Psycho (Bernard Herrmann)

Tout sur ma Mère

Disques • Publié le 06/09/2010 par

PsychoPSYCHO (1960)
PSYCHOSE
Compositeur :
Bernard Herrmann
Durée : 57:57 | 39 pistes
Éditeur : Unicorn-Kanchana

 

5 out of 5 stars

Cinquante ans après la sortie de Psycho (Psychose), que peut-on dire du chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock qui ne l’ait déjà été maintes et maintes fois ? Ce qui devait au départ n’être qu’un simple téléfilm tourné en noir et blanc et adapté d’un roman certes fascinant (Psycho de Robert Bloch, 1959) mais encore peu connu, est devenu l’un des modèles absolus du thriller psychologique et surtout du film d’épouvante en général, déterminant les canons du genre pour les décennies à venir. Parmi les plus connus, Brian de Palma avec Sisters (Sœurs de Sang), Dario Argento avec Profondo Rosso (Les Frissons de l’Angoisse), Paul Verhoeven avec The Fourth Man (Le Quatrième Homme) puis Basic Instinct, et bien d’autres encore, seront marqués à vie par ce monument. Bénéficiant d’un scénario magistral signé Joseph Stefano, mis en scène avec une rigueur implacable, monté avec un sens du rythme et du suspense qui en fait une véritable leçon de cinéma, Psycho terrifie en profondeur et s’apprécie toujours davantage après de multiples visionnages.

 

Doué d’un art de la manipulation diabolique auquel le jeu habité d’Anthony Perkins contribue largement, servi lors de sa sortie par des accroches médiatiques excellentes (interdiction d’entrer dans la salle une fois le film commencé), pervers, sexy et morbide, le film d’Alfred Hitchcock fera à tout jamais partie des incontournables du septième art. Les suites réalisées par Richard Franklin (après vingt-trois ans d’attente, durée qui suffit à prouver combien l’entreprise était dérisoire), Anthony Perkins lui-même puis le médiocre Mick Garris, présenteront très peu d’intérêt hormis pour les fans d’un acteur principal condamné à rejouer éternellement le même rôle. Quant au remake signé Gus Van Sant, il vaut mieux l’oublier, sa seule vertu étant d’engager à se retourner prestement vers le film d’origine qui se suffit largement à lui-même.

 

Norman Bates (Anthony Perkins)

 

La collaboration entre Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann compte parmi les plus marquantes de l’histoire du cinéma. Considéré comme l’un des compositeurs les plus exigeants et les plus emblématiques de ce qu’on a coutume d’appeler « l’Âge d’Or » hollywoodien, le compositeur est devenu le véritable alter ego musical du maître du suspense sur pas moins de neuf films, de The Trouble With Harry (Mais qui a tué Harry ?) en 1955 à Torn Curtain (Le Rideau Déchiré) en 1966. Si certaines de ces collaborations s’avèrent décevantes (sur The Birds [Les Oiseaux], qui ne contient pas de musique, Herrmann n’est que consultant musical ; quant à son score pour Torn Curtain, il sera rejeté, ce qui mettra fin à sa relation avec Hitchcock), d’autres aboutissent à de véritables chefs-d’œuvre de suspense et d’émotion comme Vertigo (Sueurs Froides) et North By Northwest (La Mort aux Trousses). Psycho, dernier volet de cette fascinante trilogie, compte parmi les plus belles réussites du musicien.

 

Pour les passionnés, la petite histoire du score est presque aussi formidable que celle du film. Au départ, Hitchcock, qui ne croyait pas trop au potentiel de son film, avait prévu de ne pas utiliser de musique du tout, puis avait opté pour une musique de jazz (mais quelle idée ?!). Herrmann, dont les partitions n’étaient pas étrangères aux succès de ses films précédents, lui a néanmoins proposé de composer quelque chose, y compris pour la scène du meurtre sous la douche que le réalisateur voulait absolument laisser sans musique. En un mois seulement, Bernard Herrmann a livré un travail tellement stupéfiant qu’Hitchcock lui-même a dû convenir que sans la musique le film perdait « au moins un tiers de son efficacité » ! Le compositeur a parfaitement su tirer parti des contraintes budgétaires en faisant appel à un orchestre exclusivement composé d’instruments à cordes (une cinquantaine au total), optant selon ses propres mots pour un « score en noir et blanc », en réponse au noir et blanc des images ; du coup, malgré un budget fort serré, Herrmann a été payé le double de son salaire habituel tellement le metteur en scène s’est montré satisfait de son travail !

