THE GOLDEN COMPASS (2007)
À LA CROISÉE DES MONDES : LA BOUSSOLE D’OR
Compositeur : Alexandre Desplat
Durée : 74:03 | 26 pistes
Éditeur : New Line Records
Au premier abord, la présence d’Alexandre Desplat au générique de The Golden Compass avait de quoi surprendre. Le compositeur, plutôt connu pour des travaux assez intimistes, des films de Jacques Audiard à ceux de Stephen Frears, allait devoir rassurer tous ceux qui pouvaient douter de ses capacités à mettre en musique un film à grand spectacle, ambitieux et monumental, riche en thèmes marquants et en séquences d’action. Il faut pourtant rappeler que le compositeur n’a pas seulement écrit des musiques intimistes, il a également signé les scores d’Une Chance sur Deux, agréable pastiche à la James Bond, de Nid de Guêpes et Hostage (Otage), excellentes musiques de thriller et d’action, et enfin de Firewall, efficace bien que moins inspiré. Quant à l’aspect fantasy, il était déjà garanti dans Mr. Magorium’s Wonder Emporium (Le Merveilleux Magasin de M. Magorium), que Desplat a dû laisser à Aaron Zigman afin de s’attaquer à The Golden Compass. Tout comme Howard Shore avec The Lord Of The Rings (Le Seigneur des Anneaux), qui avait pu en son temps inquiéter et finalement rassurer voire enchanter les béophiles suspicieux, Desplat s’avère au bout du compte un choix très judicieux pour donner à l’œuvre de Philip Pullman une couleur à la fois séduisante et originale.
Très appropriée aux images et transcendant bon nombre de scènes, la musique de The Golden Compass est sans doute ce que le film contient de mieux. Sur l’album, le plaisir d’écoute n’est pas moindre et permet d’apprécier toute la richesse et la sophistication du traitement. Les thèmes sont très nombreux et leur imbrication au fil de la partition s’avère suffisamment complexe pour justifier de nombreuses écoutes. Chaque personnage, chaque univers a été soigneusement caractérisé – de façon plus ou moins marquante, c’est certain -, de sorte que l’ensemble dessine une toile lumineuse et fascinante. La Poussière, dans The Golden Compass et dans Dust, bénéficie d’un motif mystérieux faisant intervenir des cordes et des chœurs ainsi que des instruments d’origine tibétaine renvoyant sans doute aux Royaumes du Nord, sommets froids et enneigés nimbés d’une lueur bleu sombre. Dès le milieu du premier morceau, l’auditeur est emporté dans l’aventure, et se plonge avec délice dans des volutes pleines de lyrisme et de promesses.
Sky Ferry, dont le titre évoque d’emblée l’ivresse du voyage, développe dans toute sa noblesse et son ampleur le thème associé à Lyra et à sa quête, fer de lance de la partition apparaissant régulièrement sous des formes diverses. Les cordes vigoureuses et les notes cristallines du triangle sont rejointes par un piano de toute beauté qui enrichit encore la mélodie principale d’une chaleur et d’une affectivité bienvenues. La seconde partie de ce morceau ainsi que plusieurs autres (notamment ceux associés à Mrs. Coulter – logique étant donné que ce personnage est intimement lié à l’héroïne) rappellent le John Williams des Harry Potter ou encore d’Artificial Intelligence (Intelligence artificielle) dans l’usage des flûtes, des clochettes et de la harpe notamment, signe que Desplat maîtrise parfaitement ses références et livre une partition à la fois personnelle et inscrite dans la tradition. La suite du score alterne passages atmosphériques, contemplatifs et mélancoliques, voire inquiétants (Letters From Bolvangar, The Magisterium, Mother, The Golden Monkey), et séquences d’action percutantes, souvent fugitives mais d’autant plus précieuses. Les morceaux de bravoure ne manquent pas et inspirent au compositeur tout ce qu’on était en droit d’attendre : Lyra Escapes, Samoyed Attack, Ice Bear Combat ou encore Battle With The Tartars vont puiser dans la veine action que Desplat avait déjà exploitée par le passé et dans laquelle il s’était montré tout à fait doué (même si l’on peut reconnaître ici et là des sonorités rappelant Titanic de James Horner et, bien entendu, The Lord of The Rings d’Howard Shore). Chaque piste met en avant tantôt les cuivres dramatiques, tantôt les percussions haletantes, tantôt les cordes virevoltantes et déchaînées avec un sens du rythme virtuose, ranimant la flamme avec énergie chaque fois qu’elle semble sur le point de s’éteindre. Quant à Lee Scoresby’s Airship Adventure, Iorek’s Victory et Riding Iorek, ils contiennent de superbes envolées triomphales qui font de The Golden Compass un nouvel incontournable du genre.
