Kérity, la Maison des Contes (Christophe Héral)

Nathaniel et le Secret des Livres Magiques

Disques • Publié le 05/08/2010 par

Kérity, la Maison des Contes KÉRITY, LA MAISON DES CONTES (2009)
ELEANOR’S SECRET
Compositeur :
Christophe Héral
Durée : 51:54 | 24 pistes
Éditeur : MovieScore Media

 

4.5 out of 5 stars

Si Christophe Héral peut mettre en sons et en musiques des projets aussi divers que des documentaires, des jeux vidéo et des films d’animation, c’est parce qu’il possède ce talent rare d’appréhender le langage d’une image et d’en recréer, parfois de toutes pièces, la sensibilité. En effet, ce compositeur de l’image opère parfois en tant que bruiteur et mixeur, un poste clé dans l’animation exigeant la parfaite compréhension de ce support aux spécificités à la fois multiples et uniques. Le « son » d’un film – ses bruitages et sa musique – est le fruit d’une longue réflexion sur ce qu’il doit communiquer d’une manière immédiate ou moins consciente : ses formes doivent être harmonieuses et ses saveurs complexes. Donner une âme à un film, c’est ce que fait Christophe Héral, et il le fait bien.

 

Un parcours non conventionnel mais riche en expériences a conduit le compositeur sur le chemin de Kérity, la Maison des Contes, un long métrage d’animation français dont la forme est aussi travaillée que le fond. La réalisation de Dominique Monféry et le graphisme de Rebecca Dautremer posent joliment les bases d’un univers sans fioritures mais plein de charme, et le scénario d’Anik Le Ray et Alexandre Révérend invite au rêve en plaçant intelligemment la littérature au centre d’une aventure passionnante. Après L’Ile de Black Mór, les choix du compositeur se révèlent de nouveau originaux, séduisants, simples en apparence mais d’une incroyable richesse : ses partis pris sont au diapason des qualités du film et privilégient l’expression juste plutôt qu’une surenchère mal avisée. En effet, c’est grâce aux instruments solistes ajoutés à l’orchestre que la musique acquiert une qualité intimiste et que le film « parle » immédiatement à ses spectateurs.

 

L’histoire de Nathaniel, un petit garçon en plein apprentissage de la lecture qui hérite d’une bibliothèque, sera personnifiée par un thème principal enfantin et émouvant que l’on entend dès On The Road To Kerity. Ce titre, qui ouvre le film et le disque, assemble beaucoup d’émotions différentes de la plus belle des manières. C’est d’abord une voix d’enfant qui participe à une ambiance plutôt morose avant que les cordes ne l’accompagnent et donnent un élan vers la découverte. Cependant, la bibliothèque est bien mystérieuse et suscite une rupture jouée par une clarinette basse et un cymbalum, des instruments dont on comprendra le rôle au fur et à mesure de l’écoute. Le thème de Nathaniel reprend ses droits à l’apparition du titre dans le générique, sa mélodie étant augmentée par un petit chœur d’enfants et ornée de cordes, d’une guitare et d’une flûte. Il s’achève alors au piano de manière nostalgique pour évoquer Éléonore qui, maintenant décédée, cultivait le goût de la lecture chez son petit neveu. Enfin, c’est la guitare et le xylophone qui se joignent au piano sur un air plus enjoué pour conclure ce premier morceau avec gaieté.

 

Kérity, la Maison des Contes

 

D’ailleurs, on se rendra compte que le ton du score dans son ensemble est optimiste, malgré les enjeux et les péripéties. Ainsi, l’air de On The Beach fleure bon les loisirs et même Introduction To Mr Pickall se concentre sur la bonne humeur (intéressée) du brocanteur pourtant susceptible de mettre en péril la collection de livres d’Eléonore. Les percussions et l’accordéon font effectivement un portrait assez malicieux de ce personnage attiré par l’appât du gain, dont le thème dans Pickall And The Customer se trouvera coincé entre mysticisme indou et cymbalum : on retrouve donc dans l’instrumentation l’opposition entre l’aspect terre à terre de l’antiquaire (par ailleurs plein de bonhomie) et le rêve et le mystère que suscitent les livres.

 

