Hellraiser (Christopher Young)

To hell and back

Décryptages Express • Publié le 07/11/2016 par

HELLRAISER (1987)Hellraiser
Réalisateur : Clive Barker
Compositeur : Christopher Young
Séquence décryptée : Resurrection (0:20:03 – 0:22:43)
Éditeur : Silva Screen Records

 

Combien de représentations de l’enfer en deux mille ans de civilisation judéo-chrétienne ? Combien d’autres encore, dans les communautés religieuses disparates ayant essaimé aux quatre coins de la planète ? Dans les contes et légendes colportés au coin du feu, ou dans les cultes impies sur lesquels plane l’ombre d’indicibles divinités ? Pour manier délicatement l’euphémisme, un sacré paquet. Clive Barker, aux yeux de qui la magie damera toujours le pion à toutes les religions imaginables, a du séjour des damnés une conception toute personnelle, bondée de guirlandes d’acier que terminent des crochets et de tortionnaires blêmes exclusivement vêtus de cuir. Les esprits puritains diront sans doute que l’infâme Frank, après s’être vautré dans le péché avec la légitime épouse de son frère, ne méritait pas d’autre destination que cet antre de la souffrance… Tout galimatias moral mis à part, l’homme se voit offrir une seconde chance le jour où un sang régénérateur, accidentellement répandu dans la pièce où les terrifiants Cénobites l’avaient jadis réduit en débris sanglants, le ramène à la vie. Opération peu ragoûtante, s’il en est, à laquelle Christopher Young se fait un plaisir de conférer une grandiloquence démoniaque.

 

Que de fois n’a-t-on entendu le compositeur gémir et soupirer après un statut d’horror guy lui collant trop étroitement à la peau ! Ses débuts dans l’univers hyper-codifié du slasher avaient ouvert en grand cette voie mal famée qu’il se dit parfois fatigué d’arpenter, A Nightmare On Elm Street 2 (La Revanche de Freddy) l’y a vu effectuer ses premiers pas assurés, et Hellraiser s’est chargé, très tôt, d’enfoncer définitivement le clou (que Pinhead, maître ès-supplices raffinés, daigne pardonner ce piètre tortillon d’humour). Force est néanmoins d’admettre que Young l’a un peu cherché. Si tant de cinéastes officiant dans l’épouvante se sont disputés ses faveurs, c’est bien parce qu’il n’a pas son égal pour déchainer à volonté les puissances des ténèbres. La résurrection de Frank témoigne de sa volubilité infernale. Véritable orgie de latex poisseux et de gruau ruisselant à gros bouillons, ladite scène, bien que filmée avec une conviction absolue par Barker, ne parait tenir que par miracle sur un fil tendu au-dessus des abysses du Grand-Guignol. Quelques gargarismes synthétiques plaqués au petit bonheur, une subite stridence orchestrale témérairement supposée affoler le trouillomètre, et la chute eût été vertigineuse.

 

Resurrection

 

Mais Young, tout à ses fantasmes d’envolées baroques, ne l’entend pas de cette oreille. Quand d’autres laissent fuser des ricanements de cancre du fond de la classe alors que le kitsch menace, lui n’ambitionne que de livrer passage aux démons et aux troubles merveilles qu’il devine tapis derrière les SFX maquignonnés. Il faut rendre cette justice aux trucages d’Hellraiser, malgré tout, qu’ils sont loin de déshonorer l’imaginaire sans garde-fou de Clive Barker. Avec ces membres chenus, pareils aux pattes de quelque insecte monstrueux, qui jaillissent du sol comme d’une flaque tourbeuse, c’est carrément la Genèse que l’enfer, tout secoué de rires, repeint grossièrement en rouge. Complice zélé du blasphème, Young lance ses musiciens dans une valse maléfique qui, l’ironie au bord de l’archet, se répand en moult courbettes devant cette parodie de naissance. Si, comme il a pu être dit par ses panégyristes, l’on écoute la symphonie délétère de Young ainsi qu’on pénètrerait dans une cathédrale gothique, ce n’est certes pas avec l’espoir d’épouser de tout son être la grâce divine.

 

Ces mêmes apôtres ont tendance à voir leur coeur pencher en faveur de l’immédiate séquelle, Hellbound, où le Mal, en conviant les mortels au fin fond de son jardin, acquiert une stature cyclopéenne. Pas encore résolu tout à fait à jouer la carte de la surenchère, l’original ne lève le voile que sporadiquement sur l’opéra écarlate qui se trame. Le retour de Frank parmi les vivants est une de ces subites montées de fièvre, et la musique dont la diapre Young, le plus estomaquant témoignage peut-être de la séduction qu’ont toujours exercée sur nos esprits les ténèbres rampantes. Le redoutable Rubik’s Cube convoité par les humains en perpétuelle quête de plaisirs défendus incarne à lui seul ce désir souvent fatal, qui corrompt les âmes et disperse les chairs aux quatre vents. Résolvez donc l’énigme, lecteur risque-tout, et ouvrez la Boîte si vous l’osez ! Vous le verrez alors apparaître, dans un mugissement de cuivres méphistophéliques : Christopher Young en personne, hiérophante tout de noir vêtu, intarissable quant aux noirs plaisirs que procure son art — plaisirs où, que l’on se rassérène, nul gouffre de souffrance ne béera jamais.

 

Benjamin Josse
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