Star Wars: The Empire Strikes Back (John Williams)

Le chant des sirènes

Décryptages Express • Publié le 01/02/2016 par

STAR WARS: THE EMPIRE STRIKES BACK (1980)Star Wars: The Empire Strikes Back
Réalisateur : Irvin Kershner
Compositeur : John Williams
Séquence décryptée : The City In The Clouds (1:14:34 – 1:15:51)
Éditeur : Sony Classical

 

Sur la palette de couleurs instrumentales que John Williams utilise pour donner corps à ses orchestrations, les chœurs et les nuances de la voix humaine ne sont pas les plus sollicités. Évidemment, l’œuvre du compositeur est parsemée de moments choraux marquants, mais qu’il s’agisse par exemple des voix éthérées prêtant leurs murmures aux interrogations de A.I. Artificial Intelligence, des chœurs soutenant l’irrésistible thème de Jurassic Park, de ceux, féminins et aériens, qui s’émerveillent de la rencontre entre habitants de planètes différentes dans Close Encounters Of The Third Kind (Rencontres du Troisième Type), les voix dominent rarement la partition, et Williams n’a jamais cédé à la facilité du recours à un chœur massif pour redoubler une ligne mélodique un peu dénudée. 

 

Néanmoins, Williams sait aussi tirer profit des vertus émouvantes de la voix, et lorsqu’il s’agit de traiter avec emphase un grand sujet, il n’hésite pas : on se souvient des voix saisissantes et endolories donnant corps aux victimes de Schindler’s List (La Liste de Schindler), de celles, triomphales, des Cadillac du ciel de Empire Of The Sun (Empire du Soleil), ou encore du requiem célébrant les soldats américains tombés sur les plages de Normandie dans Saving Private Ryan (Il Faut Sauver le Soldat Ryan). Des voix innocentes et enfantines à l’unisson du très sucré Hook à celles, plus inquiètes de Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban), la fantasy filmée qui a toujours vu le Williams le plus exubérant n’est pas en reste. Et c’est assez logiquement avec Star Wars que Williams délivre une de ses pièces chorales les plus directes et massives en orchestrant le duel des destinées opposant le bien au mal dans le Duel Of The Fates de The Phantom Menace (La Menace Fantôme). Une belle pièce, certes, mais qui m’a toujours paru trancher avec l’esthétique de Star Wars. Mais il faut bien avouer qu’en matière de rupture artistique, les images de Georges Lucas avaient placé la barre très haut et réclamaient sans doute ce traitement inhabituel.

 

The City In The Clouds

 

Vingt ans plus tôt, Star Wars était à son firmament, John Williams aussi, et si The Empire Strikes Back (L’Empire Contre-Attaque) ne déploie aucune intervention chorale aussi frontale, il y en a une fort subtile, et qui démontre, si besoin en était, quelle compréhension profonde Williams a toujours eu du projet de Lucas. Traqués sans relâche par l’Empire, lâchés par l’hyperpropulsion qui leur permettrait jusqu’alors de semer leurs poursuivants, venant d’échapper de justesse à une limace spatiale géante ayant investi la caverne où ils pensaient pourvoir trouver refuge, les passagers du Millenium Falcon ne savent plus où se cacher. Un seul espoir subsiste : rejoindre Bespin, la Cité des Nuages dont l’administrateur, Lando Calrissian est un ami du capitaine du Falcon, Han Solo. Un ami, qui forcément, ne peut vouloir que son bien…

 

Si l’approche de la ville flottante par le vaisseau du contrebandier est un moment majestueux, c’est aussi une petite pause dans le récit, après un enchaînement soutenu de péripéties. On peut s’interroger sur le choix de Williams de souligner le vol du cargo par une brève et étonnante envolée de chœurs féminins. Certes, ils opposent un contraste total à la sinistre Imperial March résonnant sans relâche depuis le début aux trousses des rebelles, et font de Bespin un véritable oasis musical. La scène ne réclame pourtant pas un tel lyrisme. Mais Williams est malicieux : on découvre très vite que le luxe, le calme et la volupté promis par la Cité des Nuages sont de dangereux mirages, et que l’indépendance de Lando a un prix : accepter d’être l’instrument du piège tendu par l’Empire. En fait de chant charmeur, c’est bien à un chant des sirènes que Williams nous fait succomber avec les héros. Jolie œillade nous rappelant avec légèreté l’essentiel : si c’est un vaisseau spatial que nous suivons vers une ville suspendue dans les airs, il est avant tout question ici, comme partout ailleurs dans Star Wars, de la réinvention d’un motif mythologique. Des mers légendaires aux mers de nuages, rien ne change vraiment, et les pires dangers prennent toujours les apparences les plus séduisantes. Celles, par exemple, d’enjôleurs chants féminins, qu’ils nous soient adressés par d’étranges créatures mi-femmes mi-oiseaux, ou qu’ils accompagnent un contrebandier galactique sûr de son charme. En nous invitant, au détour d’une scène anodine, à être complices de son clin d’œil musical, Williams honore notre intelligence et démontre encore une fois la sienne. Très peu de compositeurs ont si longtemps et autant choyé leurs auditeurs, et si profondément compris les images qu’ils illustrent, au point d’en incarner musicalement l’essence.

 

Pierre Braillon
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