BATMAN: THE ANIMATED SERIES (1992 – 1995)
BATMAN
Compositeurs : Shirley Walker, Lolita Ritmanis & Todd Hayen
Éditeur : La-La Land Records
Pandémonium urbain envahi par les miasmes de la corruption, Gotham City ne pouvait manquer d’appâter quelques-uns de ces scientifiques se fantasmant démiurges. Icône à part entière de la culture populaire, consacrée grâce aux expériences du docteur Moreau ou de Victor Frankenstein, le Savant Fou s’est dressé contre Batman en arborant une étonnante quantité de masques. Monstre tragique, dément affamé de connaissance, criminel poussant le pragmatisme jusqu’à l’innommable, autant de défis thématiques que Shirley Walker et sa bande n’ont pas craint de relever, au contraire. A travers leur florilège coutumier de leitmotivs, c’est une passionnante cartographie des méandres de l’esprit humain qui prend petit à petit forme.
On Leather Wings (Le Duel) – Épisode 01 – LLL Vol.1
Quand on a l’ambition de Bruce Timm, Paul Dini et leurs équipes, il faut commencer très haut. Quelle plus belle note d’intention, alors, que d’ouvrir le premier épisode de BTAS au plus haut, dans le ciel de Gotham City, là où ne planent que les dirigeables et hélicoptères du GCPD, le département de police de le ville. La police aérienne seulement ? Mais à quelle créature nocturne appartient cette ombre ailée ? S’agirait-il de celui qu’on nous présente d’emblée comme une légende urbaine, l’homme chauve-souris, le Batman ?
Dans cette première ouverture, la note d’intention est claire : les kids, restez avec nous si vous aimez frémir ou passez votre chemin ! Ce n’est pas ici qu’on vous prendra pour des microbes. Son équipe soudée autour d’elle, prête à tout prouver avec la bénédiction de la Warner qui conçoit son dessin animé comme une série de prestige, Shirley Walker se met au diapason : en écoutant Sub Main Title, l’on pense d’emblée plus aux cordes hypnotiques du Vertigo d’Herrmann qu’aux délires d’un Richard Stone pour la précédente grande série de Warner, les Tiny Toons. C’est que la souris est un peu trop grosse et chauve pour le mickeymousing : il s’agit de Man-Bat, le premier savant fou d’un défilé qui en compte une bonne douzaine. A se demander quel genre de cours on dispense à la faculté de médecine de Gotham !
Outre Man-Bat et l’ambiance à mi-chemin entre le thriller et l’horreur tissée dans les scènes où apparait le monstre, il convenait également de tailler une place de choix à Batman et son univers. C’est fait via une présentation soignée de sa première sortie en Batmobile, détaillée dans Batman Drives, manifeste musical parfait de la série : on y entend le thème d’Elfman (qui conclut aussi Police Rush Building) précédé de sa variation propre à la série, sur le rythme de marche martiale soutenue par les percussions habituelles. Bon gré mal gré, le flambeau est passé du compositeur des films de Burton à ceux, bien décidés à s’approprier l’univers de la chauve-souris justicière, de Timm et Dini. Un motif récurrent de la série est d’ailleurs inauguré dans ce On Leather Wing, l’usage de la flûte solo, mise en avant pour évoquer, via une mélodie douce à mi-chemin de la comptine et de la berceuse, la folie schizophrène – écouter Batman Investigates ou Batman Flies.
Un travail percussif particulièrement soigné – tambours, xylophones, caisses claires, balais, tout y passe – accompagne les moments les plus tendus de cet épisode qui, mené tambour battant, en compte beaucoup. Ce qui n’empêche pas les pauses atmosphériques (Batman Escapes, encore). On conclura néanmoins sur un coup de cymbales, ponctuant les dernières notes du thème grandiose du gardien de Gotham (Epilogue), héroïques mais surtout sombres et tragiques. L’accueil de la série, lui, ne l’est en rien : c’est un triomphe. La qualité de sa musique n’y est pas pour peu, comme le prouve l’existence des deux magnifiques coffrets édités par La-La Land, qui regorgent de partitions inventives, soignées, défendant une idée de la musique de film qui, si elle n’est pas la plus moderne, n’en demeure pas moins parfaitement écrite et formidablement enivrante et évocatrice.
