The Adventures Of Tintin (John Williams)

Le trésor de Williams le Rouge

Disques • Publié le 23/03/2015 par

The Adventures Of Tintin: The Secret Of The Unicorn THE ADVENTURES OF TINTIN: THE SECRET OF THE UNICORN (2011)
LES AVENTURES DE TINTIN: LE SECRET DE LA LICORNE
Compositeur :
John Williams
Durée : 65:26 | 18 pistes
Éditeur : Sony Classical

 

5 out of 5 stars

On ne présente plus la collaboration Steven Spielberg / John Williams, qui a donné depuis 1974 nombre de musiques mémorables. C’est également le cas de celle de The Adventures Of Tintin: The Secret Of The Unicorn. L’alchimie entre les deux hommes y est toujours aussi palpable, et nul doute que le compositeur signe là une de ses partitions les plus réjouissantes depuis Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban) et Indiana Jones And The Kingdom Of The Crystal Skull (Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal). Une partition un peu old school qui fait directement écho à ce que Williams a produit de meilleur dans les années 90 en termes d’action et d’aventure. Renouant avec l’approche thématique qui lui est chère et qu’il avait quelque peu délaissée au début des années 2000 (à l’exception des trois Harry Potter et de la prélogie Star Wars), Williams délivre tout ce qui fait le charme d’une musique « williamsienne » avec, en tête de liste, la pratique qui consiste à attribuer un motif musical pour chaque personnage et/ou élément important du film. Tintin, Milou, Haddock, Dupond et Dupont, les méchants, François de Haddoque, la Licorne et ses parchemins… Tout ce petit monde a son petit air qui reste en tête et qu’il est possible de siffler dès que l’on a achevé l’écoute de l’album. Une véritable marque de fabrique du compositeur, tout simplement.

 

Le disque s’ouvre sur une piste sobrement intitulée The Adventures Of Tintin pour un générique d’ouverture rétro et jazzy qui donne lieu à un court-métrage animé en ombres chinoises évoquant furieusement celui du film Catch Me If You Can (Arrête-moi si tu peux). Très rapidement et très subtilement, Williams introduit le thème de Tintin au clavecin, et utilise les mêmes instruments que pour le délirant The Knight Bus de Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban. D’emblée, le compositeur instaure une ambiance musicale fantasmée de l’Europe des années 40, à grand renfort d’accordéons et de trompettes, ambiance qui se prolongera dans le film (mais non dans l’album, hélas) sur un petit air plein de charme et de nostalgie pour la scène où Milou surprend le pickpocket faisant les poches des badauds au marché aux puces pendant que son maître se fait caricaturer par un artiste de rue à l’accent belge qui n’est autre que Hergé lui-même.

 

Tintin et le Capitaine Haddock

 

L’ouverture est osée et s’impose pourtant avec une logique implacable. Tintin n’est pas un héros américain. Il n’a pas de pouvoirs particuliers, n’est pas musclé ou beau. Tintin n’est pas le sexy Indiana Jones. Il n’a donc pas droit à un thème héroïque et grandiloquent, seulement à un « petit » motif au premier abord discret, naïf et espiègle, à l’image d’un jeune homme certes candide mais confiant, confiance qui est bel et bien présente dans ce thème. Il ne bénéficie peut-être d’aucune piste dédiée, mais il est là. Un thème qui est véritablement représentatif de l’essence même du personnage : on parle beaucoup de ses aventures, mais on ne parle ni de lui ni de son passé. Ce n’est pas un hasard si tout ce qui se rapporte à lui s’appelle le plus souvent Les Aventures de Tintin et non Tintin. Ce qui compte, c’est ce qu’il vit. Après tout, personne ne connaît ni son âge ni ses origines. Tintin reste un mystère passionnant qui a fait couler beaucoup d’encre, une décision de justice avait même sanctionné une pièce de théâtre qui tentait de narrer les origines du héros et ses relations avec ses parents. Pour toutes ces multiples raisons, Williams a adopté un motif passe-partout qu’il utilise à de nombreuses reprises et toujours avec une interprétation différente : ludique, feutrée, glorieuse, victorieuse… En cela, rien que pour cet élément, la bande originale de Tintin constitue une réussite indéniable mais nécessite, pour être considérée comme telle, de se pencher sur toutes les subtilités du disque. Une envie que l’auteur de ces lignes espère bien vous donner une fois que vous aurez achevé votre lecture !

