Norma Rae (David Shire)

Les raisins de la colère

Disques • Publié le 01/08/2009 par

Norma RaeNORMA RAE (1979)
NORMA RAE
Compositeur :
David Shire
Durée : 38:34 | 19 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

4 out of 5 stars

Norma Rae, divorcée et mère de deux enfants, est ouvrière du textile dans une petite ville du sud des Etats-Unis. A l’arrivée de Reuben Warshowsky, un délégué syndical de New York, elle se lance à ses côtés dans un combat contre le patronat et ce malgré l’hostilité générale. Combien de films américains parlent de l’aliénation, de l’exploitation, notamment celle du monde ouvrier ? Ces films là, on les compte sur les doigts de la main sous le soleil et les palmiers californiens… Tout ce que décrit le film de Martin Ritt (cinéaste qui fut black-listé dans les années 50, et qui s’était attaqué au combat des mineurs irlandais de Pennsylvanie dans The Molly Maguires [Traître sur Commande]) tient sa substance du monde réel. Dans cette usine textile et cette bourgade paumée, le naturalisme aide à rendre les personnages et les situations crédibles. Certains thèmes du film, comme l’apprentissage, en font aussi une suite logique de Conrack, autre film du réalisateur mis en musique par John Williams.

 

Dès le générique, le spectateur est d’ailleurs plongé dans cet univers sans concession. Après la superbe chanson, écrite par David Shire et Norman Gimbel, qui nous présente l’usine textile (les parents de Norma y travaillent encore) puis Norma elle-même, sa vie, sur fond de photos de famille (petite fille, grandissante, puis mariée, puis mère…). Nous sommes alors plongés sans transition dans le bruit infernal des machines de la salle de tissage de l’usine. Les cadences, l’aliénation du fordisme, le contrôle effectif exercé sur les travailleurs, pris dans cette mécanique implacable.

 

Le travail de David Shire s’entend très peu dans le film. Naturalisme oblige, ce dernier fonctionne très bien sans. La chanson qui ouvre et conclut le film, est largement suffisante, au vu des intentions de Martin Ritt. Fort heureusement, le disque produit par Robert Townson restitue pour les trente ans du film le score entier tel qu’il avait été envisagé par le compositeur. On peut y distinguer deux axes : à partir d’une thématique commune, Shire transforme son matériau mélodique et l’adapte selon les besoins d’une part à la vie de Norma Rae, brave fille de la campagne américaine, spontanée, vivant la vie qui s’offre à elle sans véritablement chercher à la dépasser, et d’autre part au combat du syndicaliste juif Reuben, qui apporte avec lui, l’idéalisme, une forme de culture urbaine et une persévérance du combat pour la justice sociale.

 

Sally Field dans Norma Rae1

 

D’un côté la culture populaire, de l’autre une forme de sophistication, de réflexion. David Shire joue sur les deux registres, à partir d’une même souche. La chanson (une valse) et la musique folk, country, celle de la chronique sudiste qui constituent le thème de Norma et son environnement (It Goes Like It Goes, Country Folk, Ride Home, Hop In, Work Montage, The Lobby, Country Girl) cohabitent avec le thème de l’idéalisme, plus abstrait, mais d’une grande noblesse, du combat pour la justice que veut faire aboutir Reuben (Leaflets, Leafleting et Church). Un hymne sobre dont la voix principale est confiée à la trompette, parfois accompagnée, comme dans la version pour cuivres de Union, qui évoque la musique ancienne. On peut d’ailleurs aisément rapprocher ce thème de celui de All The President’s Men (Les Hommes du Président) du même Shire, incarnant le combat méticuleux pour la vérité des journalistes Bernstein et Woodward. Ces deux voix cohabitent avant de s’unir dans Triumph, qui scelle la victoire conjointe de Norma et Reuben.

 

To Reuben’s Room, introduit à la trompette, développé au hautbois, accompagné de cordes, est certainement la plus belle version de ce thème «idéaliste» Entre temps, les aspects de la vie de Norma, sa vie de fille, de mère et de femme sont mis en musique avec tendresse, telle cette Picnic Scene, absente du film, mais superbe à découvrir sur disque : la polyphonie introductive des vents, cette beauté stravinskyenne qui évoque brièvement la symphonie pour instruments à vent, la tendresse du thème (piano, guitare), prolongée par l’élégie des cordes : une telle beauté est renversante. Norma’s Children présente une version absolument exquise du thème de la chanson-titre à la guitare, tout comme Norma Rae, jouée à la guitare solo.

 

Le travail d’orfèvre de David Shire, qui s’accordait parfaitement avec le cinéma américain des années 70, est remarquable : peu de notes, mais chacune compte. Tout ce qui est essentiel est mis en musique avec économie et un sens incroyable de la construction thématique. Le travail de Stanley Myers sur The Deer Hunter (Voyage au Bout de l’Enfer) était de cette trempe là. Le monde est ainsi fait qu’en dehors de sa superbe chanson, la musique de Norma Rae ne peut s’apprécier que sur disque. Mais quel plaisir de découvrir enfin l’étendue de la réflexion du compositeur après s’être replongé dans ce formidable film. Le disque fonctionne alors comme une prolongation émotionnelle, comme beaucoup de musiques de film devraient encore le faire, un souvenir bouleversant de cette tranche de vie, du combat de ce petit bout de femme déterminée que l’on ne peut qu’aimer et admirer, mis en musique par un compositeur exceptionnel.

 

Norma Rae

David Hocquet
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