«Je n’ai jamais considéré aucune musique de film comme de la grande musique. Il y a occasionnellement des choses de Walton ou Prokofiev qui sont vraiment de la musique de haut vol, mais elles ne doivent pas être comparées avec leur vraie musique. Ce n’est pas du mépris, c’est dû au fait que vous devez écrire à toute vitesse pour quelque chose qui existe déjà.»
Si le jugement pourra paraitre sévère à nos yeux de passionnés, il s’explique d’abord du fait que la musique pour l’image fut avant tout pour Richard Rodney Bennett un moyen de gagner sa vie. «Quand j’étais étudiant, composer pour le cinéma ne constituait pas un jalon important. J’étais juste heureux de travailler, c’était tout ce que je voulais.» Dès l’âge de 18 ans, il travaille ainsi auprès d’un directeur musical, John Hollingsworth, et signe la musique de quelques documentaires puis de petits thrillers de série B tels que Interpol (Pickup Alley) à la fin des années cinquante. Mais comme pour nombre de compositeurs, les conditions mêmes de l’exercice ne sont pas sans avantages : «J’ai aimé écrire de la musique qui était jouée la semaine suivante par de brillants musiciens. C’était le meilleur apprentissage qui puisse exister.»
Diplômé de la Royal Academy Of Music puis titulaire d’une bourse pour étudier deux ans en France auprès de Pierre Boulez, dépositaire d’un style musical parfois dénommé «sérialisme post-romantique» et auteur de plusieurs centaines de musiques de chambre, concertos, symphonies, mélodies, œuvres chorales et opéras, Bennett jalonne une large partie de sa carrière de partitions conçues pour le grand écran. A partir de 1957, il travaille pour des films aussi divers que Indiscreet (Indiscret), The Man Inside (Signes Particuliers : Néant), The Angry Hills (Trahison à Athènes), rejoignant même occasionnellement la mythique Hammer pour The Man Who Could Cheat Death (L’Homme qui faisait des Miracles), The Nanny (Confession à un Cadavre) et The Witches (Pacte avec le Diable).
Il entretient un temps une collaboration fructueuse avec le réalisateur Joseph Losey mais après trois films, Blind Date (L’Enquête de l’Inspecteur Morgan), Secret Ceremony (Cérémonie Secrète) et Figures In A Landscape (Deux Hommes en fuite), elle se rompt définitivement suite au rejet de la partition de The Go-Between (Le Messager). Il travaille aussi notoirement avec John Schlesinger pour Billy Liar (Billy le Menteur), Yanks et surtout Far From The Madding Crowd (Loin de la Foule Déchaînée) qui en 1964 lui rapporte la première de ses trois nominations à l’Oscar de la meilleur musique originale. Il décroche la seconde sept ans plus tard grâce à Nicholas And Alexandra (Nicolas et Alexandra) de Franklin J. Schaffner. Puis, en 1974, c’est à la recommandation de Stephen Sondheim que Sidney Lumet choisit Bennett pour écrire la partition de Murder On The Orient Express (Le Crime de l’Orient Express), qui vaudra une troisième nomination à l’Oscar et un BAFTA pour le compositeur qui retrouvera le cinéaste à l’occasion d’Equus en 1977 avant de refuser le film Just Tell Me What You Want qu’il trouve particulièrement mauvais. Parmi ses autres contributions les plus singulières, citons la formidable partition qu’il écrit en 1967 pour Ken Russell et son Billion Dollar Brain (Un Cerveau d’un Milliard de Dollars), employant un ensemble de cuivres, des percussions, trois pianos, un clavecin, un célesta et les ondes Martenot, et celle, vertigineuse et tourmentée, qu’il offre dix ans plus tard à L’Imprécateur du réalisateur français Jean-Louis Bertuccelli.
Au cours des années 80 et 90, Bennett travaille de moins en moins pour l’image et se concentre sur ses œuvres personnelles, dévoilant enfin une passion longtemps inavouée et secrète pour le jazz. Il trouve tout de même le temps de collaborer avec Mike Newell pour Enchanted April en 1992 puis Four Weddings And A Funeral (Quatre Mariages et un Enterrement) en 1994, et prend un plaisir particulier à signer les musiques de plusieurs miniséries télévisées : Tender Is The Night, The Charmer et Gormenghast.
Installé à New York depuis 1979, Bennett est resté l’un des compositeurs les plus distingués et les plus appréciés de son pays. Fait Commandeur de l’Empire Britannique dès 1977 puis anobli en 1998, il compose en 2004 à la demande du Prince de Galles une œuvre dédiée à la Reine Mère Elizabeth intitulée Reflections On A Scottish Folk Song. Sir Richard Rodney Bennett est décédé la veille de Noël, le 24 décembre, à l’âge de 76 ans.