The Twilight Saga: Eclipse (Howard Shore)

Il ya des Jours... et des Lunes

Disques • Publié le 18/08/2010 par

THE TWILIGHT SAGA: ECLIPSE (2010)
TWILIGHT – CHAPITRE 3 : HÉSITATION
Compositeur :
Howard Shore
Durée : 61:52 | 19 pistes
Éditeur : Koch Records

 

4 out of 5 stars

Le mot d’ordre de la saga Twilight, dès le second opus, semble avoir été de changer de metteur en scène à chaque film afin d’apporter quelque chose de nouveau et d’éviter de sombrer dans la routine. Ce parti pris, qui s’est avéré plutôt payant jusqu’à maintenant, a par ailleurs entraîné un changement de compositeur et un apparent renoncement à toute continuité sur le plan musical. Qu’on se rassure, les livres de Stephenie Meyer et surtout les acteurs sont là pour que le public conserve ses repères ! Après Carter Burwell et Alexandre Desplat, tous deux auteurs d’excellents scores bien que radicalement différents, c’est donc au tour d’Howard Shore de mettre en musique les aventures romantico-fantastiques de Bella, Edward et Jacob.

 

Dès le début de The Twilight Saga : Eclipse, sa présence s’impose comme une évidence, à tel point qu’on ne saurait dire si c’est lui qui se fond dans le moule Twilight ou l’inverse… De l’aspect contemporain du score de Carter Burwell, il retient les guitares électriques, et pour le reste son attachement à l’orchestre symphonique traditionnel le situe dans la lignée du travail d’Alexandre Desplat. Tout est donc fait pour assurer une sorte de continuité, voire de synthèse des musiques précédentes, sachant que les chansons sont elles aussi très présentes dans le film et contribuent à maintenir une cohérence d’ensemble. Réservées en majorité aux rapports amoureux entre Edward et Bella, ces dernières laissent le champ libre à Howard Shore pour se consacrer d’une part aux nouveaux vampires menés par Victoria et Riley, et de l’autre à la relation Bella-Jacob, principal ressort dramatique de la fameuse « hésitation » située au cœur de ce troisième volet. Tout cela constitue un matériau largement suffisant et donne lieu une fois encore à une partition exigeante de la part d’un compositeur qui, fort heureusement, ne renonce à aucun moment à tout ce qui fait son style et son univers habituels, parfois difficiles d’accès.

 

Lors de la scène introductive, qui voit le jeune Riley devenir un vampire au service de Victoria, le spectateur est d’emblée plongé dans une noirceur toute « shorienne », cette noirceur étant sans conteste la dominante du troisième film : notes de guitare électrique mystérieuses et hypnotiques, cordes angoissées, sonorités électroniques agressives, on se croirait revenu au temps de Crash, l’une des compositions les plus originales de Shore. La cithare indienne ainsi que les percussions rappellent quant à elles fugitivement The Cell, autre must du compositeur. L’apparition de cuivres grondants et les brèves flambées d’action, qu’on retrouvera sous une forme amplifiée dans l’affrontement final, doivent tout autant à la trilogie The Lord Of The Rings (Le Seigneur des Anneaux) qu’à bon nombre de thrillers signés dans les années 1990-2000, genre dont Shore est devenu un expert. Cette tonalité très sombre et souvent glacée, évidemment associée aux « méchants », est présente dans toutes les séquences nimbées de clairs-obscurs où il est question de Victoria et des « nouveau-nés » (Victoria, The Cullens Plan, They’re Coming Here, Victoria Vs. Edward), donnant l’occasion au musicien de revisiter certains de ses meilleurs travaux, tels Cop Land et Panic Room (avec ces effets d’échos et de redoublements à l’infini de sonorités grinçantes) ou encore The Client (Le Client) pour ces longs glissandi de cordes crissantes à vous déchirer les oreilles.

 

Ballade en forêt

 

Outre l’avancée des ténèbres, l’autre gageure de ce troisième opus était l’action. Les deux premiers films en étant particulièrement dépourvus, Carter Burwell et Alexandre Desplat n’avaient pas eu à s’illustrer beaucoup dans ce domaine ; dans Eclipse au contraire, la scénariste et le metteur en scène se sont efforcés d’apporter un peu de dynamisme et de tension pour contrebalancer les longues scènes de dialogues, et c’est à Howard  Shore qu’il revient de transcender ces séquences par ses puissantes et funèbres harmonies. Une sorte de « thème d’action », suite de notes montantes et descendantes en forme d’appels de cuivres soutenus par les percussions, apparaît dans Riley et reviendra à chaque nouvel affrontement. Les hostilités continuent avec Victoria, lorsque loups et vampires se lancent à la poursuite de leur ennemie : curieusement, ce morceau semble imiter dans sa première partie le motif principal des Batman de Hans Zimmer avec ses rythmes synthétiques et ses mouvements de cordes très graves (fait rarissime chez le compositeur, qui n’imite jamais ses confrères et dont le style est aussi éloigné que possible des productions Remote Control), mais il en revient rapidement à des accents plus personnels.

