Spectre (Thomas Newman)

Le fantôme de James Bond

Disques • Publié le 31/03/2016 par

SpectreSPECTRE (2015)
SPECTRE
Compositeur :
Thomas Newman
Durée : 79:42 | 26 pistes
Éditeur : Decca Records

 

3 out of 5 stars

La musique des récents James Bond n’est-elle plus que l’ombre d’elle-même ? L’arrivée du compositeur Thomas Newman à l’appel d’un Sam Mendes catapulté réalisateur pour Skyfall et Spectre a-t-elle porté un coup fatal à ce que John Barry et son fils spirituel David Arnold (pour ne citer qu’eux) avaient construit autour de l’univers musical du célèbre agent secret issu de l’imagination de Ian Fleming ? De l’avis d’une franche majorité, la réponse à ces deux questions est un oui sans concession. Il reste toutefois quelques irréductibles qui reconnaissent que Newman a su assurer une forme de relève, trouvant le juste équilibre entre les codes classiques de la musique « bondienne » et son propre style, résolument plus minimaliste que celui de son explosif prédécesseur.

 

Toutefois, le bât blesse d’emblée avec la traditionnelle chanson du générique, interprétée cette fois par Sam Smith et intitulée Writing’s On The Wall. Non que la chanson soit mauvaise en soi : elle s’inscrit dans la droite lignée des sonorités de la chanson d’Adele pour Skyfall, qui opérait elle-même un retour aux sources bienvenu après les deux expérimentations assez mitigées de Casino Royale et Quantum Of Solace. Skyfall avait d’ailleurs remporté en 2013 l’Oscar de la meilleure chanson originale en 2013. De là à dire que celle de Sam Smith mérite à son tour la statuette de 2016 (qu’elle a, par ailleurs, obtenu le mois dernier), nous laisserons chacun en juger. Pour notre part, nous nous contenterons de saluer une nouvelle fois le succès de cette mécanique bien huilée, qui laisse cependant un fort arrière-goût de redite, tout comme le travail de Newman pour cette cuvée 2015, qui ne sort à aucun moment des sentiers explorés pour Skyfall et ne s’aventure malheureusement pas là où David Arnold s’est risqué entre 1997 et 2008. Et ce n’est pas la voix aiguë de Sam Smith et le rythme lancinant de la chanson qui vont contredire l’auteur de ces lignes, bien plus sensible au second aspect qu’au premier, qui tend à devenir le talon d’Achille des chansons « bondiennes » Next-Gen.

 

Léa Seydoux fait la belle pour 007

 

Il est d’ailleurs dommage que la coutume qui consiste à reprendre la mélodie de la chanson-titre au sein du score se perde de plus en plus, là où John Barry et David Arnold l’avaient érigée en tradition (pour ne pas dire en art) et prenaient un plaisir communicatif à décliner le leitmotiv concerné de différentes manières tout au long des partitions (Goldfinger et The World Is Not Enough sont de belles réussites sur le sujet). Et pour cause, ces deux compositeurs participaient la plupart du temps activement à l’élaboration de la chanson. En ce qui concerne Newman, seules deux pistes de Skyfall reprenaient la mélodie de la chanson d’Adele (Komodo Dragon et Skyfall), mais cela manquait cruellement de spontanéité. Spectre n’améliore pas la donne et ne fait qu’aggraver le cas de Newman, qui ne reprend à aucun moment le leitmotiv de Writing’s On The Wall dont la mélodie entêtante aurait pourtant pu donner lieu à de multiples déclinaisons musicales réjouissantes et inspirées. L’album se contente de proposer une version courte et instrumentale qui fait office de pétard mouillé, tant en écoute isolée que pendant le film, et transpire la solution de facilité, à l’image du film.

 

Skyfall avait déconstruit un personnage, réussissant en parallèle à être une œuvre forte à même de remettre la franchise sur les rails qu’elle avait quittés depuis Casino Royale. Spectre continue sur cette voie et enfonce par moment bien trop les clous pour que l’on puisse croire un seul instant en la véritable honnêteté de l’ensemble. Il en va de même pour la musique de Newman, même si elle s’avère redoutablement efficace dans son rythme couplée à la mise en scène (il n’est pas le compositeur attitré de Sam Mendes pour rien). Seulement, pour la sensualité accompagnant habituellement James Bond, on était en droit de s’attendre à moins de pilotage automatique que celui qui transpire de Donna Lucia, Madeleine ou The Eternal City, qui ne sont que des clones de pistes de Skyfall, sans parler des nombreux copiés-collés pour la scène d’ouverture à Mexico (qui, pour le coup, n’ont même pas l’honneur de figurer dans la galette éditée par Decca Records). Il suffit d’écouter la composition qui accompagne l’effondrement de l’immeuble, qui reprend note pour note la piste Quartermaster de Skyfall (à partir de 2:47) pour s’en convaincre. Il en va de même pour la séquence suivante avec She’s Mine. La suite confirme d’ailleurs que Spectre ne fait que décalquer Skyfall : le latino Los Muertos Vivos Estan renvoie à l’arabisant Grand Bazaar Istanbul, The Eternal City sort du même moule que A Brave New World et Silver Wraith a des relents de Skyfall…

 

Daniel Craig est très colère : il a cassé son petit avion

 

Tout n’est néanmoins pas à jeter dans Spectre, loin de là. La puissance est de mise, quitte à se répéter, pour des musiques d’action bien sèches et brutales (Backfire, Snow Plane), tout comme le James Bond campé par Daniel Craig s’est posé comme beaucoup moins lisse que celui de Pierce Brosnan. En cela, une sorte de cohérence s’instaure et se confirme, mais ne fait jamais oublier que David Arnold avait déjà bien assuré la première partie de la transition avec ses travaux sur Casino Royale et Quantum Of Solace, des musiques plus sauvages que les précédentes mais néanmoins débarrassées du côté électro (dont le point de non-retour avait été atteint avec l’extrêmement récréatif Die Another Day).

 

Thomas Newman n’était-il donc à ce point pas l’homme de la situation ? Oui et non. D’un côté, le regret de ne pas avoir vu David Arnold officier sur l’excellent Skyfall et le mitigé Spectre est immense. De l’autre, la saga 007 évoluant avec son temps, il était inévitable que James Bond passe à son tour le cap de la mode des musiques « zimmerisées. » Mais il le fait avec sa classe habituelle qui rappellera, quelques années plus tard, qu’en ce temps-là, c’était la mode…

 

NB : le groupe de rock britannique Radiohead avait proposé pour Spectre une chanson qui n’a finalement pas été retenue mais qui, selon une polémique en date de janvier 2016, aurait inspiré Sam Smith dans l’écriture de la sienne, même si ce dernier affirme haut et fort le contraire. Nous laisserons chacun juge, mais il est vrai que les deux œuvres présentent quelques similitudes. Pure coïncidence ou inspiration évidente ?

 

Spectre

Vincent Delhomme