Un beau gosse au Royal Festival Hall

Brian Tyler était en concert à Londres le 25 octobre dernier

Évènements • Publié le 30/11/2018 par

Le vent est frais ce soir-là le long de la Tamise, aux abords du Royal Festival Hall, et la question qui nous taraude gentiment, attablés devant une tasse de café noir ou de chocolat, est de savoir si l’atmosphère va bientôt se réchauffer, comme nous l’imaginons alors, une fois confortablement installés dans la grande salle londonienne. Pour tout avouer, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre lorsque, quelques mois plus tôt, nous nous procurions quelques billets pour ce concert. Tout juste espérions-nous de l’expérience à venir qu’elle puisse être suffisamment… fun. Oui, c’est bien là le mot exact : fun. Il faut préciser, à toutes fins utiles, que cela fait un moment que nous n’attendons plus de la carrière de Brian Tyler qu’elle atteigne de faramineux sommets artistiques. Qu’il est loin en effet, bien loin en vérité, le temps des Frailty (Emprise), Darkness Falls (Nuits de Terreur) et The Hunted (Traqué) qui nous avaient tant emballés et laissaient croire en l’avènement d’un compositeur d’une sacrée trempe. Et si depuis le musicien a pu encore, occasionnellement, nous titiller l’oreille un peu plus qu’à l’habitude (Partition, Bug, Columbus Circle), il apparaissait fort probable qu’un concert soit avant toute chose le reflet de ce fameux Brian « boum-boum » Tyler œuvrant auprès de franchises et productions toutes (ou presque) plus boursoufflées les unes que les autres… Un œil rapide sur le leaflet remis à l’entrée de la salle nous conforte d’ailleurs derechef dans cette idée : d’un côté une photo du compositeur, de dos, une baguette (magique) à la main dans un design évoquant sans trop s’y tromper celui de Harry Potter And The Deathly Hallows (Harry Potter et les Reliques de la Mort) et cette mention, « returns live in concert », évoquant un précédent rendez-vous, au même endroit, en 2016 ; de l’autre un catalogue d’une grosse vingtaine de titres dont on se demande instantanément s’ils désignent réellement le programme à suivre tant il paraît copieux…

 Le Royal Festival Hall avant la tempête

 

Nous n’allons bien sûr plus tarder à être fixés : les musiciens du Philharmonia, orchestre en résidence au Royal Festival Hall, s’installent en effet bientôt un à un et, à l’heure dite, Brian Tyler fait son entrée sur scène sous les applaudissements d’un public visiblement impatient, lui aussi, de juger sur pièce. Et le premier extrait donne le ton : avec les percussions et cuivres vigoureux du thème principal d’Iron Man 3 en guise de bienvenue, le compositeur abat d’emblée un atout percutant… et plutôt jubilatoire, il faut bien l’avouer. Comme on s’y attendait, ce n’est donc pas la subtilité qui va guider la sélection, et on ne peut guère en vouloir au principal intéressé tant il a dans sa besace nombre de thèmes décomplexés qui sont pour un grand orchestre autant d’occasions de sonner du feu de Dieu, si vous nous passez l’expression ! Suivent ainsi l’altier Heroes Unite, un segment composé pour une campagne de United Airlines en prévision des Jeux Olympiques d’hiver 2018, un extrait du jeu vidéo Assassin’s Creed: Black Flag, lequel rappelle que Brian Tyler connaît son Poledouris sur le bout des doigts tant sa musique ici évoque clairement Flesh+Blood (La Chair et le Sang), puis de Star Trek: Entreprise où l’on se dit cette fois que c’est plutôt vers James Horner qu’il s’était tourné, là aussi d’une manière assez ostentatoire mais néanmoins pas désagréable du tout. L’apparition de la batterie dans le thème de Now You See Me (Insaisissables) permet ensuite d’introduire en douceur le côté un peu plus « rock » du compositeur, une facette plutôt appréciée elle aussi, tandis qu’il présente avec Yellowstone un motif plus mélodramatique en même temps que l’un de ses plus récents travaux pour la télévision. Par ailleurs, tout au long du programme, chaque morceau ou presque est ponctué de commentaires en direction du public, l’occasion pour le compositeur de saluer notamment la présence dans la salle des protagonistes de Crazy Rich Asians, du réalisateur Louis Leterrier ou même de plusieurs membres de sa famille venus spécialement à Londres pour l’événement.

 

Brian Tyler

 

