DEATH DEFYING ACTS (2007)
AU-DELÀ DE L’ILLUSION
Compositeur : Cezary Skubiszewski
Durée : 52:02 | 18 pistes
Éditeur : Lakeshore Records
Dans Little Women (Les Quatre Filles du Docteur March) et Oscar & Lucinda, les deux films les plus connus de l’Australienne Gillian Armstrong, les superbes partitions composées par Thomas Newman étaient sans doute ce qu’il y avait de mieux à retenir. Après un Charlotte Gray plus classique dû à l’impersonnel Stephen Warbeck, la musique de Death Defying Acts se retrouve à son tour sous les feux de la rampe et illumine le film dont elle constitue à nouveau le meilleur ingrédient, aux côtés de l’interprétation habitée de Guy Pearce. Son auteur, le Polonais Cezary Skubiszewski, est compositeur pour le cinéma et la télévision mais écrit aussi des œuvres de concert. Spécialisé dans le drame psychologique, il s’est adapté sans mal aux exigences de la réalisatrice et a teinté son univers habituel des couleurs du fantastique.
Sa partition va alors mêler avec virtuosité influences classiques et modernes, occidentales et orientales pour former une sorte de kaléidoscope musical reflétant à merveille les préoccupations et l’esthétique fin XIXe début XXe siècle, dissimulant derrière une apparente austérité un véritable torrent de lyrisme. Le morceau inaugural de l’album est à ce titre particulièrement évocateur : en presque huit minutes, tout l’univers de Death Defying Acts est dévoilé en une éblouissante articulation de mélodies et de sonorités disparates. Après une introduction pour violons et chœurs très répétitive et entêtante qui réapparaîtra dans Hello Edinburgh, on trouve une alternance régulière de tutti orchestraux et de solos d’instruments parfois inattendus (violon aux sonorités oscillant entre le baroque et l’électrique, hautbois délicat et mélancolique mais aussi flûte de Pan), au sein de laquelle émerge le thème associé à Houdini, tout de cordes vibrantes et passionnées, particulièrement mémorable. Bluffant, ce tour de magie n’est que le premier d’une longue série.
Après le mystérieux et envoûtant Immoral Souls, qui voit revenir le hautbois accompagné cette fois-ci d’une clarinette, de percussions asiatiques et de cordes vaporeuses, The Great Houdini fait de nouveau intervenir le thème du héros dans une version plus enivrante que jamais, pleine de sursauts et de tension (quelques notes de piano lancées dans un frémissement de cordes) précédant une révélation grandiose. Quant à Princes Kali, il nous entraîne en plein cœur du folklore arabe avec force flûtes et percussions ethniques endiablées ; une part de ce folklore sera réemployée dans Houdini’s Angel, mêlée à des instrumentations classiques occidentales. Solo de piano dans The Star Picture House, à mi-chemin entre inspiration romantique et illustration de cinéma muet ; sonorités synthétiques discrètes et fanfares triomphales dans My Immortal Soul ; musique de chambre à la Mozart dans The Audition ; guitares aux accents hispanisants, violon sonnant comme un ehru chinois, harpe cristalline, clochettes et même cornemuse dans Scott’s Monument ; vrombissements électroniques dans Benji’s Nightmare, foxtrot dans le morceau du même nom, chœurs radieux dans The Final Curtain… D’une pièce à l’autre, on ne sait jamais ce que l’on va découvrir et l’on arpente avec fascination ce véritable cabinet des curiosités, entraînés d’une main experte par le compositeur/prestidigitateur.
Dans un style à la fois dépouillé et totalement hypnotique proche de celui de Richard Robbins (compositeur attitré de James Ivory) et de Philip Glass – ce qui n’est peut-être pas un hasard -, rappelant également ses compatriotes Wojciech Kilar et Jan A. P. Kaczmarek ou encore l’Écossais Patrick Doyle par son lyrisme ténébreux et passionné et par son attachement au répertoire classique, Cezary Skubiszewski livre donc avec Death Defying Acts un bijou d’une étrange beauté, à la fois mélodique et atmosphérique, qui nécessite de nombreuses écoutes pour être apprécié dans toute sa richesse et sa complexité. Il nous permet en tout cas d’oublier nos regrets de ne pas retrouver Thomas Newman aux côtés de Gillian Armstrong et nous engage à suivre de près l’évolution d’un compositeur déjà en seconde partie de carrière mais qui a sans doute encore beaucoup à apporter à un cinéma américain trop souvent frileux en matière d’expériences nouvelles.