Audi Talent Awards : Alexandre Desplat

La Philarmonie de Paris accueillait le compositeur à la tête du LSO

Évènements • Publié le 04/01/2016 par

En cette fin de novembre 2015, les concerts parisiens avaient quelque chose d’un peu gris. Un mélange confus de gravité et de tristesse contrebalancé par le plaisir d’être là. Se remémorer la fin d’après-midi du 21, qui vit Alexandre Desplat diriger pour la première fois le London Symphony Orchestra dans une salle parisienne, est donc particulier à plus d’un titre. Et quelle salle ! La Philharmonie n’est pas seulement la Rolls-Royce auto- proclamée de la capitale, c’est aussi un immense bateau qu’il convient de remplir, ce qui en inquièterait plus d’un. Mais pas Desplat, apparemment, ni le sponsor de cette soirée, les Audi Talents Awards. Et grand bien leur en prit, car la salle presque comble faisait plaisir à voir, surtout en ces circonstances. Après l’inévitable – et toujours un peu longue – présentation du sponsor et l’introduction assurée par Isabelle Giordano, c’est sous le double signe de la mémoire et du combat que Desplat débuta son concert, en hommage aux victimes des attentats. La mémoire d’abord, par l’exécution d’une Marseillaise plus solennelle que guerrière. Un moment d’autant plus émouvant que le Président François Hollande était présent, et les 2400 spectateurs debout. Le combat ensuite, via l’exécution d’un morceau puissant et percussif tiré de Godzilla, en guise de « haka », comme l’a précisé le compositeur.

 

Enfin, le spectacle pouvait réellement commencer, et il fut au niveau attendu. La musique de Desplat pourrait sembler moins adaptée au concert que les « classiques » d’un John Williams, par exemple, car moins directe et brillante sans doute, du moins plus retenue dans ses effets, quand elle n’est pas franchement intimiste et écrite pour une formation minimaliste, ce qui n’est pas idéal pour s’exprimer dans une salle de cette taille. Ses orchestrations, souvent basées sur des instruments solistes captés de près et des alliages de timbres subtils, ne paraissent pas évidentes à reproduire sur scène. Mais la judicieuse sélection présentée eut tôt fait (pour ceux qui en doutaient) de balayer ces doutes, surtout emballée avec soin par un London Symphony Orchestra rompu à cet exercice, sous la baguette du compositeur visiblement fatigué mais énergique et heureux d’être là. Se sont donc succédées des suites d’Un Héros Très Discret, Girl With A Pearl Earring (ce dernier bénéficiant de mélodies particulièrement enchanteresses et d’une suite de concert développée), de l’élégant et majestueux The Queen, puis de The Ghost Writer : là encore, la durée de la suite était suffisante pour s’immerger dans cette musique au caractère rythmique saisissant, donnant sa pleine mesure en concert, l’orchestre pouvant donner toute sa force hors le cadre restreint du film. Suivirent, pour clore la première partie, The Imitation Game (efficace mais moins marquant) et surtout le très enjoué The Grand Budapest Hotel, que je n’imaginais pas en concert. Ici, le travail de réorchestration a dû être conséquent, et la banane donnée par le résultat final se révéla idéale avant d’aller se dégourdir les jambes !

 

Alexandre Desplat à la tête du LSO

 

La seconde partie démarra tambours (et plus précisément taiko) battants avec un Godzilla frappant au ventre, tout en force primale. Puis le roi des monstres céda sa couronne et la parole à The King’s Speech, souverain d’un tout autre genre, tout en lyrisme contenu. Parenthèse dans ce panorama cinématographique, l’extrait du deuxième mouvement de la Symphonie Concertante pour Flûte et Orchestre – Pelléas et Mélisande laissa entrevoir une œuvre classique mais imagée, dans le sillage des grands français (Debussy en tête), au point de faire regretter de ne pouvoir en savourer qu’un extrait (l’œuvre reçut de belles critiques lors de sa création à Nantes en 2013). Suivit une belle sélection de The Curious Case Of Benjamin Button : une musique incarnant à la perfection le personnage-titre, cherchant à équilibrer tristesse avec passion, à l’occasion brutale et décantée (la scène du sous-marin), dont le thème principal sut nous faire partager (à défaut de nous le faire craindre) le poids du temps qui passe. Un sujet idéal pour Desplat, qui sait manier le minimalisme répétitif et le rendre attrayant, comme le confirma Birth juste après : une partition faisant entendre une figure rythmique à la flûte héritée de John Adams, une autre réservée aux timbales, mais aussi une très belle valse.

 

Pour finir (?) en beauté et de manière spectaculaire, Harry Potter And The Deathly Hallows était le candidat idéal. Du triste Obliviate aux scènes d’assaut contre la célèbre Hogwarts School, ce sont les forces du mal (uniquement cinématographique, heureusement) qui déchainèrent leur puissance dans le vaste volume de la Philharmonie. Des forces aussi noires qu’impressionnantes, auxquelles on pouvait juste reprocher (comme à l’écoute du disque) un certain manque de structure, les morceaux retombant et s’enchainant sans véritable climax, faisant regretter qu’un travail d’adaptation supplémentaire pour le concert n’ait pas été fait. Mais difficile de bouder son plaisir, l’effet de masse sonore faisant son effet, soutenu par des couleurs orchestrales toujours claires (ou sombres, plutôt !) et équilibrées malgré les volumes en jeu. La maitrise du LSO et son expérience de cette musique s’exposait ici pleinement.

 

Le London Symphony Orchestra au grand complet

 

En rappel, le retour de Godzilla (il revient toujours, on le sait depuis 1955), mais d’abord le troublant La Vénus à la Fourrure, un de mes moments préférés de la soirée (une véritable pièce de concert structurée, pour le coup, une dance de Salomé qui vous emporte dans sa ronde hypnotique), puis quelques mesures anodines mais pas désagréables de Twilight: New Moon, « pour les adolescents dans la salle », avoua Alexandre Desplat avant de nous rappeler que « Demain, il y a école. » Hélas, c’est aussi à ce sombre horizon que l’on reconnait les soirées dominicales.

 

Précisons au passage que tout ceci était accompagné d’une projection d’images des films, procédé que l’on peut aimer ou pas, d’autant plus que dans cette configuration, l’orchestre se trouvait coincé en fond de salle, au lieu d’être disposé plus au centre comme c’est le cas normalement : la respiration et la présence de certains rangs de l’orchestre s’en ressentaient depuis les balcons, même si l’acoustique restait convaincante. Notons également l’absence au programme de Rise Of The Guardians, partition puissante et juvénile qui avait su faire voler le Philharmonique de Radio France et emporter les murs de la salle Pleyel avec lui lors d’un concert en 2013. Mais ces regrets personnels mis à part, cette soirée (surtout en ces circonstances) fut un vrai moment de plaisir, et l’interprétation parfaite. Espérons que ce concert sera suivi, dans les années à venir, d’autres belles surprises à la Philharmonie !

 

Alexandre Desplat

 

Remerciements à la Philharmonie de Paris et à l’agence Double 2.
Remerciements particuliers à Margot Despiney pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Photographies : © Double 2.

David Lezeau