Murph The Surf (Phillip Lambro)

Tout dans les Muscles #12 : le double effet casse-cool

Disques • Publié le 16/12/2022 par

MURPH THE SURF (1975)
LES GAGNEURS
Compositeur :
Phillip Lambro
Durée : 30:00 | 13 pistes
Éditeur : Perseverance Records

 

4.5 out of 5 stars

 

Dans la famille des compositeurs à la carrière prometteuse mais mort née, je voudrais Phillip Lambro. Avouez qu’il y a des fois où on se demande ce qu’il serait advenu si nous n’avions pas joué de malchance, ou si untel, au lieu de tourner à droite, avait tourné à gauche. Lambro, lui, se demandera toujours pourquoi le producteur de Chinatown le remerciera et remplacera sa musique par celle (choix malin, reconnaissons-le) de Goldsmith. Parce qu’à vrai dire, l’approche de Lambro, certes peut-être plus grinçante que celle du maestro, n’avait rien de honteux, loin s’en faut. Seulement voilà, des projections-test au retour catastrophique auprès des teenagers donnèrent des frissons au producteur Robert Evans, qui fit ce que tout « bon producteur » faisait à l’époque (et fait encore hélas aujourd’hui) : virer la musique dans l’espoir qu’une nouvelle partition sauve son film, sa tête et, accessoirement, son compte en banque. La suite, on la connait.

 

Lambro, qui avait parallèlement mis en musique, la même année, un film de casse intitulé Murph The Surf, faillit également connaitre le même sort sur ce dernier. Mais le réalisateur, Marvin Chomsky, parvint à convaincre les producteurs de garder la musique, eux qui avaient eu vent que « finalement, Lambro n’avait pas fait l’affaire sur Chinatown… » Chomsky défendit au contraire son compositeur en indiquant qu’en réalité Roman Polanski ne reprocha jamais rien au travail de Lambro et qu’il en était par ailleurs plutôt très satisfait. Lambro, amer (on le serait à moins), avait pourtant écrit une partition extrêmement travaillée. Comme celle de Murph The Surf. Mais dans un tout autre registre. Ici, Lambro délivre un score extrêmement fun, assez addictif, bourré d’une énergie jazz-funk en fusion avec un orchestre symphonique.

 

On aura tôt fait de repérer le thème subtil, tout à la fois sautillant et lancinant, qui apparait dans son Main Theme, car Lambro en délivre des modulations et des développements éblouissants de virtuosité pour mettre en musique les aventures d’un toujours aussi charismatique Robert Conrad en leader d’un duo de voleurs acrobates dont l’autre « tête loin-d-être-pensante » est incarnée par un Don Stroud complètement à la ramasse. Le crédo du compositeur, comme il aimait à le rappeler lui-même, était d’essayer, par la musique, de montrer ce qui n’apparait pas à l’écran. Et à l’écran, en effet, n’apparait ni suspens haletant, ni rythme endiablé dans les séquences d’actions, ni même, pire encore, aucune espèce d’émotion. Tout dans ce film est plat. Sans relief. Sans allant. Sans passion. On se contrefiche de ce qu’il peut arriver aux protagonistes. Bref, exactement l’inverse de la musique de Phillip Lambro. Il faut dire que ce dernier a invité quelques pointures comme Joe Porcaro à la batterie, Gene Cipriano aux bois, Mike Lang au piano, ou encore l’incroyable duo Buddy Collette et Bud Shank pour les solos de flute et de saxophone.

 

Le Main Theme, qui s’ouvre par des accords graves de piano, est une vraie merveille de légèreté et de malice avec son motif à la flute enjoué sur un tapis de cordes mystérieux. L’orchestration, superbement travaillée, entièrement de la main de Lambro, est raffinée et surpasse avec brio les exploits mortifères d’ennui sur pellicule de notre duo de monte-en-l’air. Si Sailing To Bermuda développe une musique jazz-bossa que n’aurait pas renié Joe Harnell (ce qui n’est pas un mince compliment) sur une mélodie chaleureuse et très aérienne, si Lonely Ginny dévoile une mélodie au piano très tendre, presque piano bar, parfois posée sur un velours de cordes, les deux pièces de résistance du disque sont incontestablement à chercher ailleurs. La première d’entre elle, Boat Chase (qui reprend et développe le thème du générique avec une fluidité jazz-orchestrale remarquable) avec son dialogue flûte-xylophone sur fond de basse électrique déchainée et de rythmiques qui s’emballent par delà un tapis de cordes crispantes vous fera incontestablement battre du pied. L’autre morceau, Murph The Surf, est un tour de force d’où émerge un jazz-fusion endiablé de près de cinq minutes avec guitare et pédale wah-wah, saxophone en furie, trompette, flute, orgue Hammond, batterie et une basse électrique qui ne relâche jamais le rythme. Rien que ces deux titres vous feront vous dire que vous êtes en présence d’un des meilleurs compositeurs dans le domaine, pouvant aisément soutenir la comparaison avec un Fielding ou un Schifrin.

 

Il vous faudra, si possible, impérativement privilégier l’écoute au casque puisque cet enregistrement bénéficie du filtre de réduction de bruit DBX inventé quelques années auparavant et réservé aux artistes de la Motown. Il s’agit même, en réalité, du premier album de musique de film enregistré avec ce procédé. Si vous ne deviez posséder qu’un seul titre de Phillip Lambro, ce serait assurément celui-ci. Puisque, malheureusement, la discographie du compositeur est assez famélique, à part quelques albums édités par Perseverance Records. Encore un talent qui restera dans l’ombre et qui aurait mérité que les projecteurs du show-business nous l’exposent dans toute la gloire d’un CinémaScope dont il n’empruntera jamais la voie.

 

Christophe Maniez
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