THE ONE MAN JURY (1978)
FLIC, JUGE ET BOURREAU
Compositeur : Morton Stevens
Durée : 55:33 | 19 pistes
Éditeur : BSX Records
Le lieutenant Wade (Jack Palance et sa grande carcasse anguleuse) mâchouille un cigare à longueur de temps. Il faut dire que voir ressortir les malfrats et autres voyous qu’il épingle, pour de viles histoires de droits bafoués ou de procédures non respectées, l’a rendu quelque peu nerveux. La frustration accumulée l’amène doucement à passer à l’acte et à mettre un terme à ce qui est devenu, pour lui, une mascarade. Un peu comme si le Harry Calahan de Magnum Force s’était laissé convaincre par la brigade de policiers à motos que la seule façon de rendre la vraie justice est de zapper le procès entre arrestation et exécution. On flingue et on passe au suivant.
Charles Bronson avait déjà triomphé avec son personnage de « vigilante » dans une série de film aux scénarios de moins en moins élaborés. C’était la pleine mode du « rape and revenge movie ». La série des Death Wish (Un Justicier dans la Ville) faisait d’un quidam comme vous et moi – ce en quoi résidait la force du premier film – souhaitant retrouver les auteurs du viol de sa fille, une sorte de vengeur aux mains tremblotantes (au moins au début) qui ne peut plus s’arrêter de s’en prendre à la « vermine locale », se voyant comme un palliatif létal à l’inaction et l’incompétence (ou, à tout le moins, vécues comme telles) de la police et du système judiciaire. Avec The One Man Jury (Flic, Juge et Bourreau), nous ne sommes plus tout à fait dans le même registre puisque c’est le bras armé de la justice lui-même qui devient juge et bourreau ! Le point de départ factuel et juridique de cette série de « revenge movies » est sans doute à chercher dans le « Miranda Case » qui vit la Cour Suprême des USA imposer, en 1966, la lecture des droits du suspect avant toute forme d’interrogatoire. Il y est d’ailleurs fait référence au début du film, ce qui prouve que l’intention de départ était de démontrer que cette protection du suspect allait aussi engendrer quelques entraves à l’action judiciaire. Malheureusement l’introduction ne tient pas ses promesses, la faute à de trop nombreuses, longues et inutiles palabres. Notre impassible lieutenant, pris à son propre piège vengeur en pactisant avec un mafieux local, mettra du temps à faire basculer le film dans une mécanique implacable. Ce qui ne sera pas le cas de la musique punchy et agressive de Morton Stevens, un compositeur qui a surtout œuvré à la télévision : le thème de la série Hawai-Five-O (Hawai Police d’Etat), c’est lui. Ici, exit les petites formations orchestrales pour cause d’économies budgétaires. Stevens se voit allouer le National Philharmonic Orchestra, cher à Jerry Goldsmith (et dont il deviendra même un de ses orchestrateurs principaux dans les 70’s et 80’s). Il l’agrémente volontiers d’une section rythmique (basse seventies et batterie efficace, un brin disco), dans un Main Title bien groovy où les cordes rivalisent de lyrisme mélodique et de vista dynamique.
La partition de Morton Stevens, souvent tendue et grinçante dans sa première moitié, accompagne les actes d’un serial killer dans un balancement constant entre tonalité et atonalité avec plusieurs références au Psycho (Psychose) de Bernard Herrmann. Il propose cependant une alternative stridente à la fameuse célèbre scène de la douche (The First Victim) avec des clusters de piano discrets (qui seront amplifiés, de manière plus agressive encore, en alternance avec des cordes crispantes, dans Killer Kayo). Sa musique semble davantage illustrer l’état intérieur du personnage que ces ignobles actes. C’est d’ailleurs également ainsi que la première exécution perpétrée par Wade sera précédée d’une musique froide, quasi-clinique, dotée d’une lente pulsation, nous montrant que le policier a déjà choisi sa voie. Par colère et dégoût, plus que par devoir. Lorsqu’il tire sur le suspect, à bout portant, en pleine tête, le compositeur s’interrompt un instant puis fait crisser les violoncelles. Les cuivres, d’abord dissonants, forment alors un motif lancinant en contrepoint de cordes ultra-dramatiques. Ce morceau (The Cop Who Played God), d’une redoutable efficacité avec ses coups de timbales secs et ses cuivres sourds mais rageurs (qui évoquent une version pêchue du quatrième mouvement des Spirituals For String Choir & Orchestra de Morton Gould), aurait pu être destiné à la scène de meurtre per se. Il est donc d’autant plus surprenant lorsqu’on voit qu’il illustre la tempête dans le crâne vacillant du lieutenant et le départ du policier de la scène de crime, en croisant une voisine qui jouera un rôle un peu plus tard dans le film, en forme de « final twist. »
Soudainement confronté aux sbires du maffieux, Wade commence son entreprise de nettoyage par le vide dans des morceaux d’action de fort belle tenue, tel Busting The Highjacking et ses clusters de piano agressifs « à la Horner ». C’est ici que nous entrons de plein pied dans la seconde phase de la partition, plus orientée action. Morton Stevens commence les hostilités avec le superbe Big Chase / Rooftop Chase où le compositeur fait parler la poudre dans des échanges groovy et cuivrés avec des interventions pianistiques « à la Fielding ». Le film part alors dans une direction plus classique, celle où le policier se retrouve pris à son propre piège. Les scènes de poursuites (en voiture ou à pied) s’enchainent et les échanges de coups de flingues pleuvent de toutes parts. Le mafieux, pour se venger (et surtout se protéger de la furie de Wade), commet l’erreur de kidnapper la fiancée du policier et Stevens balance alors des effets groovy bien sentis qui vous empêcheront de rester assis dans votre fauteuil (Going After Wendy). Le bouquet final tient dans un dernier morceau de près de huit minutes, absolument ébouriffant, Boat Shootout & Finale / End Credits, où notre maffieux emmène sa captive sur son luxueux yacht. S’en suit une fusillade au moment où le bateau quitte le port. Stevens tire ses dernières cartouches en plein dans la face de l’auditeur, ravi d’être embarqué dans de telles déflagrations. Wade nettoiera le bateau de la cale au pont pour délivrer la belle. Elle finira incidemment par buter le mafieux d’un coup de révolver, sauvant ainsi la vie de son chevalier servant.
Dans une scène de transition maladroite (qui tombe comme une ellipse sans queue ni tête), Wade rentre chez lui et découvre, assise sur son divan, la voisine du violeur qu’il avait exécuté au début du film. Elle lui annonce qu’elle le reconnait (Pourquoi seulement maintenant ? Mystère…) et lui reproche le meurtre du serial killer (qui semblait alors être son amant). Il la fait sortir de chez lui mais elle revient quelques secondes plus tard en pointant un calibre sur lui. Et elle le tue. Prouvant que la vengeance est un plat qui se mange froid dont, en plus, on ne peut venir à bout, malgré tout l’appétit du monde. Et, en parlant d’appétit, l’excellent CD sorti chez BSX Records se termine par de la source musique (de la main du compositeur), jazzy et raffinée, pour illustrer les scènes de restaurant et de bar qui ne vous laisseront pas sur votre faim.