FANTÔMAS / FANTÔMAS SE DÉCHAÎNE / FANTÔMAS CONTRE SCOTLAND YARD (1964 / 1965 / 1967)
Compositeur : Michel Magne
Durée : 61:36 | 27 pistes
Éditeur : Universal Music France – Écoutez le Cinéma
En 1968, les rues de Paris s’enflamment. Le château d’Hérouville aussi : un incendie ravage la grande demeure de Michel Magne dans laquelle le compositeur, ardent adepte d’expérimentations diverses et conservateur de son propre musée, prenait soin de garder bandes et partitions. Un Fort Knox personnel pour un fantôme de l’opéra délocalisé en province. Ses souvenirs musicaux partent en fumée : plus de conducteurs d’orchestre, plus de masters des enregistrements… Dès lors, toutes ses partitions antérieures semblent vouées à l’oubli.
Toutes ? Non, car un groupe d’irréductibles résiste toujours… Nous le savons, l’une des ambitions de la collection Universal est de sortir des ténèbres bon nombre de partitions du cinéma français. Ainsi, cette intégrale Fantômas ne serait qu’un titre de plus dans cette déjà foisonnante collection s’il ne représentait un véritable travail de troglodyte, entre les archives des Editions Hortensia et celles de la Gaumont, où les bobines du film ont révélé une bande son exploitable. Il a fallu reconstruire certains morceaux, dont le thème phare, et c’est à Raymond Alessandrini, arrangeur et pianiste de Magne, qu’a incombé la tâche – treizième travail d’Hercule – de retranscrire à l’oreille le conducteur d’orchestre, à la (pas si) simple écoute de la bande film. Le 18 janvier 2001, une formation identique à celle employée par Magne est venue enregistrer, sous la direction d’Alessandrini, cette partition perdue.
Michel Magne a le sens de la formule musicale (il suffit d’admirer encore la dimension opératique du final de Mélodie en Sous-Sol), un goût pour les audaces, les sons trafiqués, les bandes distordues… Pour preuve, un bestiaire instrumental comme une Cour des Miracles : le larsen de Fandor au Cimetière, les xylophones slapstick de Juve s’explique ou les grandes orgues de l’antre du génie criminel – aussi efficaces qu’à la première vision du film, la guitare électrique dans Une DS dans le Ciel, le piano et les violons du thème d’Hélène, qui transformerait volontiers Mylène Demongeot en Marquise des Anges, les sifflements et raclements de Fantômas se déchaîne, les cornemuses de Fantômas contre Scotland Yard, les cors de chasse d’Opération Artaban… Une instrumentation insolite, des parti-pris orchestraux originaux, comme un bout à bout d’éléments épars. Michel Magne était un Baron Frankenstein (dans un film de James Whale, voir en page 12 du livret) et sa créature musicale est bien vivante. Elle rampe, gigote, sautille, explose grâce à une orchestration peu habituelle. Fou génial et démiurge, Magne était sans nul doute l’un des créateurs les plus intéressants du cinéma français, par son refus de l’habituel et des sentiers battus. Mais en choisissant des chemins de traverse, il s’est peut-être écarté des sentiers de la gloire.
Cette trilogie compilée tend justement – en surfant sur cette vague nostalgique qui semble étreindre le consommateur trentenaire – de redonner à ce compositeur ses galons d’artiste polymorphe, aussi avant-gardiste que populaire. Le succès de cet album (qui a longtemps figuré en bonne place dans les classements de ventes) prouve bien que sortir ce genre de partition n’a rien d’anecdotique. De l’oubli au grand jour, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir dans les deux sens. Ainsi, le travail de restauration opéré par Stéphane Lerouge et Raymond Alessandrini a créé un précédent dans l’édition discographique de musique de cinéma. Rarement avait-on autant cherché à lutter contre les ravages du temps, à ramener à la vie des mélodies enfouies… Une alternative est ici proposée avec un remix signé Nicolas Errèra : en respectant la version originale, en ne tombant jamais dans l’écueil de la démonstration technique ou artistique, il revisite le thème de Magne avec beaucoup de classe et un instinct sûr, prouvant par là-même que la musique électronique peut contribuer à cette archéologie du cinéma. Décidément, c’est une compilation qui fleure bon l’O.R.T.F., le film du samedi soir et les genoux de Noëlle Noblecourt, avant que le rire de Raymond Pellegrin n’offre un cinglant point d’orgue à ce remarquable travail de restauration. Il aura peut-être fallu attendre près de quarante ans pour déguster ce plat de résistance mais, c’est bien connu, la gastronomie ne s’accommode pas de restauration rapide…
Le DVD du troisième épisode, Fantômas Contre Scotland Yard, propose un reportage de 25 minutes intitulé « Le Fantôme d’Hérouville » qui retrace le processus de restauration de la bande musicale de Michel Magne et la séance d’enregistrement, avec des interviews de Marie-Claude Magne, Stéphane Lerouge, Raymond Alessandrini et Nicolas Errèra.