 

Contrairement au thème de Tintin, la plupart des personnages et éléments du film ont droit à leurs thèmes respectifs dans des pistes dédiées, la plus évidente étant le Snowy’s Theme (Milou s’appelle Snowy en anglais, en référence à sa couleur neige) : un air vif, léger, velouté et enjoué pour piano, cordes et vents pour l’éternel compagnon de Tintin. Loin d’être un simple animal de compagnie, Milou est une personne à part entière dans le film. Il ne s’exprime pas par la parole, mais comprend les choses beaucoup plus vite que son maître. Aussi, l’intrigue progresse souvent grâce à lui (il trouve le premier parchemin, il fait boire Haddock pour connaître l’histoire de la Licorne) et Williams a parfaitement su retranscrire le caractère malicieux du valeureux chien qui reste cependant esclave de sa nature de canidé qui le pousse à courser les chats et à préférer s’attaquer aux sandwichs plutôt qu’assister son maître dans le besoin. En tant que personnage principal, Milou bénéficie donc de beaucoup de scènes à lui, chacun de ses exploits et frasques étant accompagné par son leitmotiv. Sa scène emblématique est d’ailleurs la course-poursuite pour rattraper les ravisseurs de Tintin qui vient d’être kidnappé. Le compositeur illustre l’urgence de la situation avec une interprétation plus dramatique et vive que jamais, dans la deuxième partie de la quatrième piste du CD, Introducing The Thompsons And Snowy’s Chase.

 

Tintin et Dupond & Dupont

 

Enfin, dernier thème particulièrement important (mais loin d’être le dernier du disque), celui du capitaine Haddock, objet principal de la huitième piste, Captain Haddock Takes The Oars. Un vrai motif de vieux loup de mer qui semble sorti tout droit d’une bouteille de rhum. Et pour cause, difficile à l’oreille de ne pas déceler le penchant alcoolique du personnage tant le motif musical qui lui est consacré évoque directement la boisson ! Mention spéciale également à The Flight To Bagghar, complètement fou et délirant. Il serait possible de s’étendre plus largement sur tous les thèmes de l’album comme celui des Dupondt (Thomsons en anglais) qui souligne l’incompétence des deux policiers (entendu dans Introducing The Thompsons And Snowy’s Chase et Capturing Mr. Silk), celui de Sakharine, qui matérialise la malveillance du personnage ou encore celui sombre et mystérieux des parchemins de la Licorne (The Secrets Of The Scroll, qui rappelle beaucoup le thème de la Chambre des Secrets dans le deuxième Harry Potter).

 

La partition de Tintin est aussi riche en pistes anthologiques que l’est le film qui demeure, quoi qu’on en dise, un spectacle tout simplement hallucinant grâce à une mise en scène virtuose. Outre le soin apporté aux détails, Steven Spielberg s’amuse comme un enfant avec sa caméra qu’il place à des angles qui auraient été complètement impossibles si le métrage avait été réalisé en live. La musique de John Williams concrétise cette liberté totale d’action qu’a eue le célèbre réalisateur, en particulier dans les scènes d’action qui font l’objet de six pistes impressionnantes. Escape From The Karaboudjan inaugure la première véritable scène d’action de l’histoire. Comme son nom l’indique, Tintin et Haddock tentent de fuir le cargo qui les gardait prisonniers. En à peine plus de trois minutes, Williams rappelle pas moins de cinq fois le thème de Tintin et fait monter la pression pour atteindre son apogée dans un déchaînement orchestral réjouissant. De l’action purement « williamsienne » qui se conclue avec un bref rappel du thème du méchant : les héros sont peut-être sortis d’affaire, mais ce n’est que temporaire, la menace plane toujours…

 

 

Dans l’ordre chronologique du film (et non de l’album), c’est The Flight To Bagghar qui vient ensuite et que l’on a déjà évoqué rapidement. Il s’agit de l’un des moments-phare du film, le voyage en hydravion, qui met en avant la dépendance totale du capitaine Haddock à l’alcool : changements brusques et imprévisibles de rythme, plusieurs rappels du thème de Haddock, personnage qui part littéralement en vrille dans cette scène, tandis que Tintin (dont le thème est rapidement évoqué quand il expose son plan) tente tant bien que mal de maintenir l’appareil en vol malgré les intempéries et les maladresses de son compagnon de route. Williams oriente clairement sa musique vers la comédie-action pour un passage qui constitue à lui tout seul un pur hommage à l’humour d’Hergé. Dommage toutefois que la version figurant sur l’album soit amputée de pas moins de deux minutes par rapport à celle que l’on entend effectivement dans le film, un reproche qu’il est d’ailleurs possible de faire à plusieurs pistes du CD.

