Venus Wars (Joe Hisaishi)

Tout dans les Muscles #27 : Forever Young

Disques • Publié le 28/07/2023 par

VENUS NO KANATA E (1989)
VENUS WARS
Compositeur :
Joe Hisaishi
Durée : 39:18 | 11 pistes
Éditeur : Columbia Japan

 

3.5 out of 5 stars

 

Ça tient à quelques accessoires, une clope vrillant la commissure de ses lèvres boudeuses, et cette veste bariolée du rouge de la tragédie ; un pot de gomina, aussi, qui pétrifie sa crinière en une houle vigoureuse. Et dans ce visage où l’on n’a pas encore tout à fait gommé les reliefs de l’enfance, deux yeux fiévreux, prisonniers de cernes bistres. Tout est là, trois fois rien, de prime abord — plus qu’il n’en fallait, en vérité, pour qu’éclose le mythe James Dean, et avec lui le Rebel Without A Cause, emblème suprême du mal-être adolescent, qui toise avec effroi et morgue confondus les vicissitudes à n’en pas finir du monde des adultes. À présent, essayez d’imaginer Joe Hisaishi au volant d’un monstre caparaçonné de chromes luisants, en train d’extorquer au moteur moult feulements rauques dans sa hâte de se mesurer au jeu de la dégonfle… Le compositeur canonisé d’Hayao Miyazaki et Takeshi Kitano, étendard extrême-oriental du « péril jeune » ? Il s’y frotta bel et bien, en tout cas. Dans un pays tel que le Japon, où Dean fit quantité d’émules, l’effet de surprise est à minorer. Passé à une vitesse fulgurante, presque sans transition, de siècles entiers d’une féodalité paraissant immuable à son tonitruant âge moderne, confronté à la soudaine soif d’absolu des nouvelles générations, l’Archipel raccrocha tant bien que mal les wagons de la fureur de vivre à l’américaine. Toute l’industrie du divertissement, également happée par cette mue spectaculaire, donna asile aux mauvais garçons. Pas besoin de le leur dire deux fois : même l’infini galactique du space opera ne put résister à l’hallali corné par la jeunesse triomphante. Mobile Suit Gundam, fleuron increvable du manga et de l’animation nippones, témoigne on ne peut mieux de cette percée juvénile droit vers les étoiles. Constellations tapissées de diamants, planètes fabriquées de toutes pièces par des auteurs avides d’exotisme, et quelques autres parmi leurs pareilles dont les noms résonnent familièrement à nos oreilles — telle Vénus, théâtre livide des guerres que l’homme, où qu’il soit, s’échine à déclencher.

 

Les cailleras de la science-fiction se distinguent de leurs ainés outre-Atlantique sur un point fondamental : si rebelles soient-ils, eux n’en ont pas moins une cause à défendre. Ici est peut-être l’enthousiasmant hiatus, le motif décisif pour lequel Joe Hisaishi, balançant au diable ses bientôt quarante ans, passa blouson de cuir et jean étroit ; sans aller, ceci dit, jusqu’à enfourcher un monobike ultra-véloce pour se jeter aux côtés des Killer Commandos dans l’arène vénusienne. À défaut, il leur composa un hymne pétaradant, cinglé de bout en bout par les lanières électriques des riffs de guitare, une boule de nerfs et de feu que la J-pop habille des couplets de circonstance. Là, une voix de stentor, criblant ses vociférations des anglicismes devenus monnaie courante dans les années 80, exhorte à résoudre pied au plancher les errements existentiels. Trouve-toi un but, mieux, un idéal, et fonce l’atteindre : on flaire la patte du réalisateur et mangaka Yoshikazu Yasuhiko, clef de voûte à lui seul de la tentaculaire généalogie « gundamienne », qui de nouveau accorde son entière sympathie (et, au passage, son prodigieux sens du rythme) aux loubards en pleine sédition du formidable anime Venus Wars. On reconnaît en outre dans ces flonflons à destination des fins gourmets Hisaishi himself, évidemment pas le poète animiste qui sortait alors à peine des langueurs apaisées de Tonari No Totoro (Totoro), mais le plébéien sans complexe auteur d’albums solos dont la postérité, le plus souvent, préfère taire l’instrumentarium spartiate et la verve débraillée.

 

Le « vrai » Joe, celui qu’adulent les foules aux quatre coins du monde, n’étouffe pourtant pas complètement sous le bâillon. Cordes, hautbois et piano, chacun brillanté par son sentimentalisme notoire, forment l’élégant triumvirat d’un Love Theme d’où l’espoir ruisselle en filets d’argent. La foi en de meilleurs lendemains, voici ce qui manque cruellement à une planète aride, harcelée par des essaims de tanks pareils à d’immenses cloportes d’acier. Les nombreuses batailles voyant s’entre-déchirer ces léviathans avec des motards trompe-la-mort sont, pour un Hisaishi qui ne demande rien tant qu’en découdre, autant de prétextes à charger bille en tête. Il s’y emploie avec les moyens du bord, cahin-caha, la formation de toute évidence modeste sous son égide s’estompant fréquemment à l’avantage de remous électroniques, frappés au coin reconnaissable entre mille des eighties. Parti-pris revendiqué d’un air crâne ou solution de rechange sur laquelle on se serait rabattu la mort dans l’âme ? Au souvenir des agapes symphoniques d’Arion, précédente collaboration entre Yasuhiko et Hisaishi, il serait tentant de favoriser la deuxième hypothèse. Qu’importe, au fond. Trop fiers pour chercher à se draper des reflets artificieux du similor, les synthés assument leurs guenilles en multipliant onomatopées sonores et pulsations taillées d’une pièce. Cette absence de subtilité frustrerait peut-être ailleurs. Mais ici, dans un film effréné comme l’est Venus Wars, elle bombarde de stimuli primitifs ainsi que le ferait une Gatling. Avec, pour cœur de cible, une jeunesse refusant de se laisser domestiquer, qui écrit son futur dans un océan de poussière.

 

 

Benjamin Josse
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