Il était une fois Ennio Morricone… et Moi

L'hommage de la rédaction d'UnderScores au Maestro

Il y a six semaines disparaissait Ennio Morricone. Six semaines, c’est un peu court pour faire le deuil d’une des personnalités les plus incontournables de l’histoire du cinéma, mais suffisant pour quelques membres éminents de la rédaction d’UnderScores de prendre le temps de regarder en arrière afin de revenir sur leur relation personnelle avec le compositeur et sa musique. Dont acte.

 

Cher Ennio,

 

J’ai bien reçu ta lettre datée du 6 juillet dernier. Je t’en remercie, même si j’avoue que c’est un message que je n’étais guère pressé de recevoir. Mais je dois aussi admettre que l’élégance et l’humilité de cette missive offrent un reflet assez juste de  la façon dont tu as vécu ta vie d’artiste. Et quelle vie, longue, riche et passionnée ! Toi et moi, ça a commencé un peu plus tard, il y a bien longtemps pourtant, presque un demi-siècle. Souviens-toi, c’est par le biais de mes parents que nous nous sommes connus, grâce à l’une de ces innombrables compilations intitulées « les plus belles musiques de western d’Ennio Morricone ». Mes goûts musicaux n’étaient encore qu’un territoire en friche, et pourtant déjà j’étais séduit par tes approches tout aussi iconoclastes qu’incurablement romantiques. De ce jour, nous ne nous sommes plus jamais quittés, d’autant que tu rendais souvent visite à de grands amis communs : Eastwood, Leone, Verneuil, Sollima, Giovanni, De Palma, le petit Tarantino et même cette vieille fripouille de Carpenter.

 

Que reste-t-il aujourd’hui de toutes ces années, de cette somme colossale de papier à musique couvert de notes ? Une quantité particulièrement impressionnante de musiques de tous genres, de tous styles, aussi variées qu’inventives, et qui au fil des ans ont conquis le monde : ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise à quel point tu avais de nombreux amis, partout dans le monde, de tous les âges et toutes les origines. Je pourrais aligner sans faillir des dizaines, des centaines même, de titres de ta main qui ont su conquérir mon cœur (et j’en mettrai d’ailleurs quelques-uns en post-scriptum), mais à quoi bon ? Il suffit plus simplement de constater à quel point ton empreinte sur le cinéma mondial, si unique et pourtant universelle, a traversé les générations sans montrer le moindre signe d’essoufflement, et restera assurément dans l’histoire pour l’éternité.

 

Après toutes ces années d’activité sans relâche, tu vas enfin pouvoir profiter d’un repos bien mérité. Je t’envie presque, et tu peux être  sûr que je te rendrai visite un de ces jours. Un de ces jours, mais pas tout de suite. En attendant, il me reste encore à revisiter, à découvrir parfois, les innombrables merveilles que tu m’as laissées, pour que ton absence soit un peu moins insupportable. Merci, donc, pour tout, et surtout pour la musique. Bon voyage, Maestro.

OLIVIER DESBROSSES

 

POUR UNE POIGNÉE DE PARTITIONS


1966 The Good, The Bad And The Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand)

1968 Once Upon A Time In The West (Il Était une Fois dans l’Ouest)

1969 Queimada (Queimada)

1970 Sacco & Vanzetti (Sacco et Vanzetti)

1976 Novecento (1900)

1977 Orca (Orca)

1982 Marco Polo (Marco Polo)

1986 The Mission (Mission)

1987 The Untouchables (Les Incorruptibles)

2015 The Hateful Eight (Les Huit Salopards)

 

… ET POUR QUELQUES PARTITIONS DE PLUS *


1968 Tepepa (Trois pour un Massacre)

1968 Vamos a Matar Compañeros (Compañeros)

1973 Il Mio Nome a Nessuno (Mon Nom est Personne)

1975 Moses The Lawgiver (Moïse : les Dix Commandements)

1978 Holocaust 2000 (Holocauste 2000)

1981 Le Professionnel

1982 The Thing (The Thing)

1986 The Mission (Mission)

1989 Casualties Of War(Outrages)

2000 Mission To Mars (Mission To Mars)

 