Retour aux grosses franchises ensuite avec, dans cet ordre, des extraits de Avengers: Age Of Ultron (Avengers : l’Ère d’Ultron), du jeu Far Cry 3 et de la série animée Transformers: Prime, le Into Eternity de Thor: The Dark World (Thor : le Monde des Ténèbres) dont la partie soliste est assurée par la chanteuse Tori Letzter, puis son tonitruant thème pour la saga The Fast And The Furious, avant de conclure cette première partie avec ceux de Now You See Me 2 (Insaisissables 2) et de The Mummy (La Momie). Décidément, il n’est rien ici qui soit fait dans la dentelle et pourtant (pourtant !) ce serait mentir que d’affirmer que ce déballage musical n’attise en rien notre joie, et pas question d’ailleurs de s’en sentir coupable : après tout, quel mal y a-t-il à profiter de l’instant présent en satisfaisant ce qui est sans doute, à bien y réfléchir, un vrai plaisir de gosse, celui qui, on l’espère, sommeille en chacun. Et s’il en est un autre qui partage assurément ce sentiment, et prend un pied d’enfer, c’est bien le compositeur lui-même ! C’est simple : sur scène, il est un spectacle à lui tout seul, un showman qui multiplie gestes, mimiques et mouvements de mèche blonde impeccablement étudiés, agite la baguette d’une façon exagérément démonstrative, se dandine sur son podium, se tournant parfois théâtralement vers une section particulière de musiciens pour, soit-disant, leur intimer le tempo ou ajuster une nuance… Soit-disant ? Oui, affirmons le carrément, car il est impossible d’être dupe : les manières de Brian Tyler tiennent plus du « air conducting » que n’importe qui peut faire à la maison, devant son miroir, en écoutant une grande symphonie de Beethoven ou en se prenant pour John Williams, que du véritable art de la direction d’orchestre. Par ailleurs, avant chaque morceau, et alors qu’il n’est question d’aucune synchronisation à l’écran, se fait entendre un fort peu discret métronome électronique sur lequel se calent les musiciens et le compositeur qui, au fond, ne fait que lancer symboliquement chaque extrait. Quant à la composition et à la disposition de l’orchestre Philharmonia ce jour-là, le moins qu’on puisse dire est qu’elle met parfaitement bien en valeur les limites artistiques des partitions présentées ici, avec un déséquilibre particulièrement voyant entre l’imposante masse des cordes (une cinquantaine) et des cuivres (dix-sept musiciens dont huit cors tout de même !) et l’effectif carrément rachitique des bois (cinq à sept tout au plus selon les morceaux) qui ont la plupart du temps bien du mal à se faire entendre, d’autant plus que les percussions ne sont généralement pas en reste. Un piano, quelques sonorités électroniques pilotées d’une cabine ainsi qu’une quinzaine de choristes installés en position surélevée à gauche de la salle complètent le tableau.

 

Brian Tyler

 

Mais passons sans plus de considérations à la seconde partie du programme avec d’abord le retour de Thor: The Dark World (le thème cette fois), une suite du très joli et romantique Crazy Rich Asians puis le motif principal (un peu tarte, faut bien l’avouer) de Power Rangers, le très hornérien The Greatest Game Ever Played (Un Parcours de Légende) puis le bien bourrin Battle: Los Angeles (World Invasion: Battle Los Angeles) pour lequel Brian Tyler, en vrai m’as-tu vu qui n’a manifestement peur de rien, sort carrément sa guitare électrique sur le podium ! Oui, c’est n’importe quoi, mais il l’assume complètement : un showman on vous dit ! A ce stade néanmoins, notre candide engouement initial s’émousse quelque peu lorsqu’on s’aperçoit que la sélection s’avère somme toute un peu monotone sur la longueur, mettant notamment en exergue des structures souvent identiques à chaque morceau, ce qui n’est pas forcément à l’avantage du compositeur. Puis vient le Universal Pictures Centennial Theme, curieux (et pas très convaincant) assemblage d’arrangements des différentes musiques écrites pour le fameux logo du studio et organisés d’ailleurs autour de celui de Jerry Goldsmith : on remarque au passage – petite mesquinerie de sa part ? – que Brian Tyler ne cite dans sa longue et fière explication de texte aucun des compositeurs concernés… Mais notre enthousiasme repart plus fringant que jamais à l’extrait suivant : en plus d’être la plus ancienne référence proposée ce soir-là, Children Of Dune (Les Enfants de Dune) s’impose incontestablement, comme l’une des toutes meilleures partitions de Tyler et en tout cas celle qui rappellera le plus les espérances placées en lui il y a désormais plus d’une quinzaine d’années. Ce n’est donc pas sans une certaine excitation qu’on en apprécie en live le thème, fort réussi.

 

Boom-Boom Tyler

 

Reste alors à entamer la dernière ligne droite avant la fin du concert : la chanson Drift And Fall Again tirée du film Criminal et interprétée sur scène, une nouvelle fois, par Tori Letsler ; le vrombissant et fort efficace Formula 1, hymne officiel de la ligue de Formule 1 depuis cette année et qui pour un peu, en intégrant des effets sonores de voiture de course, pourrait passer pour un lointain parent (très lointain, précisons) du Grand Prix de Maurice Jarre ; un extrait de la série documentaire One Strange Rock et enfin le thème principal de Teenage Mutant Ninja Turtles (Ninja Turtles). Le public applaudit à tout rompre, à l’évidence fort satisfait du spectacle qu’il vient de voir. En guise de rappel, Brian Tyler s’installe à la batterie et entame un court solo avant de revenir au-devant des musiciens pour un dernier morceau, le dansant Text Ting Swing de Crazy Rich Asians pendant lequel le compositeur s’adonne à une ultime mise en scène, se précipitant soudain vers le piano pour jouer quelques notes avec l’orchestre avant de rejoindre sa batterie, de l’autre côté de la scène puis achever le final sur le podium devant des spectateurs hilares définitivement acquis à sa cause ! Car s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut donc guère lui reprocher, c’est sa vitalité hautement communicative et sa générosité tout au long d’un long programme qui aura bel et bien tenu toutes ses promesses. Le compositeur n’hésitera d’ailleurs pas à s’attarder longuement au bord de la scène pour rencontrer ses fans, posant pour de nombreuses photos et signant autographe sur autographe.

 

Notre jugement ? Et bien croyez-le ou non, c’est avec la banane sur le visage que nous sommes ressortis du Royal Festival Hall, et pour peu que vous soyez disposés, un jour, à endurer un show musical joyeux, décomplexé, même si pas finaud pour un sou (ou même deux), nul doute que vous passerez comme nous un excellent moment.

 

Le Royal Festival Hall

 

Florent Groult
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