Heart Of Ice (Amour On Ice) – Épisode 16 – LLL Vol. 2
L’affaire est connue de tous les fans un tant soit peu mélomanes de l’homme chauve-souris. Entre Danny Elfman et Shirley Walker, le torchon a parfois férocement brûlé, cette dernière ayant accusé à mots à peine voilés son illustre confrère de s’être approprié tout le crédit de son ouvrage pour le Batman de Tim Burton. Qu’il y ait du vrai là-dedans ou qu’elle ait travesti la réalité à son seul bénéfice, on se surprend à songer, face à l’ostensible parenté entre les musiques du diptyque de Burton et celles de la série animée, que la compositrice souhaitait peut-être moins perpétuer la formule gagnante que prendre une secrète revanche. Et ce n’est pas Heart Of Ice qui autorisera quiconque à dire le contraire. Avec pour fer de lance une petite comptine cristalline, le score fait du pied sans guère d’ambigüité à Tchaïkovski, l’un des cicérones de toujours d’Elfman. L’intention pourrait paraître d’un opportunisme puéril, elle brille surtout par sa pertinence. Grâce à un si tendre préambule, Mr. Freeze, l’un des ennemis notoires du Justicier de Gotham, prend place à son tour aux côtés de ces méchants pathétiques, poussés au mal par des circonstances terribles, que les auteurs de BTAS n’avaient pas leur pareil pour croquer.
Hélas, si la délicate berceuse symbolisant le chagrin du criminel au sang-froid est l’attraction reine de Heart Of Ice, elle est aussi son seul véritable intérêt. On ne sait trop si l’on doit faire porter le chapeau à Walker ou au compositeur co-crédité, Todd Hayen, mais la partition, singulièrement peu trépidante, a une tendance fâcheuse à se reposer sur les acquis de la série. Ainsi, The Iceman Cometh Again, théâtre d’une escarmouche entre Batman et les hommes de paille de Freeze, ne fait que réitérer sans éclat les ostinati véloces que maints autres épisodes avaient déjà donné à entendre. En guise de lot de consolation, Arkham Asylum boucle heureusement la boucle avec une émotion pudique, ses notes ténues épousant les larmes rédemptrices d’un homme qui ne se croyait plus capable d’en verser encore. Et les cuivres sombres qui s’en mêlent alors, en un contrepoint inondé de lyrisme, brossent le saisissant raccourci des états d’âme de Batman. Ne se reconnait-il pas dans la silhouette prostrée de son adversaire défait ? Lui, pour qui Gotham et son manteau de ténèbres sont l’héritage empoisonné que le destin lui a légué ?
The Strange Secret Of Bruce Wayne (L’Etrange Machine du Dr Strange)
Épisode 37 – LLL Vol.2
A quoi reconnaît-on un épisode de BTAS qui ne porterait pas la griffe de Shirley Walker ? En vérité, c’est l’enfance de l’art : hormis de rares et appréciables exceptions, le résultat s’avère généralement orphelin de ces leitmotivs inspirés que la compositrice, toujours en effervescence, était capable de griffonner à la demande sur un coin de table. Et ce n’est pas sa pauvre consœur Lolita Ritmanis, dont l’imagination aurait dû être stimulée par la présence maléfique du docteur Hugo Strange, qui pourra se vanter d’avoir infléchi la courbe statistique. Pis encore ! The Diabolical Plan, qui accueille le Joker, Two-Face et le Pingouin en guest stars de marque, devient carrément un aveu de défaitisme lorsque Ritmanis, en guise d’hommage à une si formidable galerie de vilains, se borne à récupérer leurs thèmes fameux pour sagement les disposer en rang d’oignons.
Reste-t-il seulement quelque chose pour rasséréner le bat-fan menacé de somnolence ? Même s’il demeure prévisible jusqu’au moindre de ses arpèges, le shoot d’adrénaline final, bourré de cuivres, a au moins le mérite de rendre percutant un dernier acte ne mégotant pas sur les invraisemblances (faites grimper Robin sur des échasses, saupoudrez le tout de la bonne vieille suspension d’incrédulité, et vous obtiendrez un Batman plus vrai que nature). C’est bien peu, soyons francs, pour soustraire The Strange Secret Of Bruce Wayne à sa condition d’épisode très oubliable. De là à dire que le Dark Knight n’était pas le seul à s’être accordé une semaine de villégiature ensoleillée…