Plus la partition progresse plus elle s’intensifie et explose en un festival de couleurs et de sensations, pleine de magie, de dépaysement et d’exotisme (voir le très fantastique Serafina Pekkala). Au grand orchestre symphonique, Desplat ajoute toute une batterie d’instruments insolites le rapprochant des travaux de Thomas Newman (Lemony Snicket’s A Series Of Unfortunate Events [Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire]), garantissant la fraîcheur et la nouveauté à chaque instant. Les influences classiques (Liszt, Tchaikovsky, Debussy, Ravel) se fondent alors aux influences ethniques et contemporaines pour donner un mélange inédit : les sonorités tziganes introduites dans le guilleret Lyra, Roger And Billy et associées aux Gitans font place à un folklore oriental et arabisant certes convenu, mais du meilleur effet, que l’on retrouvera à diverses reprises, de même que le folklore tibétain (dont les très étranges voix gutturales), rappelant l’avancée des personnages vers le Nord et ses grands froids.
Enfin, The Golden Compass propose quelques perles incontournables sous la forme de longues plages de quatre à six minutes, véritables portraits musicaux impressionnistes à la sensibilité et au pouvoir d’évocation sidérants. Mrs. Coulter, dans lequel beaucoup ont vu avec raison un hommage à Basic Instinct de Jerry Goldsmith, rend compte de toute l’ambiguïté et du charme vénéneux qui entourent le personnage interprété par Nicole Kidman : clochettes, harpe, violons langoureux, mélodie à la fois enjôleuse et mélancolique se noyant peu à peu dans les ténèbres et la menace, tout est fait pour séduire et terrifier en même temps, surtout lorsque la tendresse et la grâce font place à des accès de rage dissonants aussi soudains que mortels. Iorek Byrnison et Ragnar Sturlusson dépeignent quant à eux les deux ours en armure et s’avèrent aussi dissemblables dans leurs sonorités que les personnages le sont dans leur caractère. Le premier propose des thèmes nobles et recueillis aux accents tragiques évoluant peu à peu vers l’espoir et dépasse la rage et la frustration contenues en leur préférant un lyrisme radieux évoquant le caractère légendaire du personnage et sa gloire à venir. Le second, sourd et glaçant, fait de notes de piano égrenées au sein de cordes opaques et de chœurs sépulcraux (on pense beaucoup à The Ninth Gate [La Neuvième Porte] de Wojciech Kilar), traversé d’élans de fureur bientôt éclipsés par la lumière de Lyra et Iorek, ne reflète que la cruauté et la mort qui auront finalement raison de l’imposteur.
Lyrique, épique, magique, poétique… on pourrait dérouler longtemps la liste des adjectifs s’appliquant à la musique d’Alexandre Desplat pour The Golden Compass. Il nous suffira, pour conclure, de dire que la réussite est totale et bluffante, confirmant de façon indéniable le talent protéiforme du compositeur ainsi que sa place légitime parmi les grands compositeurs hollywoodiens. Hautement recommandable, sa partition, qui prolonge élégamment sa précédente incursion dans le genre (Mr. Magorium’s Wonder Emporium), nous fait espérer bien d’autres musiques tout aussi fascinantes, émouvantes et envoûtantes que celle-ci. Nul doute qu’il y en aura.
Note de l’auteur : Lorsque ces lignes ont été écrites, fin 2007, on ne croyait pas si bien dire puisque Desplat a travaillé depuis sur The Twilight Saga: New Moon (Twilight – Chapitre 2 : Tentation) et sur les deux volumes de Harry Potter And The Deathly Hallows (Harry Potter et les Reliques de la Mort). Comme quoi, malgré l’échec de The Golden Compass au box-office, Hollywood a su reconnaître le talent du compositeur pour le merveilleux !