Commando Ninja (Thomas Cappeau)

Tout dans les Muscles #23 : Il faut sauver les années 80

Disques • Publié le 02/06/2023 par

COMMANDO NINJA (2018)
COMMANDO NINJA
Compositeur :
Thomas Cappeau
Durée : 36:55 | 14 pistes
Éditeur : Lakeshore Records

 

3.5 out of 5 stars

 

Remémorez-vous (mais les avez-vous seulement vus, pauvres cinéphiles à la mie de pain ?) les vivifiants Ninja Eliminator ! Un quarteron de bandes-annonces factices, bricolées dans l’allégresse par le consortium franco-québécois Roadkill Superstar qui entendait ainsi saluer d’une génuflexion bouffonne les pelloches de ninjas de Joseph Lai et Godfrey Ho, ces surréalistes machins entrés au Panthéon de l’ineffable. Une sacralisation due, il va sans dire, à des raisons toutes plus mauvaises les unes que les autres, et que les boute-en-train de RKSS s’amusèrent à singer avec une sorte de brio galeux : des escarmouches chorégraphiées par un prestidigitateur en état manifeste d’ébriété, des Babygros exploitant toutes les moirures d’une flaque d’essence, un hybride stupéfiant (sa moustache tétanise !) de Mike Abbott et Richard Harrison, empereurs malgré eux de la tatanerie cagoulée… Sans oublier un téléphone à l’effigie de Garfield. En un mot comme en cent, la formule archétypale du succès. Commando Ninja l’applique à la virgule près, et cette fois, 68 minutes durant. Il part même avec un atout que ses congénères mongolos n’ont jamais eu planqué au fond de leur manche. Ceux-ci, en effet, se font remarquer entre autres furoncles par une bande-son capharnaüm, amalgamant répliques ânonnées dans un anglais de cuisine et synthétiseurs faisant tintinnabuler à leur remorque les casques de Daft Punk — ce qui nous propulse assez loin de nos chers ninja de pellicule, dont les cabrioles, fidèles aux us et coutumes extrême-orientaux en vigueur à l’époque, usaient des musiques à grand spectacle des cinémas européen et américain comme d’un tremplin de choc. Qu’on n’aille pas en déduire pour autant que Commando Ninja s’amuse à son tour à puiser directement à la source sa pitance musicale ! Lui aussi, sans le sou, doit composer avec la lie des sons électroniques. Mais grâce à l’enthousiaste bidouilleur Thomas Cappeau, recyclage à en perdre haleine et coins-coins labellisés Bontempi, potentiellement rébarbatifs, pour ne pas dire assommants, acquièrent le tranchant parcouru de reflets liquides du katana !

 

Sans perdre une seconde, Cappeau s’active à démontrer qu’il n’a rien d’un perdreau de l’année en lançant, à l’instar du film, une fiévreuse opération pastiche. Tandis qu’un groupe de baroudeurs armés jusqu’aux dents crapahute dans les eaux saumâtres de la Rambosploitation, un ennemi invisible verrouille ses cibles via un système de vision thermique dont on jurerait avoir croisé ailleurs les rouges bavocheux. L’occasion (et même l’obligation) pour le compositeur de prouver qu’il connaît comme sa poche les classiques musculeux des eighties, en déployant une atmosphère moite que le tout-synthétique, ô stupeur, n’estropie en rien. Certains samples, au rendu plein et incarné, laissent tout du long de l’écoute coi, à telle enseigne que de lourds soupçons poignent ici et là quant à l’impromptu d’une poignée de solistes en maraude… Ce saxophone qui brame à l’inimitable mode des années 80 quand trépasse le béret vert rustaud Hopkins, une dernière baliverne d’un goût exquis sur les lèvres, n’est-il réellement qu’un pis-aller de synthèse ? Les coléreux accès du basson, flanquant le faciès impavide derrière ses lunettes noires du super-cyborg Kowalsky, n’ont-ils d’autre existence que celle d’un fac-similé surgi des entrailles d’une archaïque technologie ? Mais si la réponse a beau être immanquablement oui, l’auditeur charmé ne demande pas mieux que de se laisser convaincre de l’inverse. Ailleurs, par contre, l’illusion tombe à court de combustible — carence volontaire, précisons-le. Nombre des maîtres à penser de Commando Ninja firent jadis l’économie d’un orchestre tous cuivres proéminents, témoins les « vandammeries » des débuts où Paul Hertzog, pour une bouchée de pain, modèle dans les panaches d’encens un spiritualisme asiatique de pacotille.

 

Brandi par moult films de cogne américains dès lors que le mâle blanc s’engage sur la voie des arts martiaux aux côtés d’un vénérable mandarin, ce cliché vermoulu déploie ici encore en gros moellons sa supposée zénitude. Un adage bien connu des vieux loups de mer du cinéma alternatif soutient que seul un ninja est capable d’abattre un ninja, et c’est en le suivant à la lettre que John, notre héros bodybuildé, peut espérer trouver la parade contre le terrifiant Ninja Rouge. Leur première rencontre a lieu sur un champ de bataille musical des plus familiers, aux quatre coins duquel résonnent les steel drums de confession caribéenne de Commando (ou plutôt leurs solides avatars électroniques), et les borborygmes aux rudes arêtes de silex de Rambo: First Blood Part II. On avait prévenu, et ça n’était pas des paroles en l’air : Commando Ninja fait réellement feu de tout bois, jusqu’à s’écarter parfois du cinéma d’action dépoitraillé pour mieux fureter en des endroits inattendus. Home Alone par exemple, avec ses chausse-trappes burlesques et son post-romantisme à croupetons, qui n’aura écopé que d’assez peu de stigmates au sortir des logiciels de Thomas Cappeau. L’inspiration décisive, celle qui permettra à John de renoncer à ses certitudes gluantes de testostérone, ne gîte évidemment pas dans la féérie à la Williams, mais quelque part au milieu des crachotements dignes d’une antédiluvienne borne d’arcade ; lesdites quintes ressemblant à s’y méprendre au thème hyper-rigide du Revenge Of The Ninja (Ultime Violence) de Rob Walsh, médiocre grouillot du bis comme il y en eut tant. N’empêche, même si les feuilles de papier calque s’agglutinent aux semelles de Cappeau, l’exercice d’ordinaire modérément gratifiant du copier-coller se dote, grâce au peps juvénile dont l’entreprise entière déborde, d’une modeste mais bien réelle force de caractère. Normal — le compositeur est allé à bonne école : trois ans auparavant, il cravachait au poste d’ingénieur-son sur Ninja Eliminator 4: The French Connection. Cappeau-sama, you’re a true ninja warrior !

 

Benjamin Josse
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