Prokofiev / Eisenstein

L'opéra cinématographique

Portraits • Publié le 29/08/2010 par

« Le cinéma doit remplacer la vodka et devenir à la fois une véritable source de revenus pour l’Etat ainsi qu’un instrument de propagande efficace. » (Joseph Staline)

 

La rencontre entre Eisenstein, le maître du cinéma soviétique, et Prokofiev, le maître de la musique russe, est restée dans l’histoire du cinéma comme l’une des plus exemplaires. Tout au long de sa vie, de la Suite Scythe à l’opéra Guerre et Paix, Sergei Prokofiev a prouvé qu’il possédait un sens assez exceptionnel de l’épopée. Eisenstein savait donc à qui il s’adressait lorsqu’il lui commanda de composer les partitions de sa grande fresque historique Alexandre Nevski (1938) et des deux volets d’Ivan le Terrible (1941-1946).

 

Peu avant sa rencontre avec le réalisateur, Prokofiev s’était déjà familiarisé avec le cinéma en écrivant en 1932 la musique du Lieutenant Kijé (Poroutchik Kije), film satirique d’Alexandre Feinzimmer. La suite symphonique adaptée pour le concert rencontrera un succès international et l’encouragera à œuvrer pour le cinéma. C’est alors qu’il est mis en contact avec Eisenstein, sans doute par le biais de leur ami commun Vsevolod Meyerhold, un metteur en scène de théâtre au style révolutionnaire qui avait voulu, dès 1925, persuader Prokofiev d’écrire la musique du film Le Cuirassé Potemkine (Bronenosets Potyomkin).

 

 

Prokofiev et Eisenstein ont élaboré leurs films un peu à la manière d’un somptueux opéra en costume où la musique épouse la forme grandiose de l’œuvre en une série de longs épisodes ou tableaux musicaux. Pour Eisenstein, le montage est un élément cinématographique capital. Avec l’arrivée du son, il développe une esthétique audiovisuelle nouvelle, née de la fusion entre le son et l’image. Ainsi, un scénario à la fois graphique et musical prend forme, réunissant la musique et le visuel dans une sorte de partition scénique. Alexandre Nevski eut même le privilège d’être qualifié de première vidéo musicale, un long passage de onze minutes dans la célèbre bataille sur la glace associant uniquement images et musique.

 

Prokofiev était en outre sensible à l’art cinématographique et intéressé par la technique de fabrication des films. En collaborant avec Eisenstein, il suivit une méthode de composition assez originale : d’abord écrire la musique de certaines séquences avant leur tournage, de façon à ce que la prise de vue se fasse en musique ; ensuite, adapter la musique au film monté et préparer pour Eisenstein, des « épisodes musicaux thématiques » courts, conçus spécifiquement non pas pour une scène, mais pour un thème bien précis afin que le réalisateur puisse les utiliser dans le film.

 

« La musique de Prokofiev est étonnamment plastique » affirmait Eisenstein. « Elle ne se contente jamais de demeurer seulement illustrative. Faisant toujours magnifiquement image, elle révèle avec un frappant éclat la marche intérieure des évènements, leur structure dynamique dans laquelle se concrétise l’émotion et le sens des évènements. »

 

 

Julien Mazaudier
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