EL ORFANATO (2007)
L’ORPHELINAT
Compositeur : Fernando Velázquez
Durée : 47:26 | 16 pistes
Éditeur : Rhino / Warner Music
Il n’est parfois pas inutile qu’une partition revendique avec force conviction, et de la manière la plus brillante qui soit, que sa réussite tient avant toute chose à son articulation au sein du langage cinématographique qu’elle accompagne. Ne cherchez donc pas dans cet Orfanato l’expression franche et nette d’une personnalité musicale identifiable entre mille, ni même les signes d’une volonté farouche de créativité formelle. Joli thème lyrique, crescendos tendus, notes suspendues, crissements de cordes, frénésie des bois, grognements de cuivres, glissements de timbales, intervention d’un chœur (au bête prétexte de « symboliser les enfants », dixit le réalisateur), Fernando Velázquez joue tout bonnement dans la même cour et avec les mêmes jouets que bien de ses confrères sur des sujets comparables, et pas seulement espagnols.
On passe donc très vite sur Javier Navarrete (El Espinazo del Diablo [L’Échine du Diable]), Alejandro Amenábar (Los Otros [Les Autres]) ou même Roque Baños (Frágiles [Fragile]) pour se surprendre aussi à déceler dans le court générique un petit je-ne-sais quoi de John Ottman, à discerner ici ou là un gimmick auquel James Newton Howard aurait lui-même consenti, ou encore à dénicher le Ennio Morricone qui sommeille dans la légèreté de certaines amorces mélodiques… C’est dire alors si on a tôt fait de se croire, à raison qui plus est, en terrain connu et prévisible. Et pourtant, pour qui prête une oreille attentive, le travail du compositeur n’en paraîtra pas moins admirable.
La raison en est simple : si les moyens employés sont effectivement tout ce qu’il y a de plus classique, la justesse, voire la perfection de leur mise en œuvre au sein du film est particulièrement flagrante. Plutôt que de n’apporter qu’un simple commentaire, la contribution de Fernando Velázquez tend à devenir ni plus ni moins que le prolongement musical de la mise en scène de Juan Antonio Bayona. Plus exactement, ses interventions, minutieusement pesées et ajustées (nombre de scènes, dont un saisissant « Un, dos, tres, toca la pared », ne bénéficiant d’aucun soutien), agissent de concert avec les effets sonores pour s’imposer en tant qu’extension naturelle du travail d’éclairage sur le film : capables d’embraser l’image de la manière la plus crue comme de la nimber d’une aura délicatement surnaturelle, elles vont jusqu’à suppléer carrément la mise en lumière lors d’une fascinante scène de régression où la musique devient à ce point aveuglante qu’elle donne littéralement corps au hors-champ visuel bien plus que ne le ferai n’importe quel subterfuge de prise de vue.
Le compositeur fait ainsi sienne l’idée d’une proximité émotionnelle permanente avec ce que vit le personnage principal. Là où elle aurait pu, en se montrant trop superficielle et maladroite, tirer dangereusement le spectateur hors du récit, ruinant de même coup l’impact de la mise en scène, la partition de Fernando Velázquez fait au contraire le pari d’entraîner celui-ci au cœur même du drame, aux côtés du personnage interprété par l’ahurissante Belén Rueda. Le tout mènera impeccablement à un final attendu d’où la mélodie principale, enfin débarrassée des entraves qui la contrariaient jusqu’ici, émerge plus que jamais embellie afin de réchauffer avec un sentiment de totale plénitude et de bienfaisance un dénouement bouleversant, sans pour autant qu’à un seul instant la mièvrerie ne l’emporte sur la sincérité du mélodrame : ce n’est pas, loin de là, un moindre exploit.
A l’heure où bon nombre de critiques français, pourtant prompts par ailleurs à se hasarder hors des limites de l’analyse filmique proprement dite pour légitimer un succès populaire national, continuent d’exprimer leurs doutes et leur incompréhension face à l’engouement suscité par le film dans son pays, on se dit que le public espagnol, lui, a tout compris. C’est dire en définitive combien il serait hautement regrettable, sous couvert de l’absence (réelle mais secondaire) d’audaces formelles, d’occulter, répétons-le, la complète réussite d’une partition qui, avec ses allures de simplicité et d’évidence, parle au cœur, tout simplement.