Toy Soldiers (Robert Folk)

Tout dans les Muscles #14 : les Sous-Doués chez Régis

Disques • Publié le 13/01/2023 par

TOY SOLDIERS (1991)
L’ÉCOLE DES HÉROS
Compositeur :
Robert Folk
Durée : 72:16 | 25 pistes
Éditeur : Intrada

 

5 out of 5 stars

 

Pour les amateurs de série B, Donald Petrie Jr. est une référence dans le domaine du petit film bien fait mais sans ambition. D’abord scénariste à succès pour le pataud The Beverly Hills Cop (Le Flic de Beverly Hills) ou le très costaud Shoot To Kill (Randonnée pour un Tueur), Petrie Jr. fait ses débuts en tant que réalisateur avec Toy Soldiers (dont il est aussi le scénariste), teen-thriller d’action dans lequel vous reconnaitrez la frimousse du fameux Samwise Gamgee de The Lord Of The Rings (Le Seigneur des Anneaux), alias le charismatique Sean Austin, campant un Billy Tepper qui ne manque pas de tempérament. Le pitch (simpliste, voire carrément hasardeux) tient en une phrase : une école ayant pour élèves quelques-uns des pires rejetons de la société américaine (un fiston de mafieux par ci, un fils-à-papa d’une grande multinationale par là…), indécrottables cancres renvoyés à moult reprises de diverses institutions, est prise en otage par le lieutenant d’un baron de la drogue sud-américain et son armée de mercenaires qui exigent rien moins que sa libération. À défaut, ils exécuteront un élève peu doué de manière régulière tout en menaçant de faire exploser les lieux si jamais on s’avisait de se moquer un peu trop du monde.

 

C’était là l’occasion rêvée pour Robert Folk d’écrire une partition martiale et pleine de panache, tout en faisant vibrer la fibre patriotique (la corde sensible facilement atteignable des américains). Et la mission est, sur ce plan, absolument remplie. Et de belle manière ! D’abord parce que Folk ne se contente pas simplement de faire une solide musique d’action : il l’agrémente de thèmes riches en variations et de motifs autonomes, principalement rythmiques, qui font absolument merveille. Et Folk n’y va pas avec le dos de la cuillère dès l’introduction du film. Escape From Baranquilla frappe de plein fouet le spectateur (et l’auditeur) dans une montée en tension savamment entretenue par un piano égrenant, comme le calme avant la tempête, un motif de suspens imparable, soutenu par une armée de cuivres dévastateurs avant que n’entre en jeu un rythme porté par des timbales hautement courroucées, le tout enveloppé dans la noirceur d’un motif de « bad guy » que n’aurait pas renié un Broughton des grands jours. Le thème principal, intitulé Regis School (en même temps, on ne pouvait pas choisir un meilleur nom pour réunir un tel ramassis de présupposés crétins des Alpes), est noble et aérien, à la limite du too much dans ce qu’il arrive à traduire du patriotisme américano outrancier, tout en posant une mélodie pleine d’allants fiévreux qui annoncent déjà la couleur : nos jeunes écervelés tenteront de sauver l’école dans laquelle ils se sentent si peu à leur aise, avec un peu d’astuce et d’espièglerie. D’ailleurs, à chaque fois, ou presque, que Folk voudra illustrer de sa musique les rocambolesques aventures de nos collégiens bons à rien (et surtout celle de Billy, ardent, fougueux et foutraque défenseur de la liberté de coincer la bulle par tous moyens), il utilisera une caisse claire (un peu trop) mise en avant, comme pour montrer la voie de la rébellion à un orchestre encore cadenassé par son compositeur et chef d’orchestre. Mais lorsque ce dernier se décide à laisser l’orchestre tout entier suivre la bannière des petites baguettes en bois, c’est un déferlement délicieux qui se déverse dans nos tympans ébaubis. En témoigne un morceau comme The Capture Of Regis, où la lente montée orchestrale distillant un suspens suffoquant cède brutalement la place au fameux motif rythmique déjà amorcé dans la première piste de l’album.

 

Les morceaux de bravoure symphonique s’enchaineront par la suite, non sans user d’une science consommée de la mise en place transitionnelle afin de ne pas submerger l’auditeur d’une monstrueuse (et facile) vague de surenchère sonore qui finirait inévitablement en eau de boudin médiaventuresque. Tout au contraire. Folk s’évertuera à faire respirer sa musique, à la développer par de subtiles variations, des clins d’œil humoristiques (un motif dans la gamme orientale est même inséré dans Billy Changes The Chip), ou des coups de semonces orchestraux à faire pâlir un John Debney en pleine forme. On notera tout autant, et à moult reprises, histoire de varier les plaisirs, de formidables morceaux de tension comme dans Cali’s Demand ou Closing In et des morceaux de « préparation » assez échevelés mais césurés d’admirables ruptures de tension (comme dans Uneasy Quiet ou Beginning Of The Plan avec son système de codage morse au piano résolument jouissif). Les purs morceaux d’action ou de démonstration de force et de virtuosité orchestrale ne perdent jamais leurs qualités rythmiques et/ou mélodiques, comme le démontrent avec une classe folle des morceaux comme Billy’s Escape (sorte de scherzo Williamsien) et son pendant, propulsé par quelques discrets effets synthétiques et un époumonement apoplectique des cuivres, en la présence du bien nommé Running Back To School, le lyrique et ultra-dramatique Jack Gets It (un des clous du spectacle) ou encore, et c’est sans doute là l’un des morceaux les plus mémorables de tout le score (ou à défaut, son point d’orgue), l’haletant, ébouriffant et implacable The End Of Cali où les timbales, doublées d’un low piano entêtant (pas si loin d’être un enfant caché goldsmithien), relancées par des interventions de harpe (!!!) et de bois d’une finesse ahurissante, achèvent l’auditeur déjà au bord de la crise cardiaque. Celui-ci en sortira groggy mais incroyablement redevable à Folk de ne jamais faire dans la facilité, ni rythmiquement (les jeunes loups de l’écurie zimmérienne devraient étudier de près cette partition), ni, encore moins, harmoniquement. Folk conclut sa symphonie pour muscles et panache dans une reprise lyrique qui jamais ne se cache sous de faux semblant de timidité qui ne lui siérait guère.

 

A l’image des étudiants du film, rejetés par un système incapable d’utiliser leurs aptitudes, le compositeur Robert Folk, malgré ce fait d’armes hautement distingué (et distinguable), n’aura jamais vraiment joui de l’aura qu’il aurait pourtant amplement méritée ! Et encore moins le système hollywoodien « old school » n’aura su mettre en évidence son indéniable talent à écrire de la musique de film efficace qui, par-dessus le marché, denrée ô combien rare de nos jours, se tient fort bien en dehors de tout support visuel.

 

Christophe Maniez
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