John Carpenter en concert au Grand Rex

Les synthés vintage de Big John ont fait une escale remarquée à Paris

Évènements • Publié le 01/12/2016 par

Assis, seul au niveau balcon, largement en avance sur l’horaire prévu du début du concert, on laisse aisément son regard et son esprit vagabonder : sur la scène en contrebas d’abord, baignée d’une lumière bleutée et où patientent déjà sur leur support claviers, guitares et batterie ; vers la décoration chic de la salle du Grand Rex dont le plafond, notamment, figure un bien clément ciel étoilé alors qu’à l’extérieur, en ce mercredi 9 novembre 2016, le temps est plutôt à l’averse… Très vite néanmoins, l’éclairage faiblit et une musique électro retentit soudainement, sans qu’aucune annonce ne la précède. A moins d’être informé qu’une première partie est programmée, ce qui est apparemment loin d’être le cas de tout le monde, difficile de savoir de quoi il est question, d’autant que ceux qui se trouvent à la droite de la salle ne peuvent absolument rien voir.

 

Pourtant installés bien à gauche, de jeunes gens non loin croient d’abord qu’un simple enregistrement est diffusé, avant de se rendre compte qu’une silhouette à peine visible dans l’ombre, à la lisière droite entre la scène et les coulisses, marque le tempo de la tête derrière son matériel : il s’agit du graphiste et DJ Uncle O qui vient de lancer une longue prestation de près d’une heure quinze sans respiration, faite d’ambiances variées plus ou moins inspirées dont certaines ne sont pas sans préfigurer le concert à suivre. De quoi prendre son mal en patience en tout cas, et couvrir le brouhaha des spectateurs qui déambulent dans les allées, ticket à la main, et s’installent joyeusement.

 

En cet instant, on se plaît d’ailleurs à se demander à quoi peut bien ressembler le public-type d’un réalisateur-musicien dont l’heure de gloire, malgré deux récents mais relativement confidentiels albums instrumentaux, semble bel et bien franchement lointaine aujourd’hui. Bien malin en vérité qui peut trancher cette question : d’un côté, sur le siège mitoyen, une jeune fille seule d’à peine quinze ou seize ans, portable et paquet de pop-corn en main, textote sans relâche ; de l’autre, en bout de rangée plus loin, un genre de vieux routard, blouson de cuir et regard malin derrière sa barbe blanche, attend placidement ; plus haut, deux trentenaires discutent musique de film non sans passion : il y est notamment question d’Alexandre Desplat et de Brian Tyler.

 

John Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand Rex

 

La musique cesse finalement. Uncle O reçoit une salve d’applaudissements, fait un geste de la main pour remercier le public et se retire en coulisses. Il reste un petit quart d’heure d’attente et l’impatience gagne cette fois nettement les spectateurs. Enfin, l’éclairage de la salle s’efface à nouveau, des spots de lumière rouge éclairent faiblement la scène, une note synthétique retentit et les musiciens entrent pour s’installer, suivis du maître de cérémonie de cette soirée à n’en point douter exceptionnelle. Big John s’avance alors tranquillement sous les cris et applaudissements, lève les deux bras, serre des poings avant de gagner son propre clavier, désigne le public du doigt et esquisse un léger déhanchement. Les premières notes du thème emblématique d’Escape From New York (New York 1997) font mouche : le public est instantanément conquis, d’autant que les écrans disposés à l’arrière du groupe affichent bientôt les images du film. A l’issue ensuite d’une version bien pêchue du Main Title de Assault On Precinct 13 (Assaut), le réalisateur lance soudain un « Hello Paris, I’m John Carpenter » auquel les spectateurs répondent en approuvant généreusement. Se succèdent alors les morceaux Vortex et Mystery, les premiers extraits des deux récents albums Lost Themes, avant qu’une nappe de brume n’envahisse la scène pour amorcer le thème principal de Fog. Ambiance…

 

Deux doigts sur le clavier, manquant parfois même une note, l’autre main enfoncée dans une poche, s’inclinant vers son MacBook entre chaque séquence, John Carpenter n’a qu’un rôle relativement restreint sur scène, presque symbolique au fond, mais le show est néanmoins reçu par le public comme celui d’un genre de rock star. Ses musiciens (deux guitaristes, un bassiste, un batteur et un claviériste qui n’est autre que son propre fils, Cody) se donnent à fond tandis que d’adéquats effets de lumière colorée ainsi que les montages projetés achèvent d’électriser les spectateurs. Succès garanti, par exemple, lorsqu’apparaissent en lettres capitales les messages subliminaux de They Live (Invasion Los Angeles) : OBEY, CONSUME, MONEY IS YOUR GOD…, tandis que résonnent les premières mesures du morceau Coming To L.A.. Surprenant d’ailleurs de constater que quelques images parfaitement choisies suffisent à susciter une envie quasi irrépressible de revisiter la filmographie entière du réalisateur toutes affaires cessantes !