(*) : On avait dit dix partitions seulement. J’ai triché. ¯\_(:-)_/¯  

 The Good, The Bad And The Ugly : le bon

 

 

Lorsque ma passion pour la musique de film a débuté, vers l’âge de 13-14 ans, bien entendu, je connaissais déjà le nom d’Ennio Morricone. Mon frère ainé avait, je crois, quelques 45 tours de Once Upon A Time In The West et autres musiques du compositeur italien. A l’époque, et encore aujourd’hui, mais sans doute dans une moindre mesure, je ne jurai que par le symphonisme échevelé de John Williams ou les génériques de séries TV. Morricone ne me passionnait guère.

 

Il m’aura fallu plus de deux décennies pour me pencher un peu plus sérieusement sur l’œuvre gigantesque et quelque peu effrayante de cette icône de la musique orchestrale. Si je goûte, souvent avec bonheur, la musique des films de Morricone à sa juste valeur, je dois confesser que nulle autre née de sa plume ne me procure autant d’émotion que The Ecstasy Of Gold, tiré de The Good, The Bad And The Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand).

 

Pourtant, cette musique démarre le plus simplement du monde : un ostinato (une figure, souvent courte et rythmique, répétée) au piano (mi-si-do-la). Puis l’entrée du hautbois sur deux notes successives (une noire en la et une blanche pointée en mi) et voilà que l’ostinato au piano est transposé un ton plus haut. Il ne m’en faut pas plus pour revoir instantanément les images de Sergio Leone dans le cimetière abandonné. Un morceau d’un peu plus de trois minutes où les instruments s’empilent, se répondent et où la voix inimitable d’Edda Dell’Orso reprend la mélodie introduite par le hautbois. Et puis, les cordes s’en emparent et se déchainent, la batterie imprime un rythme implacable, les cuivres reprennent la mélodie à leur tour, puis les cordes, lyriques en diable, se la réapproprient, les chœurs portant le tout à un climax hallucinant d’émotion. C’est systématique et irrépressible.

 

Quand j’entends ce morceau, j’en ai la chair de la poule. Les larmes me montent. De la pure émotion. Pour moi, la musique de Morricone, malgré toute son immense diversité, sera à jamais liée à ce souvenir d’un western si atypique, qui a révolutionné le genre et la conception même du western que je me faisais lorsque j’avais 14 ans.

 

CHRISTOPHE MANIEZ

 

POUR UNE POIGNÉE DE PARTITIONS


1966 The Good, The Bad And The Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand)

1968 Il Grande Silenzio (Le Grand Silence)

1968 Once Upon A Time In The West (Il Était une Fois dans l’Ouest)

1970 Sacco & Vanzetti (Sacco et Vanzetti)

1977 Orca (Orca)

1981 Le Professionnel

1986 The Mission (Mission)

1987 The Untouchables (Les Incorruptibles)

1990 Hamlet (Hamlet)

2000 Mission To Mars (Mission To Mars)

 

The Good, The Bad And The Ugly : le truand

 

 

C’est le propre des génies, je crois, que de donner l’impression à tous ceux à qui ils s’adressent qu’ils ne s’adressent qu’à eux. Et dans le cas de Morricone, nous sommes innombrables à avoir eu le sentiment que le Maestro nous accompagnait intimement, jusqu’à écrire non plus des musiques de films, mais celles de nos vies.

