Vampires Suck (Christopher Lennertz)

Dents longues et idées courtes

Disques • Publié le 23/04/2012 par

Vampires SuckVAMPIRES SUCK (2010)
MORDS-MOI SANS HÉSITATION
Compositeur :
Christopher Lennertz
Durée : 52:42 | 24 pistes
Éditeur : Lakeshore Records

 

3.5 out of 5 stars

Réalisé à peu près en même temps que The Twilight Saga : Eclipse (Twilight – Chapitre 3 : Hésitation) et sorti quelques mois après en salles, Vampires Suck (Mords-moi Sans Hésitation en français, titre ridicule et incapable de retranscrire le jeu de mot original) surfe sur la vague déjà bien déclinante de la parodie et singe tristement les deux premiers épisodes de la célèbre saga créée par Stephenie Meyer. A l’instar des autres films du tandem Aaron Seltzer & Jason Friedberg, ce nouvel opus verse dans le parasitisme cinématographique le plus vil, dans la moquerie plus que facile et surtout dans une épouvantable vulgarité qui ferait presque passer les films de David Zucker pour des chefs-d’œuvre du raffinement… Après avoir fait appel au médiocre David Kitay pour Date Movie (Sexy Movie) puis à l’excellent Edward Shearmur pour Epic Movie (Big Movie), dont le score savoureux est resté scandaleusement inédit, les réalisateurs semblent avoir trouvé leur nouvelle égérie en la personne de Christopher Lennertz, compositeur doué qui mérite bien mieux que les films sur lesquels il travaille habituellement… Après les très fun Meet The Spartans (Spartatouille au cinéma, Orgie Movie en vidéo) et Disaster Movie, il signe avec Vampires Suck le troisième volet de ce que l’on pourrait appeler sa «trilogie parodique» (en espérant pour sa carrière qu’il n’y en aura pas de quatrième) et conclut ainsi avec brio son épopée au royaume de l’humour musical.

 

A l’instar de la musique de Meet The Spartans, qui aurait parfaitement convenu aux modèles qu’elle imitait tels Gladiator et 300, celle de Vampires Suck joue à fond la carte du premier degré, prenant son sujet au sérieux avec une conviction désarmante. Comme le raconte Lennertz dans le livret de l’album, il voulait un grand score lyrico-gothique avec thèmes, ambiances et orchestrations à l’avenant : par chance, c’est aussi ce que voulaient les réalisateurs et ils en avaient les moyens ! Tout est donc pour le mieux et la partition de Vampires Suck ne démérite pas face à celles composées pour la saga Twilight. Plus emphatique, moins intimiste que ces dernières – et un peu plus décousue il est vrai – elle se permet même de verser régulièrement dans la grandiloquence (larger than life, écrit le compositeur), ce qui devrait plaire aux amateurs de musiciens comme Danny Elfman et Marco Beltrami. C’est d’ailleurs sur un motif pour cordes tressautantes on ne peut plus «elfmanien» que s’ouvre le score de Lennertz, qui semble rendre hommage au compositeur de Alice In Wonderland (Alice au Pays des Merveilles), exactement comme l’ouverture de Epic Movie de Shearmur, qui pastichait à l’époque celle de Charlie And The Chocolate Factory (Charlie et la Chocolaterie). Sans référence précise à Tim Burton dans le cas présent, les réalisateurs de Vampires Suck paraissent néanmoins avoir une prédilection pour les travaux d’Elfman et transmettre ce goût à leurs compositeurs.

 

Parodie d'une endive metrosexuelle jouant un vampire

 

Très rapidement, le thème principal de la partition est exposé à grand renfort de cuivres solennels, d’explosions de cymbales, de rafales de violons et de chœurs apocalyptiques : très inspiré, ce thème prouve d’emblée à quel point Lennertz a l’étoffe d’un compositeur de premier plan. L’ensemble de sa partition, comme il se doit, sera bâtie autour de ce thème mémorable qui reviendra à de nombreuses reprises sur différents modes, tantôt lyrique, tantôt épique, toujours avec brio. Ici, c’est plutôt Alexandre Desplat et le romantisme exubérant de New Moon (Tentation) qui servent de référence : quantités de morceaux offrent donc de séduisantes variations au piano, aux cordes, à la flûte, au cor anglais, qui suscitent une émotion sincère et vont droit au but, alors que les images qu’elles illustrent versent clairement dans la parodie. La romance entre les deux héros s’accompagne également de plusieurs mélodies secondaires très élégiaques, délicates et envoûtantes, dans lesquelles interviennent parfois une voix féminine éthérée ainsi que de discrètes sonorités synthétiques. En véritable caméléon, Lennertz, dans des pistes comme Something Strange et Welcome To Sporks, semble citer les travaux les plus réussis de James Newton Howard tels The Sixth Sense (Sixième Sens) et King Kong, dont les superbes thèmes au piano hantent encore les esprits. Dans le très beau The Breakup / Killing Jack, titre-phare de l’histoire et de la composition (comme dans New Moon) et le morceau le plus long et le plus ambitieux de l’album, le compositeur renvoie également au lyrisme de John Barry puis, de façon amusante, propose un motif très proche, tant dans la mélodie que dans les orchestrations, du thème de Lily qui apparaîtra dans Harry Potter And The Deathly Hallows, Part 2 (Harry Potter et les Reliques de la Mort, 2ème partie)… Desplat, dont le score pour New Moon a servi d’inspiration, s’est-il à son tour inspiré de Vampires Suck ? On ne le saura sans doute jamais, mais il s’agit là d’un bel exemple de correspondance musicale !

