Angélique, Marquise des Anges (Michel Magne)

Coeur de pierre ou coeur d'artichaud ?

Décryptages Express • Publié le 23/01/2017 par

ANGÉLIQUE, MARQUISE DES ANGES (1964)Angélique, Marquise des Anges Cover
Réalisateur : Bernard Borderie
Compositeur : Michel Magne
Séquence décryptée : Angélique devant la statue antique (0:48:58 – 0:51:03)
Éditeur : Universal Music France

 

Sous la caméra placide de Bernard Borderie, il se passe parfois des choses insensées. Tendre maudit incapable de forcer son épouse, Joffrey de Peyrac veut se faire d’abord aimer d’elle. Lui, si laid, tient à lui faire la démonstration de sa dévotion à la beauté, qu’il n’inféodera jamais à son désir. Indomptable, Angélique n’a cessé de le mettre au défi sans jamais lui céder. Mais cette fois, au retour d’une visite ayant permis à De Peyrac de prouver que sa fortune, reposant sur le secret de l’Alchimie, est inépuisable, le Comte va faire rompre le barrage intérieur d’Angélique… et celui de Michel Magne. Pour l’initié aux arts secrets, l’or n’est en fait rien. Sa quête la plus sacrée, c’est l’Amour – son gisement le plus précieux – auquel il consacre un site de fouilles archéologiques. Une recherche si littérale qu’elle emmène la scène qui s’y joue aux limites de la poésie surréaliste, dont les artistes ont placé l’Amour Fou au-dessus de tout. Pour Joffrey de Peyrac, espérer le trouver au fond de soi, ou en fouillant la terre, c’est la même chose. L’Amour est donc personnifié par la statue de cette déesse antique, encore couverte de terre, qu’il découvre devant son épouse… et qu’il va se mette à caresser intensément en jetant des œillades de plus en plus fiévreuses à Angélique.

 

L’arrivée sur le site des fouilles au terme d’une chevauchée endiablée a permis au compositeur de préparer le déchaînement à venir. Envoyant les violons du thème d’Angélique au moindre émoi qui la traverse – c’est-à-dire à presque tous les plans sur elle – Magne nous a soigneusement dressés : fonctionnant comme un stimulus, la rapide montée de violons couronnée d’accords martelés au piano déclenche le réflexe d’attente d’un moment romantique. Mais cette fois, les préliminaires de la scène vont trouver enfin leur conclusion musicale la plus brûlante. Ayant offert à Angélique un aphorisme sur l’éternel de l’Amour idéalisé, Joffrey se tait et, retirant d’un geste viril et évocateur son gant, commence à caresser vigoureusement la statue et, la débarrassant de la terre qui la couvre, fait apparaître la pierre sculptée. Son regard passe de la statue à Angélique, à mesure que la musique s’embrase en un crescendo orchestral dont on se demande jusqu’où il ira.

 

Robert Hossein et Michèle Mercier

 

Jusqu’au bout ! Saturée de cordes, assaillie sous les coups du pianiste, la partition menace d’abord de rompre en cacophonie quand le compositeur lâche au sommet du tout un chœur extasié. Un moment d’abandon d’autant plus déraisonné qu’il n’est jamais relayé par la caméra de Borderie, alternant les champs/contrechamps sur des acteurs hiératiques, réduits à faire passer leur fièvre amoureuse par leurs seuls regards, et cadrant avec relâchement la pantomime amoureuse de De Peyrac en laissant apparaître au fond du cadre trois figurants fort peu motivés, sensés monter un mur de pierre, et se montrant aussi imperméables à la tâche qu’on leur a confiée qu’aux émois qui se déroulent pourtant sous leurs yeux. Le collage de cet arrière-plan trivial derrière les échanges brûlants du couple achève de faire basculer la scène dans un surréalisme qui, pour involontaire qu’il soit, n’en demeure pas moins totalement enivrant.

 

Le mauvais goût musical de la Marquise des Anges est total, version bégayante et obèse du romantisme déjà tardif de Rachmaninoff, d’autant plus criard que la musique peinturlure les images sans aucun discernement pour le relief sur lequel elle est posée à la truelle. Mais c’est sa beauté frondeuse, et Magne, qui s’en défendait pourtant, nous donne ici exactement ce qu’on pensait trouver : un romantisme musical si total qu’il peut en devenir, le temps d’une scène, l’absolu, jusqu’au kitsch. C’est la force de ce mauvais goût : il abat les barrières et défie le jugement esthétique. On reste pantois et saisi devant l’effet indécidable procuré par cette séquence. Mais finalement, n’est-il pas un écho parfait de ce vertige qui nous fait tout confondre, le beau et le laid, le sublime et le banal, qui nous rend incapable de raisonner, que l’on nomme amour ?

 

Pierre Braillon
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