THE MAN WHO WOULD BE KING (1975)
L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI
Compositeur : Maurice Jarre
Durée : 30:25 | 10 pistes
Éditeur : Kritzerland
Un magnifique film d’aventures de John Huston dépourvu du lyrisme habituel au genre, et une savoureuse interprétation de Sean Connery, Michael Caine et Christopher Plummer : deux sergents de l’armée des Indes décident d’aller tenter fortune dans une région inexplorée (le Kafiristan). Admirable et prodigieux, The Man Who Would Be King était pour le réalisateur le projet de sa vie, comme le rappelle le compositeur dans les notes du présent album, un film adapté d’une nouvelle de Rudyard Kipling, qui regroupait tous les thèmes de son cinéma de façon magistrale en contant l’histoire improbable d’un couple de militaires irlandais décidés à vivre leur propre épopée en se lançant à la conquête d’une contrée inexplorée, ce qui les conduira à suivre les traces d’Alexandre le Grand et à affronter les mêmes vertiges.
Évitant brillamment les fausses pistes que le film offrait pour son illustration musicale (entre son côté épique, son orientalisme et ses scènes de spectacle et d’action), le compositeur évite les clichés attendus et adopte les partis-pris radicaux qui lui avaient déjà réussi auparavant, notamment sur Lawrence Of Arabia (Lawrence d’Arabie). Sa partition, emportée et mystique, exotique et chatoyante, palpitante et tragique, est assez courte relativement à la durée du film. La musique n’intervient qu’à des moments clés, une séquence en particulier étant entièrement mise en musique : celle du voyage des deux héros jusqu’au Kafiristan, ce passage contenant l’essentiel de la partition. Ainsi, comme dans le film de David Lean, Maurice Jarre met-il une séquence de voyage initiatique. Hélas, cette composition est présentée de façon tronquée sur l’album qui répartit le tout sur deux pistes séparées (The Journey To Kafiristan et Pushtukan).
Comme souvent chez Jarre, la dynamique de la musique naît des contrastes et des ruptures de ton. De même que l’instrumentation superpose plus qu’elle ne combine les sonorités de l’orchestre occidental à un groupe de solistes indiens, le score, au niveau de son organisation thématique, oppose deux principes : la musique occidentale et ses marches nettes, et rythmées à la musique orientale plus improvisée et mystérieuse.
Minstrel Boy, chanté par les deux personnages dans le film et intégrée à la partition sur la demande du metteur en scène, est une chanson écrite par le poète Thomas Moore sur une mélodie traditionnelle irlandaise au rythme de marche. Jarre a par ailleurs pris soin de composer son propre thème principal sous la forme d’une autre marche qui fonctionne en contrepoint de la première tout en étant originale : on peut voir leur complémentarité dans l’ouverture et dans le générique de fin où une phrase de l’une est souvent suivie d’une phrase de l’autre. Ce thème principal est d’une grande polyvalence et caractérise les personnages dans toute leur complexité : parfois ironique pour leur côté matamore, parfois triomphal pour souligner leurs succès (passagers et illusoires), parfois émouvant puis nostalgique comme un rappel de l’amitié qui unit les deux hommes, Huston n’ayant pas d’antipathie pour ses anti-héros.
Le troisième thème principal est, au contraire des deux précédents ancrés dans les harmonies et les formes rythmiques de la musique occidentale, un thème en mineur aux harmonies orientalistes. D’une grande flexibilité rythmique, il se prête aux improvisations des musiciens indiens qui dessinent des arabesques sur le tissu orchestral. Le score joue donc sur ce contraste (voir les transitions heurtées de l’ouverture), sur cette rencontre insolite qui n’aboutit pas à un accord, le mystère demeurant mystérieux et nos deux personnages étant ramenés au dérisoire après avoir connu les délires de la mégalomanie.
De par ses connaissances (il étudia au Conservatoire la musique traditionnelle indienne) et sa sensibilité, Jarre était le compositeur idéal pour ce film. En un sens, dans ses plus grandes réussites, il n’a fait que composer et recomposer le même score et, dans le cas de ce film, sa partition est parfaite et l’une de ses meilleures. L’album contient, dans un désordre absolu, l’essentiel du score (même des passages qui ne sont pas dans le film) et élimine les redondances (l’ouverture est une version développée de la scène de bataille, le générique de début, qui est omis est une version plus courte du End Title) et de nombreux morceaux de source music.