Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban (John Williams)

Harry est la dernière cible

Disques • Publié le 13/07/2011 par

Harry Potter And The Prisoner Of AzkabanHARRY POTTER AND THE PRISONER OF AZKABAN (2004)
HARRY POTTER ET LE PRISONNIER D’AZKABAN
Compositeur :
John Williams
Durée : 68:36 | 21 pistes
Éditeur : Warner Sunset / Nonesuch / Atlantic

 

4.5 out of 5 stars

Pour Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban, le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón prend la succession de Chris Colombus et effectue des changements radicaux tant au niveau de l’esthétique que de la mise en scène. Toujours de la partie, et beaucoup plus disponible cette fois-ci puisqu’il n’a pris aucun autre engagement entre Catch Me If You Can et The Terminal (Le Terminal), John Williams se lance une troisième fois corps et âme dans la bataille et trouve lui aussi le moyen, alors qu’il avait déjà largement balisé l’environnement musical du jeune sorcier dans les deux premiers films, de se renouveler en profondeur. Point névralgique du score, le thème d’Hedwig demeure mais se fait plus discret (Lumos!, A Window To The Past, Secrets Of The Castle) et tout le reste est évacué au profit des nouvelles orientations prises par le film. Selon un avis à peu près unanime, les deux premiers Harry Potter s’avéraient très académiques et impliquaient de ce fait des choix artistiques conventionnels à tous points de vue ; de ce fait, le travail de Williams se situait nécessairement dans cette tendance générale très « classique ». Tout en étant des chefs-d’œuvre du genre, ses scores pour les opus réalisés par Chris Colombus ne s’éloignaient absolument pas des sentiers battus et correspondaient totalement à ce qu’on attendait, compte tenu des travaux précédents du compositeur et des figures imposées du merveilleux musical au cinéma, qu’il soit lumineux ou effrayant. The Prisoner Of Azkaban va donc changer la donne.

 

Tout en demeurant fidèle à lui-même, Williams crée la surprise avec cette nouvelle partition, redéfinissant l’identité musicale de la saga et multipliant les paradoxes pour un résultat néanmoins cohérent de bout en bout, à l’instar des images d’Alfonso Cuarón. Tout y est à la fois plus sombre et plus fantaisiste, plus grave et plus irrévérencieux, plus contemplatif et plus dynamique. Le ton est tout de suite donné avec la scène d’introduction qui voit la sœur de l’oncle Vernon se transformer en ballon géant (Aunt Marge’s Waltz) : celle-ci est accompagnée d’une valse drolatique en forme d’hommage à l’ouverture de La Pie Voleuse de Rossini, ce qui crée un mélange des genres tout à fait détonant ! La douce folie qui imprègne tout le film se poursuit avec The Knight Bus, morceau jazzy endiablé qui entraîne le spectateur à un rythme effréné à travers les rues nocturnes de Londres : trompettes criardes, saxophone et accordéon ironiques, percussions multiples et insolites, tout est fait pour créer une rupture décisive avec l’atmosphère globalement très premier degré de The Philosopher’s Stone et de The Chamber Of Secrets. Cette approche moderne et fantaisiste se retrouve à plusieurs reprises dans le film, en accord avec les drôles de rencontres que fera Harry durant sa nouvelle année scolaire : le professeur Lupin fait cours à ses élèves en leur passant des morceaux de jazz (non présents sur l’album) et les élèves se battent avec des livres carnivores ou contre des Boggarts au son d’une musique déjantée résumée dans le bien nommé Monster Books And Boggarts.

 

Nouveau Hogwarts, nouveau Dumbledore

 

Après cette mise en appétit, le compositeur va s’employer à refaçonner Hogwarts, qui a beaucoup changé entre le deuxième et le troisième film : plus qu’un château de contes de fées aux tendances rococo, il est devenu une véritable forteresse médiévale aux formes et aux contours bruts, dont on explorera de fond en comble les tours, les clochers et les cloîtres. Williams conçoit pour cela un thème surprenant, qui sert de base à l’étrange chanson Double Trouble, interprétée par un chœur d’élèves (et de grenouilles !) et dirigée par un professeur Flitwick entièrement relooké. Très chaloupé, scandé par des flûtes à bec et des tambourins en plus de l’habituel orchestre à cordes et des discrètes percussions, ce thème empreint de l’esprit de fantaisie déjà évoqué plus haut se retrouve dans plusieurs morceaux tels Secrets Of The Castle, The Portrait Gallery et surtout Hagrid The Professor, qui accentue encore l’aspect médiéval et gothique des images. Certes, les instruments employés ainsi que la mélodie évoquent tout autant une musique de la Renaissance que du Moyen Age et le clavecin présent dans la plupart de ces morceaux renvoie plutôt au style baroque, mais en tout cas le résultat fonctionne parfaitement à l’écran comme en écoute isolée. Et si Williams s’offre encore ponctuellement un retour à des sonorités plus convenues déjà entendues auparavant (les accents enjoués et facétieux de The Snowball Fight rappellent les musiques de Noël dans les deux premiers films), c’est pour mieux insister ensuite sur les scènes contemplatives et poétiques telles Secrets Of The Castle, qui illustre le passage des saisons, les transformations de la nature et promène le spectateur tout autour du château au son d’une musique tendre et bucolique évoquant tantôt le Debussy du Prélude à l’après-midi d’un Faune tantôt le Prokofiev de Pierre et le Loup.

