Entretien avec Óscar Araujo

Araujo, seigneur des ténèbres

Interviews • Publié le 11/05/2013 par et

Óscar Araujo a été révélé en 2003 grâce à sa partition très remarquée pour le film d’animation espagnol El Cid : La Leyenda (La Légende du Cid). Il a poursuivi dans cette voie en composant les scores de Gisaku en 2005, Aparecidos (The Appeared) en 2007 et Carne de Neón (Neon Flesh) en 2010. Mais c’est en écrivant la partition épique et flamboyante de Castlevania : Lords Of Shadow pour Konami qu’il a véritablement atteint une notoriété internationale bien méritée. Il est désormais très attendu pour le prochain opus, Castlevania : Lords Of Shadow 2, dont la sortie est prévue pour 2013.

 

Comment avez-vous été amené à composer en 2003 la musique de la version animée de El Cid : La Leyenda ?

Le fait est que je voulais travailler sur un film d’animation. J’ai regardé sur internet quels étaient les projets en cours, et c’est là que j’ai entendu parler de El Cid. J’étais très intéressé par le film, car il pouvait me permettre de m’essayer à la musique épique, donc j’ai envoyé ma démo au réalisateur José Pozo, et il a aimé ce qu’il a entendu. Nous nous sommes rencontrés, il m’a expliqué l’ensemble du projet, et nous avons commencé à travailler à partir de là. Comme le scénario comporte une histoire d’amour et que j’aime que mes compositions aient une sonorité sentimentale, j’ai eu l’opportunité de me donner à fond dans le projet. Ce fut une expérience très plaisante, et elle m’a d’ailleurs ouvert quelques portes pour travailler dans le milieu du cinéma.

 

Vous avez enchaîné deux ans plus tard sur un autre film d’animation, Gisaku, inspiré de l’univers du manga. Avez-vous tiré une queconque inspiration de la japanime ?

La vérité, c’est que je n’ai pas tellement écouté de références de la musique d’animation japonaise pour Gisaku, car même si le film fait directement référence aux anime, les auteurs voulaient également que la musique soit orchestrale et épique. Il y a bien quelques passages électroniques, mais l’idée était d’émuler le cinéma d’action américain, afin de montrer que Gisaku est tout de même un film qui se différencie de ses influences animées.

 

Il y a pourtant dans Gisaku plusieurs univers musicaux distincts…

Le film se déroule à trois époques différentes : le japon médiéval, l’Espagne contemporaine et future. Il fallait développer chaque période. Pour le japon, la musique devait être médiévale et exploiter des instruments de l’époque. Si l’on évoque le Japon du XIVème siècle, il semblait sensé de se référer à la musique de l’époque, donc c’est comme cela que nous avons procédé. Pour l’Espagne contemporaine, nous avons utilisé des instruments régionaux et pour le futur, nous nous sommes orientés vers la musique électronique. Mais il fallait évidemment penser à la composition générale du film, qui devait décrire l’action, et c’est pour cela que la musique est symphonique. Tout est lié, et dicté par les images même du film.

 

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Vous êtes ensuite passé de l’animation au jeu vidéo avec la partition de Castlevania : Lords Of Shadow

J’avais déjà travaillé avec Enric Alvarez, le directeur créatif. Il m’a appelé et m’a parlé du projet. J’ai fait quelques propositions et j’ai commencé à travailler à partir de là, ce fut aussi simple que ça. Les musiques des précédents Castlevania ont été composées par des musiciens japonais, mais comme ce nouvel épisode proposait un changement radical dans la licence, à la fois en termes d’imagerie et de gameplay, il était logique de ne pas utiliser ce qui a été fait auparavant et de repartir à zéro. Vu que Lords Of Shadow propose de nouveaux personnages et un nouveau style, nous avons décidé de travailler sur une musique chorale et épique.

 

Quelles étaient vos instructions concernant la musique de Lords Of Shadow ?

Comme je vous l’ai dit, j’ai eu un bon contact avec Enric Alvarez, et nous voulions faire une musique qui diffère de celle qu’on entend généralement dans les jeux vidéo. En général, la musique émane des situations. Si le joueur pénètre dans une cave, il y a une musique claustrophobique. Quand il entre dans un palace, la musique devient grandiloquente. Mais la musique est la même selon les situations, y compris lorsqu’elles se répètent. Lorsqu’un combat commence, par exemple, c’est toujours la même musique. Avec Castlevania, nous voulions faire quelque chose de différent, et la façon de procéder était de mettre l’emphase sur l’histoire d’amour. A travers elle, il nous a été possible de composer quelque chose de différent, en se concentrant sur les personnages et non sur l’action. D’ailleurs, en dehors des batailles, pour lesquelles j’ai composé la musique en fonction de l’action, j’ai orienté la composition en me concentrant sur le personnage de Gabriel, qui souffre de la mort de sa femme et qui cherche à tout faire pour retrouver son amour. Toute la musique est basée sur son parcours émotionnel. Du coup, cela importait peu qu’il rentre dans une église, dans un temple ou qu’il traverse une forêt, la musique est adéquate à chaque instant, car elle est liée à ce personnage. Je pense que c’est aussi ce qui rend le jeu gracieux, et ce qui fait que la musique a été très appréciée et a reçu de bonnes critiques.

