The Sorcerer’s Apprentice (Trevor Rabin)

L'Apprenti Compositeur

Disques • Publié le 05/10/2010 par

The Sorcerer's ApprenticeTHE SORCERER’S APPRENTICE (2010)
L’APPRENTI SORCIER
Compositeur :
Trevor Rabin
Durée : 43:15 | 22 pistes
Éditeur : Walt Disney Records

 

3 out of 5 stars

Visiblement peu amateur de grands défis ces dernières années (certains diront «depuis toujours»), Trevor Rabin semble s’être résolument limité aux films de ses amis (le médiocre 12 Rounds [Shoot & Run] de Renny Harlin, le siphonné G-Force [Mission G] chapeauté par Jerry Bruckheimer) et aux productions Disney. La nouvelle version de The Sorcerer’s Apprentice (L’Apprenti Sorcier) lui permet de combiner les deux en renouant avec le tandem gagnant des National Treasure (Benjamin Gates) : le producteur Bruckheimer et le réalisateur Jon Turteltaub. Impossible dans ces conditions d’espérer une partition digne de celles des Harry Potter ou encore de Percy Jackson, ici l’on joue clairement dans une autre cour ! Ne rien attendre de la musique de The Sorcerer’s Apprentice – tout comme du film, d’ailleurs – était sans doute le meilleur moyen de ne pas être déçu, et du coup c’est très bien : on ne l’est pas ! Ceux que rebutent les partitions lourdingues de l’auteur de Snakes On A Plane (Des Serpents dans l’Avion) passeront leur chemin, mais les autres s’estimeront heureux de pouvoir bénéficier d’un album contenant presque trois quarts d’heure de score, même si celui-ci n’est disponible qu’en téléchargement.

 

Certains se demandaient avec malice si cette nouvelle musique allait assumer ou non l’héritage de celle composée en 1897 par Paul Dukas et immortalisée quelques décennies plus tard dans Fantasia. Il paraissait évident que l’ex-guitariste du groupe Yes n’allait tout de même pas oser s’aventurer sur ce terrain… Eh bien si, il ose ! Il fallait se sentir particulièrement décomplexé pour proposer une reprise de ce thème sous une forme majoritairement synthétique, mais cela ne fait pas peur à notre bon Rabin : plus kitsch que jamais, celui-ci semble ne toujours pas avoir compris qu’en 2010, ce genre de formule tient de l’absurde… Si dans le film, la référence au classique de Disney se révèle plutôt inattendue et sympathique, en matière de musique c’est une autre histoire, d’autant plus que très rapidement, le compositeur s’oriente vers des sonorités que l’on croirait issues des musiques de la trilogie Pirates Of The Caribbean (Pirates des Caraïbes), non composée par Rabin mais produite par Jerry Bruckheimer et Disney – ceci expliquant cela. Le pire intervient dans la dernière piste, Fantasia Original Demo, summum du mauvais goût dont la présence sur l’album reste incompréhensible et qu’il vaut mieux oublier.

 

L'apprenti Nicholas Cage

 

Plus sérieusement, la musique de The Sorcerer’s Apprentice débute vraiment avec Story Of The Prime Merlinian, qui accompagne le récit de la légende des sorciers. On reconnaît d’emblée le style du compositeur, fait de cordes d’abord trépidantes et dramatiques puis très rapidement tire-larmes, bientôt rejointes par des cuivres grondants puis solennels et par une avalanche de percussions tonnantes. Comme dans Deep Blue Sea (Peur Bleue) les chœurs sont très présents, conférant à la musique une noblesse, une emphase et une dimension liturgique tout à fait adaptées au sujet. À mi-parcours, les origines rock du musicien le rattrapent et l’on verse dans l’habituel mélange guitare électrique / batterie / synthés / orchestre symphonique qui caractérise Remember The Titans (Le Plus Beau des Combats), American Outlaws et tant d’autres. Ceux qui apprécient ordinairement le style de Rabin ne seront pas dépaysés tandis que les autres pourront de nouveau déplorer l’usage inutile, pour ne pas dire imbécile, du synthétiseur, qui plombe systématiquement les envolées orchestrales. Il faut se faire une raison, c’est comme ça que procède le bonhomme et on le laisse faire. Cela ne l’empêche pas à de nombreux moments de trouver des mélodies et des rythmes fort entraînants voire enthousiasmants, ce qui est de nouveau le cas ici. Construit sous forme d’un long crescendo oscillant entre ténèbres et lumières et débouchant sur l’exposition du thème principal, très pompier mais aussi très accrocheur, Story Of The Prime Merlinian constitue une entrée en matière tout à fait honorable.