Le rêve et l’imagination sont particulièrement au centre de l’histoire et la musique en est un vecteur essentiel. Nathaniel n’est pas à l’aise avec la lecture et vit mal son héritage : dans Eleanor’s Letter, la tendresse du trio guitare/piano/xylophone cède la place à l’énigme du cymbalum puis à l’excitation de la découverte emmenée par les cordes, avant que tout cela ne s’effondre en un éclat quasi horrifique. Le rêve – ou plutôt le cauchemar – s’exprime pleinement dans Nightmares & Illusions par le biais du chœur d’enfants fantomatique et des cordes pincées et frappées : Nathaniel est littéralement submergé par les lettres échappées des livres qu’il n’ose ouvrir, les mouvements étant accompagnés par les instruments qui n’hésitent pas à appuyer l’angoisse suscitée par ces visions. Puis The Secret Library nous libère de l’appréhension de Nathaniel en dévoilant la magie dissimulée jusqu’ici par Eléonore. Ce morceau sonne comme le début de découvertes extraordinaires, un piccolo lançant le signal aux héros des contes pour sortir de leur livre. Une parade d’instruments se fait alors entendre pour accompagner ces personnages (avec notamment la clarinette basse pour l’Ogre) et introduire le thème principal joué par le hautbois. C’est après un interlude illustrant l’apparition d’Alice à l’aide de la flûte alto que le thème revient, comme dans le générique, avec le chœur d’enfants : cette fois, il fête la rencontre du petit garçon réel avec les personnages fictifs et anticipe la pérennité de leur existence. Mais revoilà l’ambiance cauchemardesque de Nightmares & Illusions qui revient, car Nathaniel reste sans voix devant la formule magique qu’il doit lire.

 

Rapetissé par la Fée Carabosse et emmené avec les livres par l’antiquaire, le garçon décide dans Nathaniel : Knight Of Kerity de revenir prévenir ses parents et de lire la formule. Son thème y est emmené par les cordes et le cymbalum, qui jouent de concert pour lier les personnages de la bibliothèque à la résolution de l’enfant. C’est donc avec Let’s Go! que commence le périple, les cordes pincées du début évoquant une tranquille promenade. Mais les péripéties à venir donneront bientôt lieu à des débordements de la part de l’orchestre. Dans An Unexpected Rescue et A Crab In The Castle, les mouvements endiablés des cordes et les éclats cuivrés procurent une véritable sensation de danger. Le volume apporté par les orchestrations de Mathieu Alvado et Laurent Juillet s’intègre tout à fait dans l’ensemble de la partition puisque ces morceaux, composés par ce dernier, citent le thème composé par Christophe Héral, et il se justifie naturellement par rapport à la taille lilliputienne des héros, devenus vulnérables face à une vague – plutôt un raz de marée – ou un crustacé devenu monstrueux. Quelle que soit son échelle, le score reste constamment au plus près des personnages.

 

Kérity, la Maison des Contes

 

En éclairant ses pièces longtemps restées dans l’ombre et en insufflant la vie à ses personnages, Christophe Héral donne l’impression d’habiter à Kérity depuis toujours. La flûte alto, qui incarne Alice, prend naturellement part aux préparatifs dans Let’s Go! et apporte ensuite par son ton suave une forme d’intimité, voire une touche de romantisme au départ du « chevalier de Kérity ». L’utilisation de la clarinette basse est développée notamment à la fin de An Unexpected Rescue où l’Ogre, d’abord héroïque, est tenté de « goûter » Nathaniel avant de se résoudre à le suivre sur son parcours. Les hésitations du personnage sont alors très bien retranscrites dans une trame cohérente car l’instrument interagit avec le reste de la formation et finit par s’associer à une marche guillerette entamée par le cymbalum, le piano et des percussions légères. La flûte et la clarinette se retrouvent dans The Truck au moment où Alice et l’Ogre commencent à disparaître : ils subissent non pas les outrages du temps mais l’outrage de l’oubli, et le duo semble s’essouffler dans une tentative de dialogue. Enfin, lorsque tous les personnages enfermés chez l’antiquaire se rendent compte que leur fin est proche, le cymbalum qui les incarne entame une triste mélodie, accompagné à regret par les cordes.

 

Mais il est hors de question de finir sur ces accords néfastes. Tous les instruments – orchestre, chœur et instruments soli – s’accordent dans Eleanor’s Jewels pour faire retentir une dernière fois le thème de Nathaniel, qui a cette fois vocation à rassembler tout le monde et célébrer la sauvegarde et la beauté du patrimoine culturel caché à Kérity. Pas rancuniers envers le méchant de leur histoire, les cinéastes utilisent pour le générique de fin une musique entraînante que celui-ci écoutait dans sa camionnette quand il transportait les précieux livres et leurs personnages. C’est donc par ce joyeux Pickall que se termine le score qui fait montre d’un enthousiasme communicatif et d’une véritable passion pour son sujet.

 

Le travail admirable de Christophe Héral brille d’intelligence et démontre encore une fois tout le charme qu’une musique de film peut apporter à son support, ainsi qu’en écoute isolée – même si elle ne sera pas chronologique sur le disque courageusement édité par MovieScore Media. Si la recherche de l’esthétisme est bien réelle, elle ne verse jamais dans l’esbroufe : les attraits joliment rétro de Kérity trouvent dans le score un compagnon sensible et avenant. Comme le lieu de vacances de notre enfance, l’odeur de vieux livres et le cachet d’une maison ancienne, la partition fait voyager notre esprit et exalte notre imagination. « Cela fait du bien de rêver. On a tous besoin de rêve ! » dit Adrien, un ami d’Eléonore. Si le film (re)donne à ses spectateurs le goût de lire, sa partition donne très envie d’écouter de la musique de film !

 

Kérity, la Maison des Contes

Sébastien Faelens