Christophe Héral, compositeur vidéo-ludique
Interviews • Publié le 12/01/2012 par

 

L’essentiel de ses collaborations étant localisées dans le sud de la France, Christophe Héral n’a jamais ressenti le besoin ni l’envie de quitter Montpellier. C’est même dans cette ville qu’il fera une rencontre décisive au début des années 2000 : Michel Ancel, papa visionnaire et fantasque du petit Rayman, deviendra un interlocuteur privilégié au sein d’Ubisoft. La société française de création et de développement de jeux vidéo, dont la popularité fut donc définitivement assise grâce à l’antenne montpelliéraine, comptera alors en son sein un nouveau «créatif» bien original qui trouvera vite ses marques dans ce vivier de créateurs de la même trempe.

 

Sans doute parce qu’il maîtrise tout le son d’un projet, des effets sonores au mixage en passant bien sûr par l’écriture de la musique originale, Héral porte finalement les casquettes de compositeur et de directeur artistique pour deux jeux très attendus made in France par Ubisoft en 2011 : Rayman Origins et Les Aventures de Tintin – le Secret de la Licorne. Même si sa décontraction naturelle élude l’importance des enjeux, c’est avec passion et méticulosité que le compositeur dévoile certains détails de fabrication, nous donnant au passage une petite idée de l’ampleur de la tâche et de la qualité du travail accompli.

 

Est-ce vrai que votre carrière musicale s’est décidée à cause d’une fracture ?

Pas exactement une fracture mais un problème de genoux. Je faisais du ski et voulais devenir skieur professionnel, et à l’âge de 14 ans, le médecin sportif m’a dit d’arrêter la compétition sous peine de m’abîmer définitivement les genoux ! C’était comme si le sol se dérobait sous mes pieds. J’ai donc attrapé ma guitare : alors que je jouais pour le plaisir, je m’y suis mis à fond de 14 ans jusqu’à mes 18 ans. Mais c’est la vie ! Lorsque l’on tombe sur un sens interdit, il faut se laisser emmener sur d’autres voies ! Il n’y a rien de plus triste qu’un plan de carrière.

 

Parlez-nous de l’épisode du fromage de chèvre lors votre rencontre avec Michel Ancel.

Michel cherchait pour Beyond Good & Evil un compositeur issu du cinéma, de la narration linéaire, peut-être parce qu’il n’avait plus envie de travailler avec des gens qui utilisaient les «trucs» du jeu vidéo. Je l’ai donc rencontré par l’intermédiaire d’Hubert Chevillard, un dessinateur que je connais parce que nous avions travaillé ensemble sur un court-métrage, et qui avait intégré l’équipe de graphistes de Rayman 3. Nous nous sommes vus chez moi la première fois et je l’ai amadoué avec du vin blanc et du pélardon avant de lui faire écouter la musique que je faisais (rires). Et puis je lui ai avoué que je n’avais jamais joué aux jeux vidéo de ma vie ; il m’a donc prêté des consoles de jeux… Je ne savais même pas comment on les branchait ! Par contre, ce qui est intéressant, c’est que pendant que je jouais comme un nazebroque, ma femme écoutait les musiques et trouvait qu’elles étaient toujours pareilles. Bon, ce n’était pas tout à fait vrai mais je me suis dit qu’en fait, il fallait composer de la musique de jeu pour les femmes des joueurs, qui ne jouent pas elles-mêmes mais qui écoutent en tricotant à côté de leur mec qui joue comme une brutasse (rires) ! Et comme j’étais totalement nouveau, je me suis éclaté à amener des idées issues du cinéma : il fallait que j’apporte des idées et que nous soyons sûrs de ne pas nous tromper, d’autant que Michel est quelqu’un de très demandeur.

 

C’est un auteur !

Oui, c’est vrai. Et puis il aime avoir l’œil sur tous les aspects d’un projet : la musique, le son, les graphismes… Mais il veut qu’on lui propose des choses : j’adore car ça décuple ma créativité ! Donc il ne faut pas hésiter à se lancer, quitte à dire une grosse connerie (rires) !

 

 

Quels étaient vos interlocuteurs pour Les Aventures de Tintin – le Secret de la Licorne ?

Michel est venu me chercher en 2007 pour répondre à l’appel d’offre. Ubisoft était en concurrence avec Blizzard et Electronic Arts et je pense que nous avons plu à Steven Spielberg car nous avions déjà commencé à travailler sur certaines phases du jeu, ainsi que sur la musique et le son. Après deux ans de tractations, Michel a quitté le projet pour des raisons qui le regardent. Il a choisi de développer Rayman Origins de son côté : tout le monde s’est moqué de lui parce qu’il fallait tout faire, à commencer par le moteur, mais le jeu est finalement sorti deux ans après. Quant à moi, je pensais être viré car j’étais avec Michel au départ mais ils m’ont gardé et ça s’est super bien passé. Je suis très heureux qu’Ubisoft ait choisi de me faire intégrer la core team, parmi les gens qui réfléchissent à ce que doit être le jeu.

 

Musicalement, aviez-vous des directives à suivre ?

En tant que directeur musical, c’est moi qui les donnais ! On comptait sur moi pour la direction artistique, pour trouver ce que l’on raconterait au travers de la musique et du son. Je jouissais donc d’une totale liberté : la Paramount approuvait 90% de nos propositions. Après de longues discussions avec Jacques Exertier, le creative director, je suis parti du principe qu’il fallait axer la direction artistique sur la Licorne et le Capitaine Haddock parce que Tintin est tout de même un personnage qui a moins de failles. Mais Tintin, c’est tout de même quelqu’un qui doute au fur et à mesure qu’il avance dans les albums, notamment quand il rencontre Haddock et encore plus quand il fait la connaissance de Tchang dans Le Lotus Bleu. Au lieu de parler uniquement à son chien, autrement dit à lui-même, il devient donc de plus en plus humain car il a enfin des amis. Et oui, il a aussi une page Facebook, Tintin (rires) ! Et donc, la musique participe de ce point de vue en décelant ces failles qui n’étaient pas apparentes chez lui, et en illustrant également sa relation avec Haddock.

