EL ORFANATO (2007)
Réalisateur : Juan Antonio Bayona
Compositeur : Fernando Velázquez
Séquence décryptée : Reunión y Final (1:35:50 – 1:40:15)
Éditeur : Rhino
Frissonner. Les mains sur les yeux, prêt à se cacher de cette image qui nous fait frémir, telle est l’attente du spectateur de films d’horreur. Frissonner et frémir, depuis toujours, au spectacle des monstres. Mais dans le frisson provoqué par leur apparition, n’y a-t-il pas aussi, un peu de compassion ? Frissonner et frémir, bien entendu, mais aussi frissonner et compatir, voilà la sensibilité de ce cinéma fantastique espagnol émergeant à la fin des années 90 qui, s’il n’a pas inventé une nouvelle manière de regarder les monstres, l’a fait d’une manière originale et unique, qui a touché le cœur des spectateurs comme des cinéastes au point de constituer un genre à part entière, hanté pas des fantômes inconsolables, des malédictions secrètes, ou des possessions tragiques et, presque toujours, un traumatisme à réparer, même si la réparation n’est jamais possible sans payer le prix le plus fort. Comme dans El Orfanato, de Juan Antonio Bayona.
Développé sous la houlette de Guillermo del Toro, le film vient prolonger un cycle entamé par El Espinazo del Diablo (L’Échine du Diable), auquel ont répondu des films comme Frágiles (Fragile), The Others (Les Autres) ou, en France, Saint-Ange. Reprenant les motifs déjà traités par ses prédécesseurs, mais peu intéressé par le folklore horrifique, Bayona les assèche au point de mettre en doute l’appartenance de son film au fantastique, en embrassant avec une rigueur totale et une empathie sans alternative le regard de son héroïne, à laquelle sa folie finit par laisser apparaître le suicide comme seul moyen de poursuivre son existence. Une fin tragique pour laquelle Bayona va proposer un traitement courageux, reposant en grande part sur la composition du jeune Fernando Velázquez. Capable comme un autre lorsqu’il s’agit de nous faire sursauter d’un bon coup de cuivre, c’est par son talent de mélodiste qu’il se distingue déjà à l’époque. Gratifiant le film du premier de ses thèmes crève-cœur, le compositeur a convenu avec son réalisateur d’en réserver l’orchestration symphonique la plus complète et solaire pour le terrible final du film.
Après s’être persuadée que participer à un jeu de piste organisé à son attention par les fantômes d’anciens pensionnaires de l’orphelinat où elle est revenue vivre devrait lui permettre de retrouver son fils, disparu il y a un an, Laura doit se confronter à la réalité la plus inacceptable : Simon est bien mort, dans sa propre maison, des suites d’une série de négligences. Son corps décomposé, auquel elle cramponne désespérément les derniers lambeaux de sa raison, en est la preuve indiscutable. Simon ne reviendra pas. Mais peut-être Laura peut-elle le rejoindre. Avalant une surdose de médicaments, elle décide de mourir. Factuelle, la mise en scène recourt toutefois au symbole pour signifier le trépas de la femme : la chaîne en or, donnée comme un talisman protecteur par son mari, qu’elle brise dans un dernier spasme. Comme pour souligner que la vie a quitté la scène, la caméra s’attarde sur les décors apaisés de l’orphelinat, en une suite de plan qui pourraient être conclusifs. Tout ce début de la séquence s’est déroulé en silence, sans musique, sans effets sonores.
Puis quelques chose bouge, des bruits se font entendre, de plus en plus fort. Ce sont les grattements que nous avons associés aux manifestations fantomatiques, et qui ont annoncé jusqu’ici les séquences horrifiques du film. Laura relève la tête. Une lumière dorée la nimbe d’un coup. La couleur nous indique le changement de sensibilité. Cette fois, nous n’allons pas frémir, mais compatir. La musique démarre alors, et prend par la main la montée de notre émotion. Un crescendo orchestral, d’abord mené par une flûte, peut-être choisie pour donner un écho musical à la figure de Peter Pan, hantant tout le récit, puis se gonflant de cordes, de bois, d’un chœur enfin, en un lento qui nous presse de nous abandonner à cette émotion retenue tout le film durant, épanchée par cette conclusion musicale libératrice. Mais cette volupté du sentiment à laquelle on peut enfin se laisser aller, c’est aussi celle de Laura se donnant la mort, incapable de renoncer aux souvenirs de son enfance et de son fils et qui préfère s’imaginer les rejouer sans fin dans un au-delà auquel le réalisateur choisit de donner l’image d’un bonheur retrouvé.
Il est parfois bon de se souvenir que la musique de film n’a de valeur que celle que les images lui donnent. Difficile d’imaginer, en écoutant sur disque la belle et simple élégie de Fernando Velázquez, à quel point elle devient vénéneuse et dévastatrice en n’évoquant un réconfort attendu tout au long du film qu’à travers le suicide de son héroïne anéantie de chagrin. Mais c’est le prix qu’on paye parfois, à faire le pari de l’empathie, que de devoir suivre les personnages dans les ténèbres. Velázquez, qui faisait là ses premiers pas, s’en est toujours acquitté sans hésiter, la main sur le cœur, et une foi jamais démentie dans le pouvoir qu’a la mélodie pour traduire des émotions informulables. Comme la béatitude désespérée de Laura.