 

A l’opposé de ces séquences oscillant entre humour et émotion, on trouve bon nombre de passages beaucoup plus sombres et oppressants dus aux deux dangers majeurs survenant dans The Prisoner Of Azkaban : la menace que représente Sirius Black, le prétendu meurtrier évadé de prison, et surtout la terreur qu’inspirent les cruels Dementors, vivantes images de la Grande Faucheuse. Dès Apparition On The Train, les cordes se font insidieuses et reptiliennes, les cuivres sévères et grinçants, jusqu’à l’arrivée de chœurs spectraux rappelant les expérimentations profondément dérangeantes déjà effectuées par Williams dans A.I. et dans Minority Report (eux-mêmes découlant du très avant-gardiste Close Encounters Of The Third Kind) ; chaque fois qu’interviendront les créatures dévoreuses d’âme et de bonheur, dans Quidditch, Third Year, dans The Dementors Converge et au début du Finale, on retrouvera ces instrumentations glaçantes marquées par des chœurs de plus en plus inhumains. Quant aux morceaux d’action, si certains se contentent d’être « seulement » efficaces, à l’image des virevoltants The Whomping Willow et Chasing Scabbers, ceux qui illustrent le dernier acte du film, où l’on découvre à la fois la vraie nature de Scabbers et celle de Lupin et où les affrontements se multiplient, se montrent toujours plus complexes, savants et virtuoses. On retiendra notamment Forward To Time Past et son suspense haletant et surtout l’excellent The Werewolf Scene, tour de force musical d’une rare intensité rempli de percussions acérées et d’acrobaties orchestrales dantesques, qui risque bien de fasciner quantité d’auditeurs en les faisant rêver à ce que Williams aurait pu composer pour un film ayant comme héros un loup-garou…

 

Buckbeak l'hippogriffe face à Harry Potter

 

Enfin, la partition ne serait pas complète si elle ne proposait pas au moins deux ou trois thèmes fédérateurs permettant de situer cette troisième musique dans la lignée des deux précédentes. Outre le thème de Double Trouble, très présent dans l’ensemble du film et de l’album, le compositeur propose deux autres thèmes puissants et mémorables. Le premier, Buckbeak’s Flight, est entendu lorsqu’Harry survole les splendides paysages entourant Hogwarts à dos d’hippogriffe et a vocation à devenir, à l’instar de nombreux autres, l’un de ces fameux « classiques instantanés » dont John Williams a le secret, d’autant plus qu’il illustre un type de scène qui, entre E.T. et Hook, lui a plutôt bien réussi ! Introduit par une cavalcade de timbales ébouriffantes et ponctué de sonneries de cuivres altiers, le thème se déploie ensuite à grands renforts de violons gracieux, de harpes et de flûtes voluptueuses afin d’illustrer l’émerveillement et le bonheur éprouvés par le héros transporté dans les cieux ; c’est lors de moments comme celui-ci que le talent et le haut degré d’inspiration de Williams s’imposent au spectateur comme une éclatante évidence. Quel dommage, dans ce cas, que ce thème n’ait pas davantage été utilisé : c’est presque du gâchis !

 

Le second thème marquant, sans doute le plus important et le plus récurrent de la partition, est celui de A Window To The Past, nouvelle expression de la nostalgie du héros et de son amour pour ses parents, plus adulte, à la fois plus sobre et plus poignant que par le passé : la splendide mélodie interprétée par la flûte à bec puis par les cordes va crescendo jusqu’à une reprise à la clarinette profondément émouvante (est-ce aussi parce que celle-ci rappelle The Schindler’s List [La Liste de Schindler] ?) qui fait de ce thème l’un des plus lyriques de toute la saga. On trouve quelques autres brefs mais très beaux passages élégiaques au début de Lupin’s Transformation lorsque Sirius est enfin libéré et demande à Harry de venir vivre avec lui, puis à la fin de Saving Buckbeak. Mais le meilleur vient finalement avec le thème du Patronus, décliné à partir de celui de A Window To The Past : porté par des chœurs angéliques et par des cuivres solennels, il apporte aux scènes qu’il illustre (The Patronus Light et Finale) une dimension profondément mystique et envoûtante.

 

Fait rare, l’album propose le générique de fin (Mischief Managed!), long medley de douze minutes résumant la quasi-totalité des morceaux présents sur le reste du disque. L’ennui, c’est que si l’on retire ce titre, qui n’apporte absolument rien de nouveau, cela ramène la durée de l’album à seulement cinquante-cinq minutes de musique tandis que le film en contient beaucoup plus : on ressent alors une certaine frustration en songeant à tout ce qui n’a pas été retenu. Cela dit, l’essentiel est là et de très grande qualité : le compositeur a su se renouveler et livrer un score original parfaitement adapté à un film qui ne l’était pas moins. De nombreux amateurs ont même décrété que ce score était le meilleur des trois composés par John Williams. On sera libre de trouver au contraire que les fantaisies du début s’avèrent moins mémorables que les morceaux magiques des deux premiers scores et qu’elles situent le troisième opus (très) légèrement en deçà du degré d’aboutissement atteint dans The Chamber Of Secrets, mais il n’en demeure pas moins que The Prisoner Of Azkaban est une fort belle réussite, un des sommets de la carrière du compositeur dans les années 2000 et une étape fondamentale dans l’évolution de la saga Harry Potter.

 

Hogwarts sous la pluie

Gregory Bouak
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