 

Nous avons passé Williams à la génération de nos enfants, mais Morricone, nous l’avons reçu de celles de nos parents. Il était là dès l’enfance, sur ces disques qui, même chez les moins cinéphiles et les moins mélomanes, finissaient sur la pile des 33 ou 45 tours du salon, achetés au supermarché, ou vus en vitrine d’un disquaire. Pour moi, ce fut la musique de Per un Pugno di Dollari (Pour une Poignée de Dollars), couplée sur l’autre face à Per Qualche Dollaro in Più (…Et pour Quelques Dollars de Plus). Un de ces innombrables pressages – quand ce n’était pas des reprises – qui firent les fortunes des éditeurs à l’époque où la musique western se vendait comme telle, à des papas et des mamans forcément fans du genre, apporté en même temps que la liberté et le rock ‘n roll par les G.I. Ce n’était pas chez moi que je l’écoutais, mais chez mon ami Matthias, avec qui je faisais mes premiers pas en cinéphilie, et la découverte émerveillée qu’on pouvait écouter la musique d’un film comme un album, sans avoir besoin de regarder le film.

 

Bien au-delà du cinéma, Morricone est devenu pour moi indissociable de moments, d’endroits, de certaines relations même. Pendant 10 ans, sa chanson pour Un Bellissimo Novembre (Ce Merveilleux Automne) a été sur toutes mes compilations. Elle reste pour moi une des plus belles, une expression parfaite du lyrisme latin de l’italien, mélancolique, un peu kitsch. Pas une soirée, adolescent, sans que quelqu’un ne mette la musique de l’homme à l’harmonica et ne mime le duel de Bronson et Fonda. Je me souviens encore de Matthias, toujours, m’expliquant doctement que la flûte du début de The Good, The Bad And The Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand) imitait le cri du coyote. J’étais circonspect. Il avait raison.

 

Morricone a toujours été là. Jusqu’il y a quelques semaines, lorsque les bibliothèques ont rouvert. Je me suis précipité à ma préférée, et là, comme s’il m’attendait, le coffret de Stéphane Lerouge trônait en haut de l’étagère des musiques de film. Je n’ai pu m’empêcher de dire au bibliothécaire que je me sentais comme un gamin le matin de Noël en l’empruntant. Il est beau, ce coffret. Ennio est mort, mais je ne change pourtant rien à mon programme de l’été : je le passe à écouter les 18 disques témoignant de son unique carrière. Allez, si, juste : j’ouvre grand toutes les fenêtres.

PIERRE BRAILLON

 

POUR UNE POIGNÉE DE PARTITIONS


1966 Navajo Joe (Navajo joe)

1968 Un Bellissimo Novembre (Ce Merveilleux Automne)

1970 Sacco & Vanzetti (Sacco et Vanzetti)

1987 The Untouchables (Les Incorruptibles)

1989 Casualties Of War (Outrages)

 

The Good, The Bad And The Ugly : la brute

 

 

« Mon nom est personne » : voilà assurément le constat un rien amer que les compositeurs de cinéma, d’invariable façon, pourraient établir de leurs rapports avec le grand public. À un si coriace degré d’anonymat, rien n’est capable d’y faire, ni la reconnaissance avouée des pairs, ni les statuettes et autres trophées conquis au sortir de cérémonies endimanchées, ni même les cadors de hit-parade ayant accompli l’exploit de coloniser la mémoire collective. C’est à peine si le nom de Maurice Jarre est visible, noyé dans les replis ondulants de la djellaba de Lawrence ; lardé de coups de couteau par Norman Bates, celui de Bernard Herrmann n’a plus que d’indéchiffrables lambeaux à offrir aux spectateurs indifférents ; John Williams lui-même, légende vivante s’il en est, demeure au-delà du cénacle exigu des connaisseurs le parfait inconnu (« John qui ? »), dont jamais les initiales ne brilleront au firmament où trônent la Raiders March et l’obstinée rengaine de Bruce, le squale morfale.

