Eraser (Alan Silvestri)

Tout dans les Muscles #46 : Efface-moi si tu peux !

Disques • Publié le 31/05/2024 par

ERASER (1996)
L’EFFACEUR
Compositeur :
Alan Silvestri
Durée : 77:18 | 21 pistes
Éditeur : La-La Land Records

 

3.5 out of 5 stars

 

Aux yeux des nombreux exégètes du Chêne Autrichien, l’affaire est entendue et le constat implacable : ce sont les démantèlements métatextuels dont regorge Last Action Hero qui mirent Schwarzy à bas du paroxystique firmament où Total Recall et Terminator 2, doublé fracassant s’il en fut jamais, l’avaient assis. Projeté bien malgré lui à travers les écrans de cinéma en guise de quatrième mur, le super-héros Jack Slater, missionné pour vandaliser le box-office, ne trouva de l’autre côté que des dollars épars — reliefs faméliques abandonnés par les dinosaures voraces de Jurassic Park. Grâce à son pygmalion James Cameron, Arnold se refit promptement la cerise par le biais d’un True Lies de tous les excès, piétinant crânement les plates-bandes de 007. Mais quelque chose, dans la triomphale marche « schwarzeneggerienne », s’était rompu. Le principal intéressé, pour sa part, tarda à s’en rendre compte. Budgets record et cachets inflationnistes demeuraient son apanage, s’infatua-t-il. À charge pour Eraser de le prouver cette fois encore, et avec quel zèle éléphantesque ! En des temps anciens (au hasard, les seventies cendreuses), le script du film eût donné lieu à un thriller étouffant, mangé de conspirationnisme paranoïaque ; sous la houlette de la star toute-puissante, on obtint une machine de guerre exhibant des dents en touches de piano et de volumineuses poignées d’amour. Au service de sa propre majesté, Arnold se rendit ainsi coupable d’une douloureuse gabegie de talents, dont James Caan, modérément impliqué dans le rôle du Judas de service, un James Coburn courant à foulées cacochymes le cachet (Dieu merci, le poignant Affliction l’attendait au tournant suivant), le scénariste Walon Green, à propos de qui l’on se surprenait à douter soudain qu’il eut un jour écrit The Wild Bunch (La Horde Sauvage)… Et, à la musique, Alan Silvestri, ayant ceci de commun avec l’acteur qu’il fut, durant la même décennie dorée, l’un des rois absolus du blockbuster estival.

 

Ce n’était pas encore du passéisme, non plus qu’un geste dérisoire de révolte contre le leadership allant crescendo du nouveau kaiser du gros son hollywoodien, évidemment Hans Zimmer, devenu l’heureux propriétaire d’une véritable usine à débiter des décibels hirsutes. Avouons-le tout de go, Eraser ressemblerait presque à un tour de chauffe pour son illustre compositeur, qui, à fréquents intervalles, succombe à l’attrait délétère du remplissage à moindre coût — une de ses mauvaises habitudes à venir au millénaire prochain. Dans ses creux les plus atones, où stagne un sound design amputé de quelque bagout narratif que ce soit, la musique pourrait aussi bien avoir été suturée avec des kilomètres de gros fil par les petites mains besogneuses de Media Ventures. Comme pour colporter la « bonne » parole de son employeur germain, Trevor Rabin, armé de sa guitare assassine, jaillit même d’entre deux pupitres de l’orchestre pour abréger sans ménagement le Finale conçu par Silvestri. S’y substitue une chanson rock à la fraîche, dont les couplets braillards font ouvertement écho à l’ultime punchline délivrée par les mâchoires prognathes de Schwarzy. Tel que celui-ci voit les choses, « effacer » n’est pas un vain mot ; en vérité, carrément le synonyme « d’annihiler », avec le concours de pétoires démesurément phalliques et de riffs électriques pas foncièrement zimmériens, mais d’une efficacité mal dégrossie qui réjouit. Hululant et cinglant, ils font se cloquer deux notes massives de cuivres, matraquées avec autant de rudesse que le marteau contre l’enclume. Même s’il n’arbore pas ici la panoplie de cuir du T-800, Arnold semble parcouru de pied en cap de ses reflets noirs chaque fois (c’est-à-dire souvent) qu’intervient ce motif d’action, digne d’une rock star aux naseaux poudrés.

 

Nous voici à deux doigts de soupçonner Silvestri d’allégeance envers l’empire teutonique… Gare aux déductions par trop hâtives ! Malgré les paresses électroniques qui sont autant de machinales scories, malgré moult passages ni faits ni à faire destinés seulement à boucher les trous, Eraser dépote. Et il ne le doit qu’à l’art de la guerre conceptualisé par son auteur, jamais aussi redoutable que lorsqu’il lâche la bride à son bellicisme inné. Aux muscles d’acier du héros, il greffe une marche implacable, l’un de ces petits chefs-d’œuvre martiaux à l’endroit desquels les thuriféraires du compositeur éprouvent chaleur et tendresse. Le legs du monument Judge Dredd, érigé un an plus tôt au prix d’hectolitres de sang et d’eau, ne fait aucunement mystère alors que la caisse claire prescrit les formidables cadences, de cordes obsessionnelles, de cuivres aux résonances d’airain, qui assiègent les oreilles ravies. Pendant que nous y sommes, un autre acmé dans la carrière de Silvestri se rappelle au bon souvenir de tous lors d’une échauffourée avec d’ineffables alligators de synthèse (« photoréalistes ! » nous certifia la promotion de l’époque). Percussions tribales qui fleurent délicieusement une Afrique folklorique et plaintes d’outre-monde de l’étrange et bricolé « hose-oon » font figure d’artefacts extirpés de la glaise primitive de Predator 2. Bien sûr, ces résurgences en pagaille appellent à la comparaison — et le petit jeu des 7 erreurs n’intercède pas en faveur du cadet. Avare d’audaces, docile dans l’usage de recettes que ses colossaux aînés portèrent à incandescence… Eraser n’ambitionne pas de frapper un grand coup, mais il fait mieux que compenser par une débauche d’énergie. Et Alan Silvestri, tout à son entrain juvénile, de ruer, de trépider, d’enflammer les aventures de Schwarzenegger d’une haleine de volcan… sans qu’à aucun instant l’intuition ne le frappe qu’à travers cet énième film de gros bras, une ère courait à son crépuscule.

 

Benjamin Josse
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