Erwann Kermorvant décolle pour l’espace
Interviews • Publié le 29/11/2011 par

 

J’ai quelque chose à vous faire avouer. Êtes-vous pour quelque chose dans la création de Soizic, le personnage de Marina Foïs, et du folklore breton présent dans le film ?

Non, je ne sais pas comment ces idées sont arrivées dans le scénario ! On entend mon nom et mon prénom en entier dans le film mais je n’y suis pour rien ! C’est d’autant plus rigolo que j’ai pu faire ce qui est sensé être ma spécialité, j’ai donc ressorti un recueil de thèmes bretons. J’ai recherché les partitions d’une gavotte bien précise, une dérobée de Guingamp, pour la scène de la danse. Je l’ai arrangée et faite rejouer. Et puis il y a une musique plus spécifique à Soizic qui ne relève pas du folklore breton mais qui illustre le romantisme du personnage. Nous avions une séance d’enregistrement à Paris pendant laquelle j’ai travaillé avec Youenn Le Berre, un extraordinaire flûtiste qui fait partie de Gwendal, un groupe mélangeant traditionnel et rock, qui a joué des flûtes irlandaises et de la bombarde.

 

J’étais également surpris par un morceau de métal pour la scène où Yonis gratte le ticket de jeu et gagne…

En fait, ce morceau n’est pas de moi mais celui d’un groupe marseillais qui s’appelle Eths. En fait, j’avais proposé ce morceau comme une blague car je trouvais marrant de mettre sur cette scène un métal archiviolent ! On m’avait fait écouter Eths un peu avant et j’avais vraiment aimé ce morceau parce que je trouvais la voix de la chanteuse incroyable. Au début, Eric Lartigau m’avait demandé une musique un peu rock mais bon, je trouvais cela un peu léger ! Finalement, ce morceau de Eths était ce qu’il leur fallait.

 

Pouvez-vous me parler du morceau qui accompagne le travelling dans les couloirs de la station ?

C’est un morceau de jungle que j’ai composé et joué dans mon studio. Je voulais quelque chose dans le genre du générique de Fight Club. D’ailleurs, il a été remonté car le travelling est finalement plus court que ce qui était prévu. C’est donc le seul morceau avec celui de Eths qui est peu speed.

 

Est-ce un morceau que vous avez proposé spontanément à la production ?

Oui. La plus grande part de la musique du film vient de propositions spontanées. Mais il y a des choses qui sont évidentes en termes de style. Je n’invente rien. Par contre, c’est vrai que j’aurais pu traiter ce travelling avec une musique orchestrale mais j’avais envie d’une ambiance à la Fight Club. Ce n’était pas facile pour moi de composer pour cette scène car je ne l’ai vue finalisée qu’à la projection : je voyais des cartons noirs à la place des effets de transitions à travers les hublots et je ne savais donc pas exactement quel rythme adopter. Dans le même registre, c’était pire pour David Arnold sur Independance Day qui voyait insérés dans le film des cartons indiquant «destruction de la Maison Blanche par le vaisseau extra-terrestre» ! J’étais tenté de mettre du suspense mais je devinais l’intention de vitesse dans le couloir.

 

Cela souligne peut-être aussi le côté «méchant» du méchant ?

Je ne me suis pas vraiment posé la question de cette façon. Il y avait effectivement un axe «méchant» à créer notamment avec Eths et le côté métal «lourd» qu’on retrouve un peu au moment de la libération du frère de Yonis, mais ce n’était pas focalisé là-dessus. C’est à dire que comme Un Ticket Pour L’Espace est une comédie, c’est plus facile de provoquer ce genre de décalages, juste pour faire quelque chose qui n’a rien à voir avec le reste. Et je pense que beaucoup de films actuels d’anticipation ou de science-fiction mélangent les tendances. Le meilleur exemple est Matrix avec des choses orchestrales comme de la techno ou du métal : désormais, plus personne ne traite ce genre de films comme Star Wars.

 

Avez-vous des projets qui vous permettraient de mélanger ainsi les genres ?

Oui, dans ma tête…

 

 

Qu’est-ce que vous espérez pouvoir faire à l’avenir ?

Je ne fais pas spécialement de plan, il y a des choses qui me font envie dans des directions différentes… C’est pour cela que je continue à faire beaucoup de courts métrages. C’est un superbe terrain d’exploration. Il n’y a pas du tout la même pression que sur un film, c’est évident, il n’y a pas les mêmes enjeux mais plus de liberté, même pour les réalisateurs. On dispose de plus temps pour les recherches car il y a moins de musique à écrire. L’année dernière, j’ai travaillé sur plusieurs courts métrages dont un de Patrick Poubel qui s’appelle For Intérieur : c’est en noir et blanc et cela raconte l’histoire d’un grand-père qui emprisonne des sons dans des boîtes. C’est assez poétique et j’ai essayé des choses que je n’avais jamais essayées avant. J’ai enregistré la musique avec des amis de Bretagne, avec les moyens du bord. C’était un petit ensemble de dix musiciens et il y avait un travail intéressant sur divers instruments que je n’aurais pas pu me permettre de faire sur un long métrage.

