David Newman, roi du Rex

Le compositeur et chef d'orchestre brille au Festival Jules Verne

Évènements • Publié le 24/10/2012 par

Imaginer. Explorer. Préserver. Telle est la devise que l’association Jules Verne Aventures, ayant fait de la sensibilisation aux milieux naturels et de l’esprit d’aventure ses raisons d’être, arbore fièrement depuis sa création en 1991. Trois mots auxquels les différentes disciplines artistiques ne peuvent au fond elles-mêmes qu’adhérer. Avec le temps, c’est donc avec beaucoup de naturel que la musique alliée au cinéma est devenue, entre les projections scientifiques, les honneurs et les récompenses, un constituant presque vital du Festival Jules Verne, la manifestation phare de l’association. On mesure du même coup sans peine le chemin parcouru par ses créateurs passionnés, Frédéric Dieudonné et Jean-Christophe Jeauffre, lorsqu’on se souvient non sans un petit pincement au cœur des premiers concerts dirigés par John Scott à la tête d’un orchestre inconfortablement installé sur l’étroite scène du petit amphithéâtre de l’Institut Océanographique de Paris. Désormais, et depuis 2004, c’est l’imposante salle du Grand Rex qui accueille les festivités et qui a permis déjà de bien beaux rendez-vous musicaux, dont en 2007 un concert enfiévré et inoubliable de Lalo Schifrin.

 

Cette année, le Festival Jules Verne affichait fièrement ses vingt ans d’existence et la musique de film ne pouvait bien évidemment être absente de l’événement. Et au contraire même, peut-être n’a-t-elle jamais été aussi bien servie qu’en cette soirée de gala du 11 octobre qui a vu le compositeur et chef d’orchestre américain David Newman soumettre au public, près de deux heures durant, quelques-unes des plus mythiques partitions du 7ème Art, de celles dont on croit naïvement tout connaître et qui pourtant exercent en concert un pouvoir irrésistible chaque fois renouvelé.

 

Après le logo musical de la 20th Century Fox, entrée en matière attendue mais toujours fort à propos il faut bien l’avouer, l’orchestre entonne avec entrain le vigoureux thème principal de How The West Was Won (La Conquête de l’Ouest) composé par Alfred Newman, puis la belle ouverture de Lawrence Of Arabia (Lawrence d’Arabie) de Maurice Jarre. Le doute nous prend néanmoins : est-ce l’acoustique un peu sèche des lieux, jamais réputés pour ce genre de prestation, à moins qu’il ne s’agisse de l’écran géant qui tombe un peu en avant de la section des percussions et en retient les résonances ? Toujours est-il que malgré un orchestre qui, sans briller, assure l’essentiel, les deux morceaux manquent ici d’un certain panache qui emballerait d’emblée l’assistance.

 

 

Fort heureusement, cette impression disparaît définitivement avec la première séquence musicale présentée en complète synchronisation avec l’image, un exercice dont David Newman est devenu un spécialiste incontesté. « Nous l’avons vu pour la première fois au Hollywood Bowl et ce qu’il y montrait nous a vraiment impressionnés » racontent de concert Frédéric Dieudonné et Jean-Christophe Jeauffre. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre ce que tous deux veulent dire : le savoir-faire du compositeur se vérifie immédiatement alors que se marient harmonieusement devant nos yeux la musique et les images de la scène montrant la mort de Madeleine (Farewell / The Tower) dans Vertigo (Sueurs Froides). Rien à dire : dans de telles conditions de direct, les cordes admirables de Bernard Herrmann n’en deviennent que plus envoûtantes encore, l’hommage au compositeur new-yorkais se concluant de manière cette fois tout à fait classique avec la séquence musicale emblématique du Mont Rushmore (Wild Ride) de North By Northwest (La Mort aux Trousses).

 

Edward Scissorhands (Edward aux Mains d’Argent) est assurément l’une des plus belles partitions de Danny Elfman, et sans doute toujours aujourd’hui l’une des plus appréciées. L’absence de chœur en cette soirée (osera-t-on cette simple suggestion pour une prochaine édition ?) limitant le choix de la séquence synchronisée, c’est donc le délicieux Eduardo The Barber qui ravit le public, séduit par l’entrain joyeux puis le rythme nonchalant de habanera qui l’anime. Jerry Goldsmith sera quant à lui plusieurs fois mis à l’honneur et, en cette première partie, c’est d’abord au travers d’une très belle et vibrante sélection de Papillon (Main Theme / Catching Butterflies / End Credits) qui laisse volontiers transparaître le goût du compositeur pour l’écriture impressionniste. Mais l’un des morceaux de bravoure de la soirée est incontestablement le montage d’Alien, soit les séquences de la mort de Dallas (The Shaft), l’éjection de la créature (Out Of The Door) et le générique final (End Titles), une fois de plus en complète synchronisation et, cerise sur le gâteau, dans les versions que Goldsmith avait initialement envisagées. Newman mène alors avec une précision d’orfèvre un orchestre aux aguets, aux cordes crispées et aux cuivres agressifs. En un mot : percutant !

