendre par trop impersonnel ? Sur ce point, il est même étrange de surprendre Elfman tout près de rejoindre James Newton Howard le temps d’un bref mais crucial instant rappelant excessivement Lady In The Water (La Jeune Fille de l’Eau). Et de fait il découle de cette partition une carence émotionnelle non négligeable, d’autant plus préjudiciable à l’écran que le film de Del Toro n’est lui-même pas sans souffrir d’un défaut équivalent. En définitive, qu’on soit plus ou moins sensible à l’incongruité de la partition, on pourra s’enthousiasmer, s’irriter ou simplement regretter de retrouver en ces circonstances bien précises un Danny Elfman tout entier tourné vers son passé, pour une musique certes sans faille dans sa réalisation intrinsèque mais qui manque singulièrement de discernement vis à vis du sujet. A chacun de juger…

 

Hellboy II

Florent Groult
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