 

Parmi tous ces patronymes accablés de dédain, une exception, unique en son genre, se détache néanmoins : elle s’appelle Ennio Morricone — ou Sergio Leone, nombre d’étourdis se mélangeant encore et toujours les pinceaux entre le compositeur et son pygmalion hirsute. À elle seule, cette bourde récurrente d’inattention exprime mieux que d’interminables et trop analytiques amphigouris l’impact ravageur d’une fusion de la musique et de l’image telle que le cinéma, pourtant fécond à ce sujet de merveilleux tandems, en connut peu. L’acte de naissance commun aux deux colosses de Cinecittà leur a cependant ouvert des voies bien différentes. Si le caractériel Sergio n’est resté le maître d’œuvre que d’une poignée de films, certes tous mémorables, le boulimique Ennio aura lui noirci des montagnes de papier à musique, ciselé sans repos des amours de mélodies, expérimenté et innové avec l’inextinguible ardeur d’un Géo Trouvetou, butiné d’un genre à un autre sans (presque) jamais laisser des a priori creux aiguiller ses pas… Une vie entière, une longue vie passée au service de ces dieux fabuleux que sont la Musique et le Cinéma.

 

En ces jours endeuillés, l’heure des comptes paraît avoir sonné. Mais le gigantisme tentaculaire d’une œuvre impossible à appréhender au premier regard (pas davantage qu’au second, d’ailleurs, non plus qu’au troisième) a de quoi décourager même une légion d’experts agréés. Tout le monde s’accorde évidemment à reconnaître la phénoménale importance du legs « morriconien », comme la plus enfantine des vérités de La Palice. Mais ces louanges un rien mécaniques, ayant acquis au fil des ans puis des décennies la raideur d’un automatisme usé, ricochent depuis beau temps contre la partie émergée de l’iceberg, sous laquelle, hors d’atteinte des regards point scrutateurs, s’agglutinent par centaines des titres à tous les degrés de l’incognito. Alors, d’un corpus démesuré, il ne restera sans doute dans la mémoire des humbles mortels qu’une petite brassée de bribes — mais quelles bribes ! De celles qui vous hypnotisent, vous happent tout entier, et vous accompagnent pour le restant de votre existence.

 

L’on se souviendra de ce garnement vaincu par la tentation, qui se goinfre de la pâtisserie pour laquelle il avait sacrifié son modeste pécule et qui devait lui attirer les bonnes grâces d’une péripatéticienne ; l’on se souviendra de ce pistolero solitaire, monument historique en devenir, qui se dresse immobile tandis qu’au loin, 150 fils de pute se ruent à bride abattue vers lui ; l’on se souviendra de ce truand dépenaillé qui court à perdre haleine, pris dans le carrousel fou des pierres tombales tournoyant vertigineusement ; l’on se souviendra de cet harmonica lancinant, et de cette silhouette indistincte, masquée par les volutes d’une terrible fournaise ; l’on se souviendra de cet inquiétant œil de verre, éminence globuleuse donnant l’impression d’être à tout instant proche de tomber de l’orbite d’un tueur fou ; oui, l’on se souviendra de ces moments précieux où la musique, élevée au rang de pierre philosophale, se mêle à l’image plus étroitement, plus harmonieusement que si elles avaient toutes deux été une unique et insécable entité.

 

Mieux, l’homme à l’origine de ces miracles répétés ne sera pas oublié lui non plus — que ce soit dans ce monde ou dans l’autre, à l’orée duquel attend Charon, sa paume noire tendue pour réclamer une obole et l’identité de son futur passager. Gageons que le sinistre épouvantail ne manqua pas de redresser sa carcasse toujours voûtée et d’épousseter son vêtement en loques d’un air gêné lorsque se présenta devant lui ce type d’aspect un peu sévère, pas beaucoup plus impressionnant qu’un employé de bureau, qui lui dit sans forfanterie mais d’une voix claire : « Mon nom est Ennio Morricone. »

 BENJAMIN JOSSE

 