 

Les autres morceaux d’action feront habilement fusionner la veine thriller de Shore, largement exploitée dans les films de David Fincher, et l’héritage épique de The Lord Of The Rings. Construits comme toujours sur de longs crescendos hypertendus et lancinants aux limites de la dissonance, ces morceaux atypiques évoluent à un rythme beaucoup plus lent que ce qui serait habituellement attendu de la part d’autres compositeurs et débouchent tantôt sur des attaques de cordes stridentes qu’on dirait empruntées aux Nazgûls, tantôt sur des envolées de cuivres solennels évoquant plutôt les exploits d’Aragorn et de Theoden : cela est particulièrement sensible dans le très beau Mountain Peak où le combat du Bien contre le Mal éclate au grand jour et permet quelques échappées vers une lumière bénéfique. Puis le meilleur arrive avec The Battle, qui propose une superbe montée en puissance dominée par des percussions furieuses et quasiment tribales illustrant à merveille la sauvagerie des vampires nouveau-nés. Un tel morceau confère évidemment à la partition d’Eclipse une ampleur héroïque que ne possèdent pas les deux musiques précédentes.

 

Pour faire contrepoids face à ces accès de rage bienvenus, le compositeur nous offre quelques pièces intéressantes consacrées aux vampires qui prennent une plus grande place dans ce troisième épisode. Conçues sous forme de flashbacks à l’esthétique minimaliste mais très soignée (les années 30 pour Rosalie, la Guerre de Sécession pour Jasper), ces scènes permettent d’approfondir tant la psychologie des personnages que leurs origines légendaires, inspirant à Shore de fascinants portraits musicaux. Celui de Rosalie, tragique et dévoré par les regrets, fait intervenir une voix féminine envoûtante bientôt noyée dans des cordes ombrageuses et des cuivres bouillants. Renouant avec le style dramatique bien connu des amateurs de The Silence Of The Lambs (Le Silence des Agneaux), ce morceau retranscrit parfaitement la douleur et la colère de la jeune femme. Plus mesuré, plus mystérieux et plus contemplatif, le portrait de Jasper semble tout droit tiré de The Return Of The King (Le Retour du Roi) avec son hautbois mélancolique, ses cordes graves et ses percussions grondant en arrière-plan comme une menace jamais en repos. À ces deux titres peut s’ajouter celui associé à Jane, la plus redoutable des Volturi : encore plus sombre et mortifère que les précédents, illustrant le caractère à la fois solennel et impitoyable du personnage, ce morceau est la véritable confirmation que l’univers de Shore, souvent d’une noirceur absolue, convient parfaitement aux vampires de Stephenie Meyer.

 

Ballade en mer

 

Enfin, la partition serait incomplète si elle n’incluait pas un ou plusieurs thèmes consacrés au triangle amoureux sur lequel repose toute l’histoire. Pour célébrer les retrouvailles et la future union de Bella et d’Edward au début et à la fin du film, le compositeur propose une belle mélodie élégiaque interprétée d’abord par le piano dans Compromise / Bella’s Theme puis par les violons dans Bella’s Truck / Florida, et qui réapparaît sous une forme définitivement radieuse dans Wedding Plans afin de servir de base à la chanson du générique final. Lumineuse et positive même dans ses moments les plus touchants, proche des morceaux composés pour les Hobbits dans The Lord Of The Rings, cette mélodie produit un saisissant contraste avec tout le reste du score. Face à elle intervient alors LE thème de la composition, seul présent sur la compilation de chansons éditée parallèlement au score dont il est le fer de lance : le thème de Jacob.

 

Le lien entre Bella et Edward étant désormais – malgré les apparences – bel et bien indissoluble, c’est sur la relation compliquée entre l’héroïne et le loup-garou que le musicien doit se concentrer. Comme la douloureuse preuve d’amour de celui condamné à demeurer l’éternel second, le thème de Jacob, poignant, mélancolique et plombé par la fatalité et les espoirs déçus, innerve en profondeur l’ensemble de la partition, tantôt à la guitare électrique (Imprinting), tantôt aux cordes (First Kiss, Wolf Scent), tantôt au piano (Jacob Black) ou encore au hautbois, pour éclater avec toute la violence de la passion dans le bouleversant The Kiss. Moins troublant et original que Bella’s Lullaby dans Twilight de Carter Burwell, moins grandiose que le thème de New Moon composé par Alexandre Desplat, ce thème n’en est pas moins une belle réussite, certainement le meilleur écrit par Howard Shore depuis la trilogie de The Lord Of The Rings. Sans pour autant marquer d’une pierre blanche la carrière du compositeur, le score de The Twilight Saga : Eclipse est donc de très bonne facture et devrait séduire bon nombre d’auditeurs. De là à dire que les musiques originales constituent les meilleurs éléments des films, il n’y a qu’un pas que chacun(e) sera libre de franchir à sa guise…

 

Gregory Bouak
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