 

Lila Crane (Vera Miles)

 

Ce qui fait la spécificité de la musique de Psycho, ainsi qu’il a été dit par bon nombre de spécialistes, c’est précisément la richesse et la variété de couleurs et de sonorités que Bernard Herrmann a su tirer des instruments à cordes, jusqu’alors trop souvent réservés à des emplois plus romantiques. Les accents habituellement chaleureux des violons se font ici froids et maladifs, bien plus souvent mortifères que réconfortants. Depuis les attaques frénétiques et hautement dramatiques du Prelude jusqu’aux mélodies insidieuses et inquiétantes de The City, en passant par les hurlements stridents de The Murder, l’une des pièces les plus agressives jamais composées pour un thriller – et qui servira de référence absolue pour toutes les musiques de slasher movie depuis John Carpenter jusqu’à Christopher Young et Marco Beltrami, Herrmann nous offre une véritable symphonie de l’angoisse à la puissance sidérale et rarement égalée depuis. Susurrante, gémissante, inquiète, langoureuse, fantastique, la musique explore une gamme d’émotions particulièrement étendue et subtile. De sensuelle et passionnée dans Marion And Sam, elle se fait totalement désaxée et malsaine dans The Madhouse ou The Body.

 

Capable de créer un suspense et une tension tels qu’il scotche littéralement le spectateur à son fauteuil, accélère son rythme cardiaque et le plonge dans des abîmes de malaise, le compositeur livre petit à petit un fascinant portrait musical du tueur à travers un score bouillant de passions réprimées, de nostalgie, de culpabilité et de dépression, rongé par des désirs et des fantasmes oscillant entre tendresse et violence et allant jusqu’à la perte totale de repères. Lancinants et hypnotiques, les mouvements des violons et des violoncelles ouvrent sur des contrées psychiques désolées où seule règne la peur. À ce titre, les séquences précédant les meurtres, The Peephole et The Stairs, sont des morceaux de bravoure définitifs, longs crescendos pleins de mystère et de menace traversés d’éclairs de mélancolie impuissants à endiguer la pulsion de mort et débouchant sur la plus extrême violence.

 

Tantôt dramatique et passionnée (The Office), tantôt solennelle et résignée (The Madhouse, Finale), à la fois étonnamment illustrative (les tourbillons étourdissants de The Water) et dotée d’un fort potentiel d’abstraction, toujours poignante et vertigineuse, la musique de Psycho confère au film toute sa charge émotionnelle mais s’avère également passionnante à écouter indépendamment des images. L’album édité par Unicorn (épuisé aujourd’hui), qui propose le score dirigé par le compositeur lui-même quelques mois avant sa mort, était venu combler le manque existant depuis la sortie du film quinze ans plus tôt : en effet, avant 1975 (date d’enregistrement de l’album), aucune version intégrale du travail d’Herrmann n’était disponible, tout au plus quelques suites et autres versions de concert longues d’un quart d’heure dispersées sur des compilations. D’aucuns pourront juger cet album ennuyeux et monochrome, mais ce serait nier le haut degré d’inspiration de l’ensemble, son efficacité imparable, sa beauté vénéneuse et son pouvoir d’évocation immédiat. Après le score de Psycho, la musique de terreur ne sera jamais plus ce qu’elle était avant lui. Bernard Herrmann nous a bel et bien légué un monument de musique de film à la puissance toujours intacte.

 

Gregory Bouak
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