POUR UNE POIGNÉE DE PARTITIONS


1968 Il Grande Silenzio (Le Grand Silence)

Dans l’ancestrale culture japonaise, le blanc, pourvu de riches attributs symboliques, reflète l’accès à un degré de conscience supérieur… mais aussi la mort dont nul ne revient. Cette blancheur-là, fatale aux hommes aux abois, enveloppe ainsi qu’un linceul glacé l’inoubliable western de « l’autre Sergio. » Semblable de bout en bout à un poème funèbre, il se voit donner l’extrême-onction par l’inattendu sitar d’un Morricone en état de grâce, sourd à ses propres poncifs « spaghetti » auxquels il préfère une tristesse à fendre l’âme. Ce diamant d’albâtre est l’un de ses merveilleux chefs-d’œuvre.

 

1970 Citta’ Violenta (La Cité de la Violence)

Si le titre, à cent lieues des intitulés à rallonge dont raffole le cinéma italien, s’avère emblématique du polar rentre-dedans des années de plomb, le film ne l’est guère, en revanche. Il suit sans sourciller son chemin buissonnier, au diapason de la gratte lancinante, revêche jusqu’à taquiner l’épiderme, d’un Morricone qui passe à la moulinette les beats funky rendus pérennes par Cipriani, Micalizzi et consort. Ni péloche d’action accro à la justice sommaire, ni bronsonnerie de série, l’un des sommets de la carrière du moustachu taciturne voit toutes ses étonnantes facettes syncrétisées, puis sublimées par l’instinct dramatique décidément sans égal du compositeur.

 

1971 La Corta Notte delle Bambole di Vetro (Je Suis Vivant !)

Grâce à d’anciennes et plus ou moins poétiques analogies, l’orgasme est aussi connu sous le nom de « petite mort ».  Gageons que ce sacré fripon de Morricone avait pareil sobriquet en tête lorsqu’il résolut, pour le giallo qui n’en est pas un d’Aldo Lado, d’écrire une aria glaçante où l’imminence du trépas extorque à la gente féminine des plaintes langoureuses. Les amateurs de mélodies qui ravissent l’oreille auraient cependant tort de se laisser échauder : des cornues en ébullition d’Ennio le savant fou est également sorti un thème sublime, comme un lambeau de la beauté marmoréenne du vieux Prague décrépit.

 

1971 Maddalena (Maddalena)

Chi Mai le bohémien ! En l’écrivant à l’éclosion des seventies pour la bourgade minière de Lauthental, l’ami Ennio n’imaginait pas une seconde que ce délicieux morceau verrait bien du pays, en France tout particulièrement, où il fut trimballé des flingues un peu bande-mou de Bébel aux cavalcades canines de sinistre mémoire. Maddalena, première de ces destinations parfois ubuesques, demeure haut la main la plus passionnante. Tout sauf kitsch ici, Chi Mai infuse avec délectation un enivrant océan de volupté, frangé d’écume et de voix sybarites qui, loin des pulsions morbides dont Morricone aimait à les accabler dans ses gialli, façonnent un érotisme presque insoutenable.

 

1973 Il mio Nome è Nessuno (Mon Nom est Personne)

Nonobstant bien sûr les obélisques monstres érigés par le père fondateur Sergio Leone, voici sans doute, et de loin, le western le plus populaire qu’ait jamais emballé le cinéma italien. On peut gratifier d’un son de cloche identique la musique du Maestro, tout à la fois pochade burlesque qui vesse par les aisselles et touchante déclaration d’amour à un Ouest de pellicule moribond. Même planquée derrière un sourire persifleur, même brocardée par les immortelles Walkyries de Wagner soudain bouffonnes, la mélancolie rafle nettement la mise à l’issue de cette drôle de vadrouille au pays des pistoleros crasseux.