 

John Carpenter prend ensuite la parole pour introduire la séquence suivante, la seule de la soirée qui ne soit pas de son fait : Desolation, extrait de The Thing, lui permet ainsi de rendre hommage à Ennio Morricone, l’un de ses compositeurs préférés, même si l’on sait par ailleurs que leur collaboration n’a pas laissé un souvenir impérissable du côté du maestro italien. Le temps d’un Distant Dream tiré de l’album Lost Themes II, et voilà qu’arrive un autre moment fort de la soirée alors qu’un riff de guitare électrique lance le galvanisant Pork Chop Express du génial Big Trouble In Little China (Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin). La salle exulte !

 

John Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand Rex

 

Deux nouveaux extraits de l’album Lost Themes (Wraith et le sophistiqué Night) et le cinéma s’invite à nouveau avec le motif, particulièrement emblématique lui aussi de la carrière du réalisateur, de Halloween (La Nuit des Masques) : une fois encore, le minimalisme et la fameuse rythmique 5/4 du thème est d’un effet imparable sur une salle qui n’hésite pas à manifester son enthousiasme. Après une séquence glaçante tirée de In The Mouth Of Madness (L’Antre de la Folie), Carpenter introduit à nouveau le morceau suivant en lançant un inattendu et éloquent « Fuck Trump !! » en guise de commentaire à l’actualité du jour (les résultats de l’élection américaine sont en effet connus depuis le matin même) : surgissent alors les accords froids et ténébreux du titre Darkness Begins de Prince Of Darkness (Prince des Ténèbres). Difficile de faire plus explicite !

 

Après à peine une heure de show, le groupe se retire de la scène, vivement rappelé par un public qui ne compte pas en rester là. Tout cela est bien entendu planifié, et la petite troupe revient donc pour mettre un point final à la soirée, d’abord par deux nouveaux morceaux personnels, Virtual Survivor et Purgatory, puis par le dynamique et implacable Plymouth Fury de l’adaptation du roman de Stephen King, Christine. Cette fois, l’évidence est là : John Carpenter et ses musiciens saluent la foule pour la dernière fois avant de disparaître définitivement dans l’obscurité des coulisses.

 

Malgré la brièveté du programme proprement dit (une heure et quart, c’est tout de même peu et certains le regrettent ouvertement, même s’ils le font sans amertume), les spectateurs ressortent un à un de la salle avec un large sourire aux lèvres, toutes générations confondues. Pour tout dire, on n’aurait évidemment pas dit non à quelques minutes supplémentaires consacrées à des titres de la filmographie du réalisateur étrangement absents, tels que la March Of The Children de Village Of The Damned (Le Village des Damnés), Slavers de Vampires ou l’excitant thème-titre de Ghosts Of Mars qui aurait sans doute pu constituer une conclusion absolument jouissive. Par ailleurs, le show s’avère millimétré presque à l’extrême, sans temps mort certes mais ne ménageant également aucune place (ou si peu) à une quelconque improvisation, jusqu’aux interventions du réalisateur qui, si on excepte le bref commentaire du jour, s’avèrent parfaitement identiques de concert en concert.

 

Fort heureusement, ces regrets bien réels s’effacent volontiers devant le souvenir d’un spectacle séduisant et réjouissant, porté par des arrangements rock sans faille et ne dénaturant jamais la pensée musicale originale lorsqu’il s’agit d’extraits de films, l’engagement manifeste des musiciens, l’enthousiasme de John Carpenter lui-même (sans doute fatigué mais à l’évidence ravi d’une tournée européenne dont c’était ici l’ultime date de l’année) et sa relation avec un public largement transgénérationnel entièrement acquis à sa cause dès les premières minutes, si ce n’est bien en amont. Un grand moment de partage, tout simplement.

 

John Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand RexJohn Carpenter au Grand Rex

 

Illustrations : Florent Groult, Jean-Christophe Sommer et Olivier Desbrosses.

Florent Groult
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