 

Bien sûr, l’humour n’est jamais bien loin et tout ce qui concerne l’univers des vampires est fait pour amuser le spectateur, à grands coups de moqueries lourdingues qui se traduisent dans la musique par une débauche d’effets jubilatoire. Dans Meet The Sullens, le compositeur pastiche cette fois-ci plutôt l’univers rock et branché du premier opus de Twilight signé Carter Burwell : à l’écran, le ridicule est à peine exagéré de l’original à la copie, la famille de vampires étant là aussi présentée à l’aide de ralentis outranciers ; côté musique, c’est pareil : instrumentations électro, batterie, guitare électrique, mélodie pour violoncelle pleine de sensualité, voix samplée aux accents enivrants, suavité à la limite de la guimauve… Le résultat, très second degré, est totalement jouissif ! L’expérience, réitérée tout au long des scènes de séduction et notamment dans le savoureux Chemistry In Class, est une indéniable réussite : plus Lennertz en fait des tonnes, plus on apprécie !

 

Ouh les méchants imberbes à têtes de Marc Dacascos !

 

Dans la seconde partie du film les scènes d’action et de pseudo-horreur se multiplient et cela s’entend évidemment dans la musique. Outre une sorte de valse entendue dans Sleepwalking et rappelant plus ou moins celle composée par Desplat pour les Volturi, le compositeur illustre alors ce qui se passe à l’écran de façon très conventionnelle mais efficace, avec tout l’arsenal habituel de la musique horrifique, lui qui avait prouvé avec l’excellent Saint Sinner qu’il était plus que doué dans ce domaine. Ambiance gothique oblige, ses références sont forcément très classiques, allant des Batman d’Elfman aux Addams Family (La Famille Addams) de Marc Shaiman – qui déjà lorgnaient vers Elfman – le tout adapté à la sauce Elliot Goldenthal, notamment dans l’usage de cuivres barrissants et de timbales fracassantes. De Goldenthal, dont l’influence se fait sentir dans les Scream et dans Mimic, Lennertz en arrive rapidement à Beltrami, sans doute le musicien le plus pastiché dans Vampires Suck, tant dans les morceaux lyriques, dont le mélange musique électro-voix féminine planante évoque immédiatement le compositeur de The Watcher, que dans les morceaux d’action et d’horreur, pleins d’emballements frénétiques faits de cisaillements de cordes crissantes et d’attaques de cuivres agressifs.

 

Est-ce à dire au final que la partition de Vampires Suck, tout comme beaucoup d’autres musiques de pastiches, ne vaut que pour sa dimension référentielle ? Heureusement non, car elle comporte en elle-même largement de quoi se valoriser et se faire apprécier des béophiles. Cependant, d’aucuns pourront lui faire le reproche, de toute façon inévitable puisqu’elle a été composée pour accompagner des images, de se montrer trop dépendante de ce qui se passe à l’écran : afin de coller au plus près aux multiples sursauts du film et à l’abondance de gags qui impliquent d’incessants changements d’humeur, la musique est à son tour très changeante, heurtée, déroutante. De nombreux morceaux s’écoutent fort bien de façon isolée mais on ne peut nier que l’album dans son ensemble paraît régulièrement chaotique, les mêmes pistes enchaînant souvent trois ou quatre rebondissements, allant de la romance à la comédie, puis de la comédie au suspense, repassant à la romance et s’élançant soudain vers l’action…

 

Cet exercice de style «cartoonesque» ne présente certes aucune difficulté pour l’auteur de Alvin & The Chipmunks (Alvin et les Chipmunks) et de Marmaduke, mais elle lui confère nécessairement une dimension un peu vaine à la longue. Si on l’écoute d’une oreille distraite, la musique de Vampires Suck pourra paraître anecdotique et fatigante. Mais si on y prête une oreille attentive, on pourra y trouver toutes les richesses évoquées plus haut. Le constat, plutôt positif, est donc forcément un peu mitigé au regard de celui effectué à propos des partitions de la saga originale signées Burwell, Desplat et Shore. Pour les inconditionnels de Christopher Lennertz et de Twilight, il n’y a pas matière à discussion ; pour les autres, qu’il nous suffise de dire en conclusion que Vampires Suck constitue avant tout un bon témoignage du talent de son auteur, que l’on espère voir un jour sur des projets plus enthousiasmants et dignes de lui.

 

Doux comme un tapitouf

Gregory Bouak
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