 

1977 Exorcist II: The Heretic (L’Exorciste 2 : L’Hérétique)

La réalisation de John Boorman, convulsive, de guingois, caviardée de flétrissures ocres, ne laisse déjà pas grand mystère planer. A sa suite, Morricone enfonce le clou : foin de giclées d’eau bénite et de fumigènes en vase clos dans ce numéro deux, mais un rollercoaster malade au cœur d’une Afrique pour pulp magazines. Ululements démoniaques, percussions chauffées à blanc et coups de fouet s’agglutinent en un sidérant sabbat, à la lisière de la cacophonie, où seul le lyrisme du Maestro pouvait donner à Regan, éternelle victime de Pazuzu, une petite voix lumineuse et vaillante face au mal.

 

1981 La Storia Vera della Signora dalle Camelie (La Dame aux Camélias)

Potentiellement scabreux, mortifère au point de tutoyer l’ineffable, le destin de l’héroïne couchée sur le papier par Dumas fils eût pu suggérer à Morricone l’une de ces partitions malcommodes, tapissées de stalagmites cruels, dont il était seul à détenir la recette. Au lieu de quoi, tout ne se révèle qu’émotion ourlée avec un millier de délicatesses, un festival de grâce dont l’épicentre tient en cette mélodie douce-amère, assurément l’une des plus belles qu’ait écrites son auteur pour le piano. Le film psalmodie la chronique d’une mort annoncée, mais la musique, même portant en son sein les germes de cette destruction, s’évertue jusqu’au bout à choyer son romantisme fragile.

 

1984 Once Upon A Time In America (Il Était une Fois en Amérique)

Un simple trou perçant un mur telle une meurtrière, Paul McCartney entonnant Yesterday, une rue à l’ombre du pont de Manhattan, souillée du sang d’un gamin, pauvre petit émule de Gavroche… Autant de passerelles proustiennes qu’emprunte une nostalgie sans borne. Il va de soi que Morricone est du voyage lui aussi. Dans ses valises, une poignée de thèmes où son exceptionnel don de la mélodie accomplit de chavirants miracles, et une flûte un tantinet râpeuse dont les relents funestes, quasi-théâtraux, sont à deux doigts d’évoquer certain harmonica sanctifié de longue date. Hasard ou coïncidence ?

 

1985 Red Sonja (Kalidor, la Légende du Talisman)

Les thuriféraires du Maestro risquent fort d’avaler leur chique en découvrant, tel un vilain canard boitant au milieu d’une assemblée de cygnes majestueux, ce succédané kitschouille de Conan vautré tout à son aise dans un hommage posthume qui n’appelait pourtant que l’excellence. Sauf que ce branle-bas de combat rien de moins que « orffien » (rarement la trompette aura arboré un visage si conquérant sous la houlette de Morricone) ne phagocyte jamais vraiment la sensibilité de son géniteur, reconnaissable entre mille quand s’élève un envoûtant mysticisme choral ou que chante un Love Theme généreux. Le résultat est hybride, certes… Mais n’est-ce pas justement l’une des très caractéristiques signatures d’il grande Ennio ?

 

1988 Il Segretto del Sahara (Le Secret du Sahara)

S’il ne devait rester qu’un seul compositeur de cinéma digne d’être du désert le porte-étendard, ce serait sans conteste Maurice Jarre. Mais Morricone le talonnerait de près, et pas uniquement pour avoir à moult reprises arpenté les étendues arides d’Almeria. Grâce à sa baguette enchantée, le Sahara se dépouille de ses périls pour se muer en un royaume de légende, prétexte à tous les émerveillements superstitieux. L’Eldorado, Shangri-La, ces ailleurs tant convoités, n’auraient pu donner au Maestro un élan plus solennel, touchant presque au sacré lorsque les chœurs embrassent à pleine bouche les brumes et les chimères du grand erg.

 

The Good, The Bad And The Ugly

 

Olivier Desbrosses
Les derniers articles par Olivier Desbrosses (tout voir)