 

Assez doué pour les thèmes mémorables mais trop souvent paresseux pour les développer et livrant parfois des partitions qui en sont dépourvues jusqu’à l’indigence (on pense au calamiteux The One), Rabin fait ici un effort bienvenu et nous propose plusieurs motifs marquants. Tout d’abord, on trouve le thème majeur caractérisant l’héroïsme de Balthazar et de son apprenti, qu’on a déjà l’impression d’avoir entendu plusieurs fois ailleurs mais qui fonctionne toujours très bien, pompeux et triomphal dans les grandes scènes d’affrontement (Morgana Fight, Car Chase, Horvath Made Off With The Grimhold) puis dans le finale (Dave Revives Balthazar). Ce thème revient, plus lyrique et intimiste, dans les scènes mystérieuses et réflexives comme The Ring, Dave Has Doubts, Story Of Veronica ou encore Sorcerer’s Apprentice Suite qui le présentent sous des formes tantôt atmosphériques, tantôt dégoulinantes, dominées par une guitare et des violons sirupeux rappelant beaucoup Armageddon, le grand succès du compositeur. Vient ensuite un motif d’aventure fort rythmé et prenant fait de cordes véhémentes et de percussions martiales accompagnées par la guitare électrique, que l’on entend dans The Urn, Morgana Fight et Car Chase. C’est aussi dans The Urn qu’apparaît le motif associé à Horvath et aux méchants sorciers, fait de cordes très graves, de lourdes percussions et de gros rythmes synthétiques, assez proche du thème de Cyrus dans Con Air (Les Ailes de l’Enfer). Quant au motif choral et épique correspondant au combat entre les sorciers dans Story Of The Prime Merlinian, il intervient logiquement au cœur de Morgana Fight. Mine de rien, tout cela structure fortement la composition.

 

L'apprenti Alfred Molina

 

Outre divers petits morceaux plutôt anecdotiques, le score alterne les pistes élégiaques liées à la romance naissante entre Dave et Becky mais aussi aux souvenirs de Balthazar et Morgana, et les séquences humoristiques associées au quotidien du héros, loin de l’univers fantastique des sorciers (Classroom, Walk In The Rain). Ces passages sont marqués par un mélange de piano, de guitare et de diverses percussions aux sonorités cristallines, directement imité du style de Thomas Newman (American Beauty) et de son frère David dans les comédies. Cette formule avait déjà été employée par Rabin dans les National Treasure et reprise ensuite par Steve Jablonsky dans Transformers : rien d’original, mais cela fonctionne assez bien dans le film. Évidemment, la pièce de résistance est constituée des gros morceaux d’action, plus ambitieux tant au niveau des moyens que des dimensions : tout comme Story Of The Prime Merlinian et Morgana Fight, Bull Fight met bien en valeur les chœurs, spécifiquement associés aux scènes où l’on fait un large usage de la magie et des effets spéciaux. Pour ce qui est de l’action proprement dite, le must est contenu dans le tonitruant Car Chase, synthèse du meilleur et du pire de Rabin, où les divers motifs s’entrelacent – ou plutôt s’entrechoquent – au son de batteries et de guitares électriques déchaînées : sonorités synthétiques assourdissantes, cuivres grinçants, rythme frénétique et épuisant, pas de doute, on est bien chez l’auteur de Gone In 60 Seconds (60 Secondes Chrono) et de Bad Boys II, grand spécialiste ès-séquences de poursuite en voitures !

 

Au final, le score de The Sorcerer’s Apprentice n’est ni la grande musique qu’on aurait pu attendre ni le four que l’on était en droit de redouter, il remplit tout simplement sa fonction divertissante avec un professionnalisme certain et correspond très exactement à ce qu’a conçu le producteur Jerry Bruckheimer, à savoir un film de sorciers modernes beaucoup plus rock’n’roll que respectueux des traditions de la fantasy classique… Cette nouvelle musique permet surtout d’entériner le constat plusieurs fois établi au sujet de Trevor Rabin : souvent honni des béophiles, ce dernier est bien entendu très loin de compter parmi les grands compositeurs mais, contrairement à bon nombre de poulains issus de Remote Control Productions dont on le rapproche souvent – alors que malgré ses accointances avec Zimmer, Harry Gregson-Williams et Steve Jablonsky, il n’a jamais été affilié au fameux studio, au même titre que son ami Mark Mancina – il possède une vraie patte, un univers bien à lui et une capacité à transporter le spectateur que n’ont pas la plupart de ses collègues. Certes, son style est souvent simpliste, limité et figé depuis de nombreuses années, son écriture est pleine de carences et de lourdeurs et l’on a vraiment l’impression qu’il ne s’est jamais remis des années 80, mais il demeure la plupart du temps efficace et fort sympathique. Quelque part au sein de l’industrie hollywoodienne, il joue son rôle à sa mesure et ne prétend pas à une place qui ne serait pas la sienne, ce qui n’est hélas pas le cas de tout le monde…

 

L'apprenti poster

Gregory Bouak
Les derniers articles par Gregory Bouak (tout voir)