Flic ou Voyou / Le Guignolo (Philippe Sarde)

Virtuose ou vaudeville ?

Disques • Publié le 11/02/2016 par

Flic ou Voyou / Le GuignoloFLIC OU VOYOU / LE GUIGNOLO (1979 / 1980)
Compositeur : Philippe Sarde
Durée : 54:50 | 22 pistes
Éditeur :
Universal Music France – Écoutez le Cinéma

 

 

4 out of 5 stars

Respectivement septième et huitième des quatorze collaborations entre Philippe Sarde et Georges Lautner, Flic ou Voyou et Le Guignolo font désormais partie intégrante du patrimoine de tout un chacun, habitués que nous sommes à les voir régulièrement hanter les grilles de nos programmes télévisés. Taillées sur mesure pour un Jean-Paul Belmondo au sommet de sa forme, les intrigues multiples de ces comédies policières permettent à l’acteur de se livrer à un cabotinage magnifique, entre répliques pleines de flegme, séquences d’action « Bébel sans doublure » et coucheries en tout genre. Le cinéma de Lautner est un cinéma de décalage, décalage en grande partie contenu dans l’univers de Michel Audiard. Véritable Rabelais du cinéma français, chacun de ses dialogues est une partition en soi, nécessairement écrite pour des acteurs virtuoses qui sauront, en un tour de main, mettre en bouche cette sémillante verve.

 

On connaît le goût de Philippe Sarde pour les grands virtuoses. Que ce soit Stan Getz, Herbie Hancock, Didier Lockwood, Yehudi Menuhin ou Wayne Shorter, les plus grands noms du jazz ou du classique sont passés entre ses mains. Le choix du compositeur de faire appel à des musiciens prestigieux est éclatant dans Flic ou Voyou : Chet Baker, Hubert Laws, Ron Carter, Larry Coryell, Billy Cobham, Maurice Vander et Hubert Rostaing. Chacun de ces solistes tisse sa toile, l’entremêlant dans les fils de l’autre, pour faire naître de ce canevas une atmosphère brumeuse, tout comme celle qui nimbe la séquence d’ouverture (Le Premier Meurtre).

 

Flic ou Voyou

 

Stan Borowitz/Angelo Cerutti, flic ou voyou ? Cet inspecteur de l’I.G.S. joue une manche dans chaque camp afin de mieux élucider les agissements criminels de certains de ses collègues. A ce double-jeu antagoniste, Philippe Sarde répond par un mariage apparemment contre nature mais pleinement consenti entre des figures jazzistiques et une influence baroque. Le thème affiche ainsi une truculence libertine et libertaire du meilleur cru, source de jubilation pour l’auditeur qui ne pourra s’empêcher de le réécouter encore et encore. Le reste de la partition, quant à elle, évolue avec plus de retenue, dans un jazz-blues tantôt suave et langoureux (Tendresse Trompette), tantôt plus cérébral et ténébreux (Filature). Entre deux occurrences du thème, elle joue sur les rythmes (Variation Voyou, Tout Nu, Flic ?) et offre des moments de belle intensité : Variation Suspense, où Chet Baker, Larry Coryell et Ron Carter rivalisent de concert dans un magnifique duel à trois (trompette/guitare/basse).

 

Réalisé l’année suivante, Le Guignolo ne constitue pas une suite directe mais propose plutôt une variation sur le même thème. Caleçon à pois (rouges), haut-de-forme (noir), sourire aux lèvres (épaisses), Alexandre Dupré, Vicomte De Vallombreuse, devient le personnage central d’une intrigue policière dont il est l’acteur malgré lui, en possession d’un objet dont il ignore la nature et l’importance. Qu’il se cache dans un placard, qu’il se suspende à un lustre ou à un hélicoptère au-dessus de Venise, c’est un escroc flamboyant qui joue et se joue de tout et de tous. Que Philippe Sarde emprunte alors aux opéras bouffe de Jacques Offenbach apparaît comme une évidence : il y a du Feydeau dans cette histoire où tous les stéréotypes du vaudeville s’enchaînent sur un rythme des plus effrénés (Caleçon et Haut-de-Forme). Les portes claquent, les femmes trompent leur mari, les amants trompent leur maîtresse, le mari bafoué veut venger son honneur… Et tout cela sous couvert d’un vol de tableau et d’une affaire de défense nationale. Le fil à la patte, le guignolo doit sans cesse fuir de nouveaux rivaux, adversaires ou ennemis (Pour Jean-Paul) avant de pouvoir jouir d’un repos bien mérité et bien plus glorieux.

 

Le Guignolo

 

La partition de Sarde joue sur les contrastes : marier l’harmonica de Toots Thielemans au London Symphony Orchestra est audacieux. L’instrument apporte toute l’ambiance du film noir et la mélancolie nécessaire pour contrebalancer la folie des marivaudages dont se parsème le scénario. Le soliste, accompagné de la formation symphonique, reflète parfaitement la situation du personnage, seul contre tous dans sa quête de vérité. Les figures imposées du vaudeville et du film noir se fondent ainsi en un programme libre.

 

Mais, si l’on en croit Georges Lautner, (voir l’entretien figurant dans le livret), cette audace n’était pas du goût de tout le monde, puisque Jean-Paul Belmondo désirait que la fameuse séquence au-dessus de Venise s’accompagne d’une musique plus dans l’air du temps. Sarde, soutenu par son réalisateur, imposa sa partition, mais fut évincé du Professionnel par l’acteur, alors au faîte de sa popularité, ce qui permit à Ennio Morricone de vendre des wagons entiers de son Chi Mai… A croire que Bébel préfère Bach à Offenbach.

 

Le Guignolo

 

Article initialement publié sur Traxzone.com le 04/02/2001.