C’est avant tout pour partager sa passion pour l’artiste et sa musique que Jean-Yves Guilleux a tout mis en œuvre pour réaliser ce film sur un personnage fascinant dont le talent a marqué de façon indélébile, en seulement dix années, le cinéma français. Ce documentaire de 52 minutes, étonnamment vivant puisque dénué de voix off, recueille les témoignages de nombreux proches du compositeur. Famille, amis, comédiens, réalisateurs, musiciens se croisent et se complètent pour mieux évoquer le monde de François de Roubaix et révéler ainsi la richesse incontestable de cet homme. Ce parti-pris intimiste fait toute la différence, le spectateur se sentant d’emblée privilégié, invité à entrer «chez François».
On découvre alors un formidable autodidacte pour lequel la musique est un «art lié à la sensibilité». C’est avec le jazz qu’il explore les émotions associées au son de chaque instrument, et qu’il comprend la musique comme un moyen de communiquer avec le monde. Il devient un musicien sensible «aux moments de grâce», quand tout semble en harmonie, «même si cela ne dure que quelques secondes», comme le rapporte Pierre Richard.
Fidèle en amitié comme au travail, ses rencontres pour le cinéma se soldent souvent par des collaborations fructueuses : Robert Enrico, Yves Boisset, Jean-Pierre Mocky, José Giovanni… autant dire toute une époque pour le cinéma français. Son aventure avec l’image commence d’ailleurs avec Enrico, d’abord avec quelques court-métrages puis, très vite, un premier long-métrage. Dès lors, ce véritable aventurier du son n’aura de cesse de mettre son talent au service de cet «art collectif qu’est le cinéma».
Son enfance passée en Corse avait forgé un émerveillement sans cesse renouvelé pour la nature et une passion dévorante pour la plongée sous-marine : il semblait y avoir puisé une aptitude à interpréter le silence, à le mettre en musique pour laisser l’émotion l’emporter. Yves Boisset parle d’un «inventeur de mélodies» que les éléments naturels inspiraient. Instrumentaliste de génie, il savait trouver celui capable de créer l’atmosphère et l’identité d’un film (on pense par exemple à l’orgue du Samouraï ou à la guitare de Dernier Domicile Connu).
Naturellement pudique et réservé, ses sentiments se manifestaient plus aisément au travers de ses musiques. De fait, on ne peut qu’être fasciné en observant ce grand gaillard, longs cheveux blonds en bataille, en train de laisser courir ses mains sur son piano, ou d’explorer les sons d’un synthétiseur avec une curiosité joyeuse, comparable à celle d’un enfant. Une fraicheur et un enthousiasme auquel il n’entendait pas renoncer, effrayé par l’idée de vieillir ou d’être dévoré par la maladie… Le temps si redouté s’est finalement fait son allié au cours d’une ultime et tragique plongée sous-marine, le 22 novembre 1975, alors qu’il n’a que 36 ans…
En réalisant ce portrait sensible d’un destin hors normes, le réalisateur offre un nouveau regard sur une période-clé du cinéma français, celle où la multiplicité des possibles faisait qu’un talent atypique comme François de Roubaix pouvait laisser libre cours à sa créativité.
Programmé dans quelques festivals et diffusé en 2008 sur CinéCinéma, François de Roubaix, l’Aventurier reste à ce jour malheureusement inédit en DVD. Sans pour autant décourager Jean-Yves Guilleux, qui poursuit son exploration de cette époque en proposant aujourd’hui un autre documentaire, cette fois sur Michel Magne, dont la folie musicale a marqué à jamais les années 60/70 en France, et l’on ne saurait trop vous conseiller de vous précipiter sur l’édition Blu-Ray des Tontons Flingueurs qui offre ce documentaire en bonus exceptionnel.
httpv://www.youtube.com/watch?v=6k7LAK6qhIo
Photographies : © DR