 

Avez-vous collaboré directement avec Hideo Kojima, le créateur de la saga Metal Gear Solid ?

Il y avait la barrière de la langue. En tant que producteur du jeu, il a soumis toutes les idées qu’il avait à Konami, et on me les a fait suivre pour que je les mette en pratique. Mais Kojima avait entièrement confiance dans le studio de développement, et le studio avait confiance en moi, et je sais qu’il a été très satisfait du résultat. Aucun thème n’a été retiré, ils ont tous été approuvés, donc je sais que Hideo et Enric étaient très contents de mon travail. Je n’ai pas eu de problème de ce point de vue.

 

 

Y a-t-il des références musicales aux épisodes précédents de la saga Castlevania ?

Quelques-unes, mais ce sont des petits clichés pour ainsi dire, des hommages très référentiels, afin de faire plaisir aux fans de la licence. Les mélodies ont évidemment été changées afin de protéger les droits de leurs auteurs, mais il y a quelques hommages qui sont je pense méconnaissables, à moins d’être un grand fan, car la composition symphonique change évidemment la donne.

 

Combien de musique avez-vous composé pour Castlevania : Lords Of Shadow ?

J’ai composé plus de trois heures de musique. Trois heures et vingt minutes, que j’ai du produire très vite. Avec les montages orchestraux mêlés aux effets, il y a finalement huit heures de musique réutilisables d’une manière ou d’une autre. Telle partie est jouée avec des percussions, puis sans, selon les étapes du jeu.

 

Malgré l’accueil très enthousiaste réservé au score, aucun CD n’a été édité…

C’est une décision qui revient à l’éditeur Konami, qui détient les droits de la musique et qui décide donc s’il est question de sortir un CD ou non. Je pense, et j’espère, qu’ils vont le sortir prochainement, car ils sont très satisfaits du résultat. Etant donné qu’ils ont sorti les compositions des précédents jeux, il serait logique qu’ils en fassent de même avec celui-ci. Je le souhaite de tout cœur.

 

Êtes-vous un gamer ?

Je joue beaucoup, oui. A vrai dire, quand je ne suis pas en train de composer, je joue. Je peux y passer toute la journée, car j’ai toujours aimé ça, mais il s’agit aussi pour moi de me tenir au courant de ce qui se fait, et de la façon dont le marché évolue, au gré des technologies utilisées. Pour faire des films, il faut regarder des films, donc si je travaille sur des jeux vidéo, je dois y jouer également. D’un autre côté, si je compose pour le jeu vidéo, c’est aussi parce que j’adore y jouer, donc cela se rejoint. Il y a des compositeurs de musique de film qui se mettent à travailler sur des jeux, mais c’est un monde différent et nouveau pour eux. De fait, ils composent leur musique comme s’il s’agissait d’une musique de film. Le fait que je joue à ces jeux me permet de les comprendre et d’intégrer l’esprit général d’un jeu lorsque je compose. J’écris pour le joueur qui va bientôt y jouer, donc cela m’aide énormément d’être un joueur moi-même.

 

Quelles sont, pour vous, les différences majeures entre la musique de jeu vidéo et la musique de film ?

Composer de la musique de film est très différent. Dans un film, les scènes ont un début et une fin. Ce n’est pas le cas dans le jeu vidéo. Vous pouvez commencer un jeu et ne jamais le finir. Vous pouvez le commencer et le finir plusieurs fois. Vous pouvez vraiment prendre votre temps pour finir un jeu. Par contraste, un film vous demande une heure et demie, deux heures de votre temps, et la musique est synchronisée à l’image. Ce n’est pas le cas dans un jeu, enfin si, mais seulement en partie. Le reste du temps, la musique apparaît en temps réel. Si le joueur entre dans un endroit, la musique se lance, mais s’il décide de rester dehors, ce ne sera pas le cas. D’une certaine manière, le score est donc adapté aux actions du joueur, et il n’est jamais le même selon la façon dont chacun joue. C’est ce que je trouve magique dans la composition pour le jeu vidéo.

 

 


Entretien réalisé le 24 juillet 2011 par Olivier Desbrosses et Florent Groult
Transcription & traduction en anglais : Conrado Xalabarder
T
raduction en français : Stéphane Moissakis
Illustrations : © Konami / Olivier Desbrosses
Remerciements à Conrado Xalabarder pour son aide précieuse

Olivier Desbrosses
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