Depuis longtemps, l’Orchestre National de Lille propose à chaque saison un programme de musique de film. Lalo Schifrin, Maurice Jarre, Laurent Petitgirard, Georges Delerue lui-même ont dirigé la formation nordiste. Pour le vingtième anniversaire de sa disparition, l’ONL a rendu hommage au compositeur roubaisien en proposant, à l’initiative de Colette Delerue, trois concerts de sa musique, deux à Roubaix et un à Bruxelles. En ce samedi soir, la belle salle du Colisée de Roubaix (un ancien cinéma) était presque pleine pour saluer la mémoire de l’enfant du pays.
Le programme débute de façon inattendue par deux œuvres de concert d’écriture assez moderne : le Mouvement Concertant, pièce difficile (notamment pour les musiciens, comme nous l’ont confié certains d’entre eux), suivi des Variations Libres Pour Un Libre Penseur Musical. On y découvre un Delerue étonnant, rapeux, tendu, dissonant, qui va à l’encontre de l’image un peu réductrice du musicien doux et mélancolique. C’est un aspect plus familier que présente le Concerto de l’Adieu (tiré du film Dien Bien Phu), une des compositions les plus célèbres de Delerue, avec en soliste le jeune violoniste arménien Hrachya Avanesyan. Plutôt qu’un concerto, il s’agit d’un mouvement lent d’une dizaine de minutes, écrit dans un style romantique qui évoque fugacement Bruch ou Mendelsohn. Le violon très éloquent, accompagné sobrement par l’orchestre, y entretient un climat sombre et tragique.
Changement radical d’atmosphère avec la Suite Épique tirée du ballet Les Trois Mousquetaires. Une belle découverte dont on retiendra surtout la palette orchestrale extrêmement riche et la grande diversité mélodique. La façon dont Delerue retravaille le style baroque n’est pas sans rappeler parfois le Britten de Gloriana, comme d’ailleurs sa musique pour Cartouche. On réalise à quel point il pouvait être aussi un musicien très savant, malgré la simplicité qui caractérise souvent sa musique de film. C’est ce caractère de simplicité populaire que l’on retrouve dans l’Hommage à François Truffaut, qui enchaîne certains des thèmes les plus fameux écrits pour le grand réalisateur. Le piano solo est le dénominateur commun de cette suite, que le compositeur avait déjà enregistrée à Londres en 1989, lui-même tenant la partie de piano. Un bref extrait de Salvador, souvent interprété par Delerue en concert, est suivi de la très colorée Suite de Broca, arrangée spécialement pour l’occasion par Raymond Alessandrini. A l’image du cinéma de De Broca, c’est une musique pleine de fantaisie et de légèreté, qui comprend aussi des moments épiques (Cartouche, Chouans) ou d’émotion (Chère Louise).
La deuxième partie du programme proposait cinq pièces brèves composées en hommage à Delerue par des musiciens de cinéma français d’aujourd’hui qui l’ont connu ou ont travaillé avec lui. Chaque composition était précédée d’une brève introduction par le chef Dirk Brossé. Cette section débute par une entrée en matière brillante avec la pièce de Bruno Coulais. Après une introduction dans le style miniaturiste qui lui est propre, l’orchestre fait entendre un réarrangement surprenant des célèbres Trois Petites Notes de Musique, volontairement énorme et caricatural, mais plein d’humour. Frédéric Talgorn surprend alors avec une pièce d’écriture moderne, atonale, construite sur une série tirée des lettres du nom du compositeur (GE–GE- DE-E–E). Transparente et limpide, la pièce de Gabriel Yared met surtout à contribution les cordes, et rappelle quelque peu le mouvement lent du concerto en sol de Ravel. Alexandre Desplat nous propose quant à lui dans A Visit To Skyline Drive une jolie atmosphère feutrée et émue, animée d’un beau mouvement lyrique. Enfin, Raymond Alessandrini, seul compositeur présent dans la salle, fut le pianiste de Delerue pendant plusieurs années : il nous offre une pièce légère, enlevée et plaisante.
Clin d’œil final avec le glorieux Grand Choral de la Nuit Américaine, l’un des tubes du compositeur, sorte de pastiche de Haendel et de Bach comme Delerue en était friand, mais dont les traits rapides de violons ont mis à rude épreuve les pupitres de la formation nordiste. En complément de programme, les musiciens ont enfin joué le très beau Thème de Camille extrait du Mépris, un des plus inspirés de Delerue.
On saluera une programmation originale et intelligente, riche en découverte, où le rapprochement de pièces de concert et de musiques de film montre bien comment Delerue savait selon le contexte aménager son langage, l’alléger, montrant clairement deux facettes bien différentes de son immense talent. Le chef belge Dirk Brossé, bien connu des béophiles, s’est fait depuis de nombreuses années une spécialité de l’interprétation en concert de partitions écrites pour l’image, en particulier dans le cadre du Festival de Gand. Sa direction précise au geste ample et rond et la visible implication des musiciens ne sont pas pour rien dans la jolie réussite musicale de la soirée.
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