 

Certains thèmes respirent l’aventure !

Nous avons essayé de faire sonner les morceaux relatifs à la Licorne comme dans les films hollywoodiens que Korngold a mis en musique. Si je vous fait écouter un extrait de Sea Hawk, vous verrez que l’esprit est tout à fait le même avec ce que nous avons pu faire avec le Star Pop Orchestra. C’est la musique de nos ancêtres, donc ça pétarade, mais pas comme la musique d’aujourd’hui. J’ai adapté le thème de la Licorne pour le Capitaine Haddock car finalement, sa quête le mène vers elle pour la réhabilitation de son aïeul. Là-dessus, nous avons suivi le même chemin que John Williams car évidemment, c’est la quête du trésor qui inspire la musique du film.

 

 

En parlant d’Haddock, on peut entendre une reprise nostalgique de son thème liée à son aïeul François de Hadoque…

Oui, cela fait partie des cinématiques dont la mise en scène diffère du film. Nous avons retiré les dialogues et avons joué sur l’émotion car c’est un moment où Tintin et Haddock découvrent une porte secrète : Haddock sait très bien qu’il va découvrir les effets personnels de son ancêtre. Les cordes jouent donc d’abord en sourdine puis elles s’éclairent quand Haddock se fige, mais on ne sait pas encore ce qu’il regarde. Au moment où l’on découvre le portrait de son trisaïeul, ils se regardent et c’est alors le violoncelle qui arrive, un instrument soliste qui exprime la relation entre les deux personnages car ils ne font plus qu’un à ce moment-là.

 

Il y a également un thème bien particulier pour Milou.

Je voulais de la musique tzigane pour le chien. C’est à cause de mon père, grâce à qui nous écoutions ce genre de musique quand nous étions petits. Je pensais à Stéphane Grappelli et surtout à Django Reinhardt, mais ce n’était seulement un désir d’artiste car cela correspond vraiment à l’idée que je me fais de la musique que l’on écoutait dans les bars, cette mode du jazz français des années 50. On voit d’ailleurs une bande de romanichels dans Les Bijoux de la Castafiore, ce n’est pas un hasard !

 

Dans un style un peu suranné, il y a aussi Quand il fait beau, je fais le beau ! Mais pourquoi cette chanson ?!

Ah ! Ca vient du frère de Michel, Philippe, qui est un garçon absolument délicieux ! Un jour dans la villa dans laquelle nous travaillions sur Rayman Origins, il regardait par la fenêtre et s’est mis à chantonner «quand il fait beau… je fais le beau». J’ai vite noté ces paroles en me disant que c’était parfait pour une chanson qui passe à la radio dans le jeu Tintin ! C’est de la musique diégétique et elle correspond tout à fait à ce que l’on écoutait à cette époque. Bon, j’en ai rajouté au niveau des paroles «cul-cul la praline» et complètement nulles (rires) ! Et c’est donc moi qui chante, accompagné du Star Pop Orchestra.

 

 

Parlez-nous de votre collaboration avec Mathieu Alvado.

On ne peut pas ne pas en parler ! Mathieu est devenu mon compère au fil des ans et il était très présent sur Rayman mais surtout Tintin. Même si parfois, je lui donnais des choses finalisées et qu’il faisait de la copie, il a fait l’arrangement de beaucoup de morceaux dont la chanson, les orchestrations à la Korngold et d’autres thèmes. Je lui ai laissé beaucoup de liberté concernant les orchestrations : alors que j’avais composé et orchestré la musique d’une cinématique, il a travaillé sur les variations et savait exactement quoi faire par rapport à l’optique de départ. Il a fait un travail formidable, c’est un garçon extrêmement talentueux. D’ailleurs, nous allons de nouveau travailler ensemble.

 

Comment a été écrite la musique pour la phase de jeu dans laquelle Tintin infiltre le palais de Ben Salaad ?

C’est une musique qui privilégie le suspense et quand il faut pistacher le combat avec un ennemi, c’est une piste de percussions qui s’insère dans le morceau mais sans le couper. Elle n’obéit donc pas à un script tel qu’on le conçoit mais elle évolue naturellement de par son écriture.

 

On a également à faire avec la véritable Castafiore et sa célèbre chanson ! Avez-vous enregistré pour l’occasion ?

Oui, il y a d’ailleurs deux Castafiore. Il y a d’abord celle interprétée par Sophie Albert, que l’on entend à la radio, et puis une version destroy, interprétée par une soprano anglaise. Je tenais à ce qu’elle chante «Ah je ris de me voir si belle en ce miroir» parce que dans le film, ce n’est pas du tout cette chanson qu’ils ont retenu, je n’ai pas compris pourquoi d’ailleurs. C’est dommage parce que Spielberg nous avait dit au moment de l’appel d’offre que c’était facile pour nous d’adapter Tintin car nous avons grandi avec : nous ne sommes pas obligés d’ouvrir une bible pour savoir qui est Tryphon Tournesol (rires) !

 

La musique de Rayman Origins est sortie dans une version collector du jeu. Quid de celle des Aventures de Tintin ?

Nous allons tout faire pour la sortir, mais nous n’aurons pas le droit de dire que c’est la BO du jeu. La Paramount ne veut qu’un seul disque estampillé Tintin, celui de John Williams. Nous sortirons donc des «musiques de Christophe Héral».

 

 

Sébastien Faelens
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