 

Et le but de tout cela est de trouver ma voie, mon truc à moi. Je suis toujours en recherche actuellement : je suis capable de faire des choses dans beaucoup de style mais je ne sais pas si j’ai mon style. Certains compositeurs sont reconnaissables en cinq secondes : Thomas Newman, Ennio Morricone ou Hans Zimmer. D’ailleurs, ce que j’ai écrit pour la scène d’entraînement est typiquement dans le style de MediaVentures. En même temps, je sais que c’est de moi ! C’est quelque chose que l’on peut étendre à tous les gens qui évoluent dans la musique de film ou la musique en général et qui sont forcément influencés par ce qu’ils ont connu avant. Nous venons tous de quelque part et notre but est de s’en détacher le plus possible. Même chez les compositeurs qui ont une carrière établie, je suis capable en écoutant certains de leurs scores de deviner la musique temporaire utilisée.

 

Justement, avez-vous eu droit à des musiques temporaires sur Un Ticket pour l’Espace comme c’était le cas pour Mais Qui A Tué Pamela Rose ?

Non, rien : j’ai écrit trop rapidement pour que la production aie le temps d’en utiliser ! Blague à part, je crois qu’ils n’ont pas eu l’occasion de le faire car je travaillais sur le projet depuis le début, je proposais déjà des idées en amont. Pour la scène où Yonis gratte le ticket, un morceau de rock était déjà présent avant que je ne propose celui de Eths, mais je ne me souviens plus de ce que c’était. Si, il y avait une musique temporaire, c’est Le Beau Danube Bleu de 2001, car il s’agissait clairement d’un clin d’œil au film. Du coup, j’ai inclus Le Beau Danube Bleu dans mon morceau. Ce n’était pas une vraie musique temporaire mais une référence classique. L’Orchestre Philharmonique de Sofia a donc réinterprété ce classique en l’intégrant à ce que j’avais composé et en le terminant de manière différente par rapport à sa version originale.

 

Les méthodes ont donc changé entre les deux films d’Eric Lartigau.

Oui, non seulement parce que la musique de Un Ticket pour l’Espace était plus évidente – l’inspiration visuelle était claire alors qu’il y a beaucoup de morceaux de styles différents dans Mais Qui A Tué Pamela Rose ? – mais aussi et surtout parce que je travaillais vraiment en parallèle avec le montage du film. Par exemple, je recevais régulièrement des vidéos avec quinze minutes de film. Et puis il y avait déjà des intentions musicales dans le scénario, dans le sens où, dès le générique, cela ressemblait à du space opera. Il y a des scènes pour lesquelles il fallait jouer plus fin et jouer sur les nuances, comme la séparation du personnage de Kad d’avec sa femme qui tourne au ridicule, alors que le morceau commence bien avant avec la discussion avec son fils. A part cette scène et quelques autres, il n’y a pas tellement de jeu sur l’émotion, il n’y a pas d’équivoque. On est toujours dans le premier degré.

 

Etait-il évident que vous alliez retravailler avec Eric Lartigau ?

J’ai tendance à penser qu’il n’y a rien d’évident dans ce métier ! Je suis d’un naturel plutôt méfiant : le Breton est méfiant ! C’est vrai que je m’étais bien entendu avec Eric sur Mais Qui A Tué Pamela Rose ? et nous avons retravaillé ensemble sur une publicité. Eric aime bien travailler avec les mêmes gens, j’imaginais donc que je ferai Un Ticket pour l’Espace mais je ne l’aurais pas mal pris non plus s’il ne m’avait pas appelé. Mais il y a un rapport de confiance entre nous et notre dialogue fonctionne bien.Je travaille de nouveau avec Eric en ce moment sur une comédie romantique, Prête-Moi ta Main, et nous sommes à des années-lumière de Un Ticket pour l’Espace, à tous les niveaux d’ailleurs. C’est-à-dire que je passe d’un orchestre de 80 musiciens à Sofia à un ensemble de 20 musiciens à Paris. En fait, je suis revenu dans cette direction que j’avais commencé à explorer pour For Intérieur, c’est à dire composer pour un petit ensemble avec des percussions…. Et je sais qu’Eric a d’autres envies et je suis prêt à le suivre.

 

 


Entretien réalisé en janvier 2006 par Sébastien Faelens

Transcription : Sébastien Faelens

Photographies : DR

Remerciements à Erwann Kermorvant pour son talent et sa disponibilité

Sébastien Faelens
Les derniers articles par Sébastien Faelens (tout voir)

La rédactionContactMentions légales

Copyright © 2008-2025 UnderScores