L’annonce de la disparition soudaine de Jóhann Jóhannsson, survenue ce vendredi 9 février à Berlin, a mis instantanément en émoi notre petit monde de passionnés. Né à Reykjavík le 19 septembre 1969, il était assurément un compositeur intrigant dont on attendait chaque œuvre, chaque collaboration, avec une indéniable curiosité. Son parcours est lui-même singulier : d’abord promis à une formation musicale des plus académiques (il commence l’apprentissage du piano et du trombone à l’âge de onze ans), il ne se satisfait pas de cette voie et la quitte très vite pour se consacrer à des études littéraires et linguistiques. Mais l’appel de la musique est le plus fort : dans le courant des années 90, il se produit en tant que guitariste, écrit pour différents artistes (entre autres le chanteur britannique Marc Almond), fonde le groupe Apparat Organ Quartet ainsi que le label Kitchen Motors.
Très vite intéressé par la manipulation numérique de sonorités acoustiques et électroniques, il entame sa carrière en tant qu’artiste solo au début des années 2000, et le cinéma est déjà là, timidement, avec des titres islandais quasi inconnus chez nous (Íslenski draumurinn et Óskabörn þjóðarinnar en 2000, Maður Eins Og Ég en 2002, Blóðbönd en 2006…). Parallèlement, il travaille pour le théâtre (Englabörn, en 2002) et signe plusieurs albums de musique expérimentales (Virðulegu Forsetar, IBM 1401, Fordlandia…). Si en 2007, il travaille notamment pour une co-production européenne du réalisateur belge Micha Wald, Voleurs de Chevaux, il faut attendre le début des années 2010 pour que sa destinée cinématographique se dessine nettement, avec Fu Cheng Mi Shi (Mystery) du chinois Ye Lou d’abord, un travail qui lui rapporte ses premières distinctions. Mais c’est bien entendu sa rencontre avec le cinéaste québécois Denis Villeneuve qui se révèle déterminante : ses partitions pour Prisoners en 2013, puis Sicario et Arrival (Premier Contact), respectivement en 2015 et 2016, l’imposent comme un musicien dont l’esthétique contemporaine très sophistiquée interpelle. En 2014, c’est avec une musique sans doute plus consensuelle mais tout à fait séduisante qu’il remporte un Golden Globe et une première nomination aux Oscars avec The Theory Of Everything (Une Merveilleuse Histoire du Temps) du réalisateur James Marsh, qu’il retrouvera à nouveau avec le tout récent The Mercy (Le Jour de mon Retour), il touche un plus large public. Cette année-là, il s’essaie également à la réalisation avec le court-métrage End Of Summer.
Orphée, son ultime œuvre personnelle parue chez Deutsche Grammophon en 2016, lui a valu bien des louanges de la part de la critique spécialisée. Choix logique envisagé pour le Blade Runner 2049 mis en scène par Denis Villeneuve en 2017, il doit finalement (et fort malheureusement) céder sa place au triste duo Hans Zimmer / Benjamin Wallfisch. Mésaventure somme toute courante au sein de l’impitoyable univers hollywoodien, mais une occasion manquée qui résonne de la manière la plus amère qui soit aujourd’hui. Jóhann Jóhannsson travaillait actuellement sur le nouveau long-métrage de Garth Davis, Mary Magdalene (Marie Madeleine), et venait d’achever la musique de Mandy pour Panos Cosmatos, présenté au festival de Sundance en janvier. Avec sa disparition tragique à l’âge de 48 ans seulement s’envole sans nul doute la promesse d’une très grande et longue carrière musicale et cinématographique.