DARK SHADOWS (2012)
DARK SHADOWS
Compositeur : Danny Elfman
Durée : 52:45 | 21 pistes
Éditeur : WaterTower Music
Les archers cisaillent les cordes des violons et les oreilles des spectateurs, le synthétiseur glougloute une ligne tremblotante, les basses imitent le battement d’un cœur angoissé, les violoncelles descendent solennellement la gamme note à note, puis brusquement les cuivres éclatent, et forcément, on sursaute. On les connait, ces vieux trucs des scores d’épouvante. Danny Elfman aussi ! Et ils sont tous là, dans Dark Shadows, quatorzième long-métrage de Tim Burton dont il compose la bande originale. On n’y trouvera donc pas la moindre originalité dans l’interprétation du canon de la musique de film horrifique. Mais en cherche-t-on seulement ? A l’annonce d’une nouvelle collaboration entre les deux artistes, d’autant plus si le film dégage un parfum gothique, une partie du public attend de Burton qu’il retrouve les splendeurs de Batman Returns (Batman : Le Défi), Sleepy Hollow ou Edward Scissorhands (Edward aux Mains d’Argent). Et Elfman de devoir se mesurer aux scores légendaires qu’il composa dans les années 90 pour l’échevelé de Burbank.
Que faire alors ? Le musicien peut chercher le thème imparable, un art dans lequel il est maître : il l’a prouvé dans Alice In Wonderland (Alice au Pays des Merveilles), score entièrement façonné autour d’une mélodie immédiatement entraînante et inoubliable. Mais Dark Shadows n’offre rien de tel : il faudra se contenter d’un motif de 4/5 notes qui, même s’il est répété tout le long de l’album, n’accroche guère l’oreille. On l’entend clairement, par exemple, dès le début de We Will End You! On notera au passage l’ironie du titre, perceptible si on fait attention à la rythmique du morceau. Qui a dit que le score de Dark Shadows était sans humour ?
C’est plutôt à la marge de son attirail de trucs habituels qu’Elfman trouve une nuance particulière pour illustrer le film. Inspiré d’une série diffusée jusqu’en 1971, Burton décide de conserver le cadre temporel de la série, faisant du coup un film historique et, en partie, un commentaire sur les années 70. Elfman lui emprunte le pas et s’intéresse aux sonorités du score signé pour les centaines d’épisodes du soap original par Robert Cobert. Il en ressort avec la certitude d’avoir trouvé ce que doit être le son de sa version de Dark Shadows : synthétiseurs analogiques parfois proches du theremin, flute alto, vibraphone, autant de signatures sonores immédiatement associées à l’époque qui apportent au score sa nuance dans la palette habituelle des couleurs du compositeur. Avec ces instruments, ce sont aussi des automatismes de composition qu’on imagine conditionnés par le travail au long cours sur un soap-opera qu’Elfman invite dans sa partition. Quelques morceaux, dépourvus de vraies idées mélodiques, étalent des ambiances que l’on devine étirables au kilomètre si besoin, en jouant sur la texture d’instruments se passant le relais en écho, comme dans Lava Lamp ou Hypno Music.
Pour le reste, que l’on se rassure : les chœurs d’enfants, les violons graves et menaçants, les pulsations rythmiques – héritées de The Wolfman – les sonneries de timbres éclatants, tout ce que l’on s’attend à entendre dans un score gothique de Danny Elfman est là. L’écoute du seul prologue, condensé en un peu plus de sept minutes de la veine sombrement romantique et lyrique du compositeur, ravira les connaisseurs et éblouira ceux qui feraient là leur premier voyage au pays de Danny. Soulignons également la qualité de conception de l’album : la musique dans le film partage l’illustration sonore avec différents standards rock ou soul des seventies particulièrement mis en avant et qui font un peu passer les compositions d’Elfman à l’arrière plan. L’album rétablit des morceaux dans leur intégralité, et en comporte au moins un, Shadows Reprise, remix qui pulse du thème principal, absent du film. Un disque clairement pensé pour satisfaire l’écoute isolée et mettre en valeur le travail du musicien, comme l’étaient ceux d’Alice In Wonderland ou de Wolfman. Arrangé avec un professionnalisme inattaquable (les orchestrations sont toujours signées du vétéran Bartek), le score de Dark Shadows évoque ces repas dans un restaurant où, bien que l’on ait déjà fait le tour de la carte il y a longtemps, on sait que l’on sortira de table rassasié et comblé.