Remo Williams: The Adventure Begins (Craig Safan)

Tout dans les Muscles #39 : L'Arme Fatale

Disques • Publié le 16/02/2024 par

REMO WILLIAMS: THE ADVENTURE BEGINS (1985)
REMO SANS ARME ET DANGEREUX
Compositeur :
Craig Safan
Durée : 68:51 | 26 pistes
Éditeur : Intrada

 

3.5 out of 5 stars

 

Le tsunami martial qui engloutit l’Occident médusé dans les années 70 ne se préoccupa jamais de fine dentelle : faciès convulsés de rage, symphonie des os brisés, loi du Talion devenue commandement absolu, voilà résumé tout ce que les intrépides spectateurs des cinémas de quartier retinrent des castagneurs fous en provenance de l’Orient vraiment Extrême. Une décennie plus loin, si ces ingrédients fondateurs avaient bien sûr conservé droit de cité, ils s’auréolaient désormais d’un mysticisme sanglé de bâtons d’encens, sorte de philosophie des arts martiaux accommodée à la sauce soja par des scénaristes américains s’étant tout à coup piqué d’aphorismes New Age. Après le détonateur cathodique Kung Fu, qui collait aux semelles usées par la route du Petit Scarabée David Carradine et prônait le respect de son prochain, après les fortune cookies dont les poches de l’impavide Pat Morita dans Karate Kid étaient pleines, surgit Remo Williams. Adapté d’une interminable série de pulps intitulée sans équivoque The Destroyer (L’Implacable en France), ayant pour figure centrale un assassin de l’ombre rompu aux basses besognes, le film ne semblait pas de prime abord être le porte-drapeau par excellence du jargon pittoresque du nouveau « ciné-karaté ». La fanfare décomplexée sur laquelle s’ouvrent les hostilités nous en écarte d’autant plus, et ménage même une autre voie, où un super-héroïsme badigeonné aux couleurs vives de l’Americana se prépare à disperser les inhospitalières ténèbres emprisonnant Manhattan. Trimardeur des marges du septième art, Safan est ici à son affaire, bien que ça ne soit qu’en mode mineur qu’il touille les beaux restes cuivrés de son mémorable thème pour l’aventure interstellaire The Last Starfighter. Remo l’exécuteur serait-il sur le point de faire goûter à sa médecine quelque tyran d’outre-espace ?

 

Non, le film n’a pas la tête dans les étoiles. Nonobstant son thème trompetant (ainsi que ses clignotements de Synclavier, concession malheureuse aux travers grésillants des eighties), le prologue s’abreuve ouvertement à un exotisme peu ou prou zen qui se révèlera très vite l’estampille du Sinanju, le père de tous les arts martiaux qui sont au monde. Enfin, ça, nous le tenons de la bouche du très péremptoire Chiun. Le mysticisme parfois burlesque flanquant le vieux maître coréen, capable de marcher sur l’eau et de serpenter entre les balles avec une élasticité à faire blêmir Keanu Reeves de honte, s’incarne d’abord dans un petit ensemble chambriste que Safan alla en personne constituer au pays du matin calme. On frôle l’expérimental tandis que des sonorités lancinantes, rayées de cordes patiemment frottées par des mains qu’on se représente noueuses et tavelées, enveniment le martyre d’un Remo ayant perdu le nord. Sous la férule de son professeur tout sauf ordinaire, l’ex-flic destiné à devenir le bras meurtrier de la justice endure moult entraînements farfelus, comme de s’agripper dans un tourbillon de nacelles à la grande roue de Coney Island. Le masque pétrifié de Chiun ne lui interdit donc pas l’emploi d’un certain sens de l’humour, à l’évidence partagé par Safan lui-même, qui pirate la ritournelle de boîte à musique que la tradition gémelle à ce type de manège forain pour laisser le thème du vénérable birbe s’y tortiller avec malice. Un thème en fin de compte plus humain que les textures raboteuses arborées par le Sinanju, même si sa paisible majesté, évocatrice de quelque monastère niché à flanc de montagne, passe sous silence le caractère fort peu digne d’un maître de son récipiendaire. Fabuleusement imbu de sa personne, empli d’un mépris serein pour tout ce qui a le malheur de ne pas être Coréen, à l’instar de son protégé sur qui les répliques à l’emporte-pièce pleuvent dru, Chiun est aussi affligé de goûts culturels sujets à caution. En témoigne sa passion pour un soap opera larmoyant, dont l’orgue qui dégouline sur les jérémiades sentimentales semble s’être échappé d’une messe dominicale où les paroissiens dodelinent d’endormissement.

 

En dépit de tout, des liens d’affection finissent par se nouer entre le mentor et le disciple, une relation de père à fils donnant au thème de Chiun ses plus élégiaques itérations, portées par la gracieuse beauté du pupitre des cordes. Ledit thème s’étourdit même d’opium électronique, jusqu’à planer, dans le sens « vangelisien » du terme, lorsque la puissance enfin domptée du Sinanju arrache les foulées de Remo à la gravitation. Force est d’admettre que ce dernier ne manque pas de ressources, au nombre desquelles, outre sa fanfare bourrée d’allant, un motif fréquent de quatre notes. Confié aux soins tonitruants des cuivres, il accompagne notre héros dans la plupart de ses folles équipées, souvent vertigineusement perchées, où la notion d’équilibre devient une denrée cruciale. Que Remo soit aux prises avec des chiens de garde savants l’obligeant à chercher refuge toujours plus haut, ou suspendu à un tronc d’arbre ballotté dans les airs, le féroce quartet illustre sans détour la mort tapie au tournant et la détermination à lui faire face. Par sa répétitivité monolithique, le procédé eût pu entraîner l’indigestion ; mais un rythme trépidant et des orchestrations peaufinées avec savoir-faire écartent le danger d’un trop-plein — mieux que n’y auraient jamais réussi des synthés bien frustes, qui font pâle figure comparés au brio coloré que Jerry Goldsmith et Basil Poledouris savaient à l’époque leur insuffler. Un autre duel au sommet contre la pesanteur se déchaîne parmi les échafaudages dont est quadrillée, depuis ses sandales à la couronne ceignant son front, la Statue de la Liberté. Quelle séquence à couper le souffle Hitchcock se serait régalé à concevoir dans un décor pareil ! À ce détail près que lui en aurait fait son grand et cathartique final, alors que Remo Williams abat déjà à mi-parcours cette carte maîtresse, vrai point d’orgue où même la mise en scène courbatue du vétéran Guy Hamilton s’ébroue soudain, au diapason d’un Craig Safan déployant ici tout son punch typiquement eighties. Entre ciel et terre, Remo, malmené mais jamais au point de s’avouer vaincu, rendra ainsi honneur à l’enseignement de son excentrique maître.

 

Benjamin Josse
Les derniers articles par Benjamin Josse (tout voir)