Species (Christopher Young)

Série B

Disques • Publié le 18/05/2009 par

SpeciesSPECIES (1995)
LA MUTANTE
Compositeur :
Christopher Young
Durée : 66:10 | 18 pistes
Éditeur : Intrada

 

4 out of 5 stars

Qu’est-ce qu’une série B de luxe ? Une trame digne des films cheap des années 50/60 dans lesquels les extra-terrestres et le loufoque se côtoyaient allègrement, combinée à des production values de très haut niveau : une photographie superbe, un soin particulier apporté aux décors et aux costumes, des interprètes de premier plan, et bien sûr une musique soignée… Film de poursuite avec un zeste d’horreur et un soupçon d’érotisme mis en scène par l’habile Roger Donaldson, Species (La Mutante) est donc la rencontre heureuse entre la série B et les garanties artistiques que l’industrie hollywoodienne peut se permettre de payer. Giger, le grand artiste suisse, connu dans le monde entier depuis Alien, est la caution ultime du chic apporté à ce projet qui, sur le papier, pourrait très bien avoir servi de hors-d’œuvre à une boîte fauchée, prête à aligner un film d’exploitation de plus traînant au rayon des direct to video des vidéoclubs. MGM en a décidé autrement, en acceptant ce projet comme une énième variation du film de monstre, singeant Alien, mélangeant les genres, la Belle et la Bête en une seule entité, pour un résultat finalement très honorable.

 

Ingrédient savoureux du petit plat épicé : l’érotisme, ou plutôt l’alchimie érotisme / terreur, tout à fait dans la lignée de l’œuvre de Giger. Restait à trouver la perle rare pour interpréter SIL : le mannequin canadien Natasha Henstridge, qui passait brusquement des podiums aux plateaux de cinéma, est ainsi habilement exploitée. Tout est là pour faire briller l’œil du metteur en scène et du directeur photo, la démarche, la beauté d’un corps parfait, et le regard étonné, curieux qu’elle projette sans cesse sur un monde inconnu d’abord craint puis assimilé et maîtrisé à vitesse grand V. Etrange parallèle entre ce personnage motivé par l’instinct de survie et l’actrice débutante découvrant le monde séduisant du cinéma.

 

Species

 

Le générique donne le ton : le titre du film s’affiche progressivement sur un fond étoilé, une lumière blanche inonde le cadre… Les producteurs souhaitaient de toute évidence orienter la musique, et le film, vers les génériques de la saga Alien initiée par Ridley Scott et James Cameron. Il est vrai que la partition de Young utilise de nombreux principes similaires aux musique de ses prédecesseurs, tout autant celle de James Horner que celle de Jerry Goldsmith (Are You Out There Somewhere ? et Safe Sex) : cordes en sourdine, basse répétée, effets sonores, techniques aléatoires… L’idée très simple et efficace du « signal » à la flûte (deux notes répétées en écho) sera même utilisée comme leitmotiv d’une SIL en chaleur cherchant à s’accoupler de façon obsessionnelle (The Alien Underground). Le bréviaire inventé par l’école de l’avant-garde polonaise (Penderecki, Lutoslawsky, Gorecki…) ou Ligeti, parfaitement maîtrisé par Young, est idéal pour mettre en musique l’angoisse face à la menace du monstre venu de l’espace. Le compositeur y ajoute les voix, comme Elliot Goldenthal l’avait fait pour Alien3, renforçant ainsi les aspects fantastiques et sensuels.

 

Après un grognement des cuivres semblable à celui qui ouvrait Aliens, Young développe un de ces thèmes séduisants et mystérieux qui ont fait la fortune de quelques-uns de ses films précédents (l’inoubliable thème romantique de The Fly II [La Mouche 2]), thème qui se termine sur une scansion qui rappelle le rythme du wood block du Sneakers (Les Experts) de James Horner. On pourrait aussi voir dans le dessin mélodique du thème un clin d’œil à l’aquarium si envoûtant issu du Carnaval des Animaux de Camille St-Saëns. L’idée originale du compositeur n’était pourtant pas celle-là : Fever (en fait le générique alternatif) s’ingéniait plutôt à créer un sentiment d’urgence, ou l’idée d’un signal qui se répète, accompagné de voix féminines irréelles. Cet ostinato répété se retrouvera plus tard de façon parcellaire (Bax Max et Fever’s Fever) pour accompagner l’action.

 

Species

 

Le personnage de SIL est tout d’abord présenté comme une très jeune fille soumise à une version corrigée du sacrifice d’Abraham (Protostar). Après le générique illustrant l’origine extra-terrestre du signal, le film débute sur les yeux de la petite. Puis la caméra révèle le décor, qui surprend : une prison transparente, un laboratoire, des hommes transportant du cyanure, et cette jeune fille que l’on pense innocente (et qui l’est, d’ailleurs, car comme pour certaines créatures redoutables du règne animal, sa dangerosité pour l’être humain ne tient-elle pas à son instinct de survie plus qu’à une conscience de vouloir faire le mal ?). Sur la figure inquiétante du « père » incarné par Ben Kingsley, le lamento et les murmures de voix féminines de Christopher Young donnent à la scène un caractère tragique et l’apparence du sacrifice de l’agneau…

 

L’autre facette de SIL, la partie horrifique, est remarquablement mise en musique, comme par exemple dans la scène rocambolesque du laboratoire (A Vibrant Slime) qui permet au compositeur de lâcher la bride orchestrale et vocale en composant une musique percussive, complexe, qui fait grogner les cuivres, ou tournoyer les cordes et les vents dans une sarabande infernale, dans ce qui constitue un des passages les plus notables du disque. L’utilisation des voix dans cette même scène annonce le futur chef-d’œuvre que sera la magnifique messe noire de Bless The Child (L’Elue). Species Feces et Milky Way Breasts présentent également des moments réjouissants de cordes déchaînées sur des ostinatos de cuivres, dont les flûtes aiguës en cascade rappellent le dantesque Rêve de Jacob de Penderecki.

 

L’affrontement final laisse la place à une musique d’action virile et musclée similaire à celle qui baignera plus tard des films comme Hard Rain (Pluie d’Enfer). L’intrigue est aussi accompagnée de séquences musicales plus fonctionnelles, lorsqu’il s’agit de suivre les déambulations d’une SIL médusée et pleinement adulte dans la jungle urbaine (Angel Hair). Cette partie synthétique, proposée en bonus sur le disque, s’écoute d’ailleurs avec beaucoup de plaisir. Elle est la preuve de la palette et de l’aisance du compositeur avec les instruments non acoustiques (écoutez le superbe Haunted Summer) avec lesquels Young excelle tout autant à créer une atmosphère ou à transcrire par le biais de l’électronique une écriture bien personnelle qui sied à l’orchestre et au chœur. Partition très attachante de Christopher Young pour un film de série sympathique, Species est certainement une excellente introduction à l’univers sophistiqué du compositeur.

 

Species

David Hocquet
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