Un film (jamais sorti en France ni même diffusé sur nos petits écrans) et une musique étonnants, tous deux difficiles à ranger dans une case. Prancer est-il un film de Noël ? Un film fantastique ? Une étude sociale ? Le film reçut en 1989 un bon succès critique (notamment pour le jeu de la toute jeune actrice principale Rebecca Harrell Tickell dans son tout premier rôle) et un bon accueil de la part du public, et est depuis lors devenu un classique de Noël Outre-Atlantique. Certains peuvent aujourd’hui s’en étonner car l’œuvre ne ressemble en rien au film de Noël tel que l’on se le représente.
L’histoire écrite pour émouvoir ne manipule pourtant pas les sentiments du spectateur car la base du scénario est très, voire trop, réaliste pour un film de Noël. Le récit se court-circuite lui-même en oscillant perpétuellement entre ce qui pourrait apparaître comme une avalanche de bons sentiments et un cadre social particulièrement sombre. Prancer est avant tout l’histoire de Jessica, 8 ans, traumatisée par le décès de sa mère. La fillette habite à la ferme dans un village où la crise économique fait chaque jour de nombreux dégâts. Un père très contrarié, en apparence peu aimant et incapable d’élever son enfant, un frère rebelle, une meilleure amie qui ne croit plus au Père Noël…, voici le quotidien de Jessie, qui compensera son chagrin en se prenant soudainement d’affection, et jusqu’à l’obsession, pour un renne blessé découvert en forêt. C’est elle la véritable héroïne de l’histoire qui, à elle seule, du haut de ses 8 ans, bouleversera la vie de tout un village.
A l’instar du film, la bande originale de Maurice Jarre propose une nouvelle approche de la musique de Noël et s’écarte des standards habituels, se mettant au niveau de l’enfant, décrivant ses sentiments perturbés, ses peurs et ses espoirs, lui donnant la voix dont on la prive, au sens figuré comme au sens propre. La musique s’inscrit dans la grande tradition électronique des scores de Jarre des années 1980 où il utilisait le synthétiseur non comme une manière de remplacer un orchestre à bas prix, mais comme un instrument à part entière. Son orchestrateur n’est autre que son fidèle assistant Patrick Russ.
Pour accompagner un piano solo et quelques cordes, Jarre fait appel à ses instruments fétiches de l’époque, l’EWI (Electronic Wind Instrument, déjà utilisé pour Witness par exemple) et une harpe celtique (utilisée dans Dead Poets Society). Ces instruments sont tour à tour employés pour soutenir des envolées lyriques, douces et fragiles, connectées aux sensations de la petite fille et à la grandeur mythologique du renne, ou au contraire des morceaux plus inquiétants, plus tendus, hantés par le malheur des villageois et l’univers sombre des forêts hivernales, décrivant également l’inquiétant entourage de Jessie (le manoir peu accueillant de la voisine représentée comme une sorcière et s’inspirant de la tradition des films d’horreur des années 80).
Le thème final, particulièrement émouvant avec ses chœurs, décrira quant à lui la libération du renne, la libération de la parole de Jessie, et la libération du père de la fillette enfin prêt à aller de l’avant. Une version concert orchestrale est proposée sous forme d’une suite d’un peu plus de six minutes sur le réenregistrement consacré par Tadlow Music à Lawrence Of Arabia et sur le disque Milan intitulé Maurice Jarre At Abbey Road.