 

Le temps d’un court entracte et c’est Alfred Newman qui ouvre à nouveau la seconde partie avec les percussions entraînantes d’Airport, un thème principal dont on oublie souvent à quel point il est savoureux et qui est ici interprété avec beaucoup d’enthousiasme. Surprise : au terme du morceau, David Newman s’éclipse discrètement de la scène alors qu’est annoncée la suite suivante. Installé dans la salle en compagnie de Jean-Paul Rappeneau, Jean-Claude Petit est alors convié à diriger lui-même sa belle partition pour Le Hussard sur le Toit, malheureusement desservie par une prestation inexplicablement empesée, avant que le Générique de Fin de Cyrano de Bergerac ne permette à l’orchestre de retrouver une bien meilleure allure. Newman revient alors avec la double casquette de compositeur et chef d’orchestre et dans sa besace une nouvelle séquence synchronisée. Introduit par un court arrangement de la valse des Comédiens de Dmitri Kabalevski, Baby’s Wild Ride effréné accompagnant la poursuite burlesque de Ice Age (L’Âge de Glace) est comme on peut s’y attendre un moment musical tout simplement irrésistible et la preuve indéniable que le cinéma d’animation se prête admirablement à l’exercice pour peu que celui-ci soit bien mené. Le public ne s’y trompe pas et manifeste joyeusement son enchantement.

 

 

Après une longue et belle suite de concert tirée de la série télévisée Lost mise en musique par Michael Giacchino puis celle, galvanisante, de Jaws (Les Dents de la Mer), signée bien évidemment John Williams, et dont l’interprétation engagée surpasse ici sans peine celle que l’ensemble Colonne a délivré au mois de juin dernier, Jerry Goldsmith est à nouveau aux devants de la scène de la plus stimulante manière qui soit. A l’écran, Charlton Heston s’efforce d’échapper à ses geôliers et l’orchestre soutient sa tentative dans un No Escape d’anthologie, dense et intense, extrait de la partition avant-gardiste, chef-d’œuvre de son auteur, de Planet Of The Apes (La Planète des Singes). Pour tout dire, on en redemanderait bien, mais il est déjà temps de conclure par une autre séquence d’un autre genre mais tout aussi admirable : le final (The Comeback) de Sunset Boulevard (Boulevard du Crépuscule) et la grandiose musique de Franz Waxman. Il ne reste alors à David Newman qu’à dérouler le rappel préparé d’avance, un Throne Room / End Titles promptement exécuté et euphorisant, tiré de l’inévitable Star Wars (La Guerre des Etoiles).

 

En définitive, si elle ne fut pas exempte de petites faiblesses (quelques traits malheureux ici ou là, un clavier parfois un peu confus) l’interprétation de l’orchestre Jules Verne constitué d’environ quatre-vingt musiciens réunis pour l’occasion a montré de belles qualités. Certains trouveront bien sûr à s’agacer des interventions ponctuant les morceaux pour les présenter, mais ce n’est pas tant la forme qui pose problème : après tout, pourquoi ne pas profiter d’une telle occasion (il s’agit avant tout d’une soirée de gala) pour sensibiliser le grand public au travail des compositeurs au cinéma ? Mais sans doute exigera-t-on alors du maître de cérémonie (ici Ramzy Malouki, de la chaîne Ciné+) un peu moins de tchatche gratuite et un peu plus d’érudition didactique.

 

Au-delà de ce genre de détails, il n’est également pas interdit de penser avec conviction que cette forme de programme hybride à mi-chemin entre le concert classique et le ciné-concert, mêlant donc ouvertures ou suites arrangées et séquences complètes synchronisées, constitue en fin de compte la manière la plus judicieuse, voire tout simplement la plus pertinente, de faire de la musique de film sur scène un art des plus vivants. On ne saurait du même coup exprimer suffisamment notre désir de voir une telle expérience se renouveler, avec l’espoir dès à présent que le Festival Jules Verne rende en 2014 dans ce même esprit un grand et bel hommage aux compositeurs Jerry Goldsmith, David Raksin et Elmer Bernstein dont on célèbrera alors les dix ans de la disparition. Et pourquoi pas ? Messieurs Jeauffre et Dieudonné, avouez que cela ferait un sacré et bien alléchant programme ! A bon entendeur…

 

 


Remerciements à Jean-Christophe Jeauffre et Frédérique Boyer.

Florent Groult
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