 

Autre grand moment important, l’abordage de la Licorne par les pirates menés par Rackham le Rouge. L’affrontement se divise en deux parties qui font l’objet de deux pistes distinctes : la septième (Sir Francis And The Unicorn) et la neuvième (Red Rackham’s Curse And The Treasure). Outre la virtuosité de la réalisation pour cette bataille navale, Williams en profite pour développer le thème de la Licorne couplé aux exploits de François de Haddoque, l’illustre aïeul du capitaine. Si Sir Francis And The Unicorn prend une bonne minute à démarrer, c’est la glorieuse reprise du thème de la Licorne qui déclenche le début des hostilités. C’est alors presque trois minutes de musique d’action ininterrompue ! Cela repart de plus belle avec Red Rackham’s Curse And The Treasure, même si cette piste est entrecoupée de passages relativement plus paisibles car relatifs à la découverte du contenu de la cale de la Licorne. Williams illustre à merveille l’excitation de ce duel de cape et d’épée à l’ancienne, en même temps qu’à l’écran la caméra de Spielberg tourne autour des deux adversaires.

 

 

L’action est encore mise en avant avec The Pursuit Of The Falcon, sans aucun doute la scène la plus spectaculaire de tout le métrage : une course-poursuite en moto avec side-car, jouissive et déjantée (à défaut d’être réaliste). Plus que jamais, la musique de Williams a des relents d’Indiana Jones (Desert Chase et Scherzo For Motorcycle And Orchestra viennent à l’esprit) et de Harry Potter. Haletant, le morceau l’est assurément. Jouissif, il l’est également. A cela faut-il ajouter son caractère varié et surprenant. S’ouvrant sur une reprise accélérée de la chanson interprétée par la Castafiore (qui est la piste qui précède sur le CD, Presenting Bianca Castafiore), l’orchestre s’emballe, oscillant entre les flûtes légères exprimant la grâce du faucon (la mascotte du méchant), les violons stressants (pour la situation dramatique) et les cuivres oppressants (pour le danger environnant). L’humour n’est pas en reste, notre trio de héros (Tintin, Haddock et Milou) risquant le tout pour le tout pour récupérer les trois parchemins dont s’est emparé le faucon du bad guy. Pendant que la moto se disloque lentement alors que Tintin est aux commandes, Haddock tente tant bien que mal de rester dans la course malgré les embûches. Là est l’occasion pour Williams de faire quelques rappels du thème de Tintin. Enfin, dernière scène d’action, le spectaculaire duel de grues entre Haddock et Sakharine, The Clash Of The Cranes (qui fait directement écho au Desert Chase de Raiders Of The Lost Ark) et qui reprend de manière plus mécanique la thématique pirate du duel Haddoque/Rackham, entrecoupée de reprises des différents thèmes pour chaque personnage. Cependant, la partition de Tintin n’est pas constituée que de musiques d’action. Williams distille aussi de véritables ambiances diverses et variées, spécialement Marlinspike Hall et The Secret Of The Scrolls avec leurs forts accents de thriller, ou encore The Milanese Nightingale, qui fait très soirée mondaine des années 20 pour l’apparition de la Castafiore.

 

En conclusion, une musique fort généreuse, à l’image du long-métrage qu’elle accompagne, même si elle ne sort jamais vraiment des sentiers battus. John Williams se complaît dans le style qui l’a rendu si populaire, et il en résulte une œuvre certainement moins inoubliable que d’autres, mais cela n’enlève rien à la très grande qualité de l’ensemble et à la richesse des thèmes créés. Du Williams classique comme on aime et qu’on redemande. Espérons son retour pour le futur The Adventures Of Tintin 2 !

 

A noter l’existence d’un album promotionnel destiné au jury des Oscars 2012, à l’occasion desquels la musique de Williams avait été nominée (c’est finalement celle de The Artist, de Ludovic Bource, qui l’a emporté). Ce CD contient dans les grandes lignes des pistes similaires à celles analysées ici, si ce n’est qu’il s’agit bel et bien cette fois des musiques telles qu’entendues dans le film, et non des versions album. On y trouve notamment les versions complètes de The Flight To Bagghar et du End Credits ainsi qu’une piste inédite, Capturing The Plane.

 

Vincent Delhomme