Entretien avec Natalie Holt

De Marvel à Star Wars, exploration d'un univers musical

Interviews • Publié le 14/02/2025 par et

Natalie Holt débute sa carrière en tant que violoniste et musicienne d’orchestre avant de s’orienter vers la composition. Elle se fait remarquer grâce à ses collaborations (notamment avec Martin Phipps) sur des séries comme The Honourable Woman, puis poursuit avec des projets à plus grande échelle : Victoria, Three Girls, Wallander, Paddington, Journey’s End, et le très médiatisé Loki pour Marvel. En 2022, elle devient la première femme à composer la musique d’un projet Star Wars en prenant en charge la série Obi-Wan Kenobi, aux côtés d’un thème original de John Williams. Elle a été plusieurs fois nominée à des prix prestigieux (Emmy, BAFTA, World Soundtrack Awards).

Comment êtes-vous passée de l’orchestration à la composition de vos propres partitions ?
Au début, je faisais tout ce que je pouvais faire pour payer mes factures : j’enseignais le violon, le piano, je jouais aussi dans des sessions d’enregistrement et je donnais des concerts en quatuor. Et j’orchestrais pour certains compositeurs et ça en est resté là pendant un moment. Ensuite j’ai rencontré Martin Phipps et je lui ai envoyé mon CD avec un mot : « Si jamais vous avez besoin de quelqu’un pour vous aider. » Il travaillait sur Great Expectations (De Grandes Espérances) quand je l’ai rencontré, et il m’a dit : « En fait j’ai besoin d’un peu d’écriture pour cordes. » J’ai écrit quelques morceaux pour lui, et ensuite les choses se sont enchaînées, ça a pris de l’ampleur.

 

Comment avez-vous fini par travailler pour Marvel et la série Loki ?
Marvel a lancé un appel ouvert pour un projet qui cherchait un compositeur. Je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Ils m’ont dit : « Pouvez-vous envoyer des morceaux un peu spatiaux, science-fiction ? » J’ai donc monté une bande démo. J’ai passé un tour d’entretiens, puis j’ai reçu le script et j’ai découvert que c’était Loki ! Après ça, il a fallu composer pour une scène de cinq minutes et leur envoyer. Il faut croire que ça leur a plu !

 

Est-ce que ce genre de processus est habituel dans l’industrie de la musique de film ?
Je pense que oui quand on est junior. Marvel essayait justement de s’ouvrir. Et comme c’était pour la télévision, ils se sont dit qu’ils pouvaient engager de nouvelles voix. Je crois aussi qu’ils voulaient des compositrices, parce que Victoria Alonso, qui dirigeait Marvel à l’époque, voulait vraiment ouvrir l’industrie à plus de diversité. Ils ont pris des risques sur les personnes qu’ils engageaient, pas seulement pour la musique.

 

 

Avez-vous pris en compte ce qui avait été fait avant pour les films et séries Marvel ?
Non, pas vraiment. Je connaissais bien sûr, parce que j’avais regardé une bonne partie de l’univers, mais ils m’ont dit très clairement : « Nous ne voulons rien qui ressemble au Marvel habituel. » J’étais donc libre de trouver ma place et d’apporter ma propre voix.

 

Puis vous avez fait Obi-Wan pour Disney. Avez-vous travaillé avec John Williams ?
Je n’ai pas vraiment travaillé avec lui parce que j’avais trois mois pour tout faire. John Williams est arrivé après quelques semaines, et ils m’ont dit : « Il va écrire le thème. » Il l’a enregistré et il a choisi certains passages qu’il voulait mettre en musique. Mais il a fait ça de façon assez indépendante par rapport à mon travail. Il avait le premier choix, évidemment. Je suis juste heureuse de l’avoir rencontré. Je l’ai croisé lors de la convention où ils ont projeté la série pour la première fois devant les fans. C’était un moment très spécial. J’étais aussi présente à la séance d’enregistrement où il a dirigé le thème avec Ewan McGregor, le jour de son 91ème anniversaire. C’était incroyable de le voir diriger un orchestre. L’énergie de cet homme est impressionnante. Si un jour j’ai ne serait-ce que la moitié de son énergie à la moitié de son âge, je serai ravie.

 

Entrer dans l’univers Star Wars doit mettre beaucoup de pression sur vos épaules…
C’était extrêmement stressant. Quand j’ai eu le poste, je me suis dit : « Je ne suis pas sûre d’y arriver. » J’ai passé deux semaines à devoir me convaincre moi-même. La pression que je m’imposais était presque paralysante. C’est très difficile de créer quoi que ce soit quand on est aussi stressée. C’était écrasant. J’ai dû arrêter de penser « John Williams va entendre ça » et juste me lancer.

 

Vous avez tout de même travaillé avec ce nouveau thème et d’autres thèmes iconiques de Star Wars. Comment mélange-t-on sa propre musique avec ce genre de matériau culte ?
Kathleen Kennedy voulait que j’écrive le thème des Inquisiteurs. Elle tenait à ce que j’apporte ma propre voix aux nouveautés, avec quelque chose d’un peu frais et différent. Mais elle voulait aussi qu’il y ait des clins d’œil à John Williams. Et je crois que c’est grâce à cette rencontre de deux voix que la magie opère.

 

 

Sur ces deux séries Disney, aviez-vous des contraintes budgétaires ?
Oui, pour la saison 1 de Loki. Au départ, ils pensaient qu’il n’y aurait pas de séance d’enregistrement, que tout serait fait aux synthés. J’ai commencé à écrire et ils m’ont dit : « Bon, peut-être que tu pourrais tout enregistrer en trois heures de session. » J’ai enregistré deux morceaux et là ils se sont rendu compte qu’il en faudrait beaucoup plus. Alors ils ont commencé à ouvrir petit à petit le budget. Mais seulement après avoir vu que la musique en avait vraiment besoin.

 

Que s’est-il passé sur le projet Batgirl ?
Ils ont simplement annulé le projet pour une déduction fiscale. Warner Brothers avait été vendu et ils devaient récupérer plusieurs centaines de millions. Si le film sortait, ils ne pouvaient pas récupérer cet argent. Donc ils ont décidé d’annuler purement et simplement la sortie du film.

 

Vous travaillez sur la musique, et un jour quelqu’un vous appelle pour dire qu’il n’y a plus de film ?
En fait, j’ai reçu un SMS du réalisateur. Une demi-heure plus tard, c’était partout dans la presse. Nous n’avions pas encore enregistré la musique. C’étaient seulement des démos, une sorte de premier jet pour l’ensemble du film. Nous avions eu une projection la semaine précédente. Mais le film n’était pas très bon à ce stade, il fallait le retravailler, et il aurait aussi fallu faire des reshoots…

 

Vous avez beaucoup travaillé pour la TV, mais aussi un peu pour le cinéma. Une préférence ?
J’ai fait tellement plus de musique pour la télévision que je m’y sens plus à l’aise. Je connais le fonctionnement, je sais comment ça marche. Quand je suis passée à un grand film de studio à Los Angeles, c’était plus gros, avec plus d’enjeux. Le processus est aussi très différent. Pour la télévision, il faut travailler vite. Alors qu’au cinéma, parfois, on a plus de temps. Et plus d’argent !

 

 

Entretien réalisé le 16 octobre 2024 par Olivier Desbrosses et Stéphanie Personne
Transcription & traduction : Olivier Desbrosses
Illustrations : © DR
Remerciements à toute l’équipe des World Soundtrack Awards.

Olivier Desbrosses
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