American Ninja (Michael Linn)

Tout dans les Muscles #18 : Le ninja casse

Disques • Publié le 10/03/2023 par

AMERICAN NINJA (1985)
AMERICAN WARRIOR
Compositeur :
Michael Linn
Durée : 23:11 | 1 pistes
Éditeur : Silva Screen Records

 

3 out of 5 stars

 

Ô paradoxe cruel. Comment et pourquoi, la même année, un film aussi brillant que le Brazil de Terry Gilliam ne rencontre pas son public alors qu’un American Ninja somme toute assez passable fait sensiblement mieux au box-office ? Ce sont là les mystères du cinéma. Et ceux du public. D’un côté, un film trop en avance sur son temps, qui pousse le public à réfléchir sur ce qu’il voit. De l’autre, un film déjà ringard à sa sortie, qui pousse le public à laisser son cerveau dans le seau de popcorn.

 

American Ninja, bizarrement rebaptisé American Warrior en français (bah quoi, vous ne savez pas ce qu’est un warrior en français ?), probablement parce qu’en cette année 1985 sortent deux films américains qui portent le même titre, est l’un des gentils nanars qui va lancer la mode du film de ninja fauché. Qui est le plus souvent fauché du ninja ou du film ? Cela dépendra si le tout-puissant duo de producteurs, les G.G. de la Cannon, alias Menahem Golan et Yoram Globus, est de la partie ou pas. Mais, en l’espèce, le film de Sam Firstenberg, sous la houlette du studio qui a porté au firmament un Chuck Norris taciturne et barbu, fera de sa vedette, l’imberbe Michael Dudikoff, la star des cours de récréation de CM1. Car ce qui fait à la fois la force et le handicap de ce genre de film, c’est qu’il est accessible aux gamins de dix ans (voire moins) tant le scénario ne brille pas par son machiavélisme échevelé. Loin s’en faut. La preuve en est donnée par Michael Dudikoff, un soldat mutique au passé mystérieux qui n’aura en tout et pour tout qu’une page de répliques (et ce n’est pas du Baudelaire) à parsemer au gré des (fort peu nombreux) temps morts du métrage, histoire qu’on se dise que le bonhomme n’a pas été victime d’une glossectomie. Le spectateur découvrira assez tôt, au fil de flashbacks savamment présentés (hum hum), que l’enfant prodige deviendra le protégé d’un maitre du nunjutsu qui, lui non plus, ne jacasse pas des masses.

 

Heureusement, le public s’émerveillera de la rencontre entre le héros et un pote de chambrée, Steve James, sorte de Rambo black à moustache, aussi à l’aise dans l’art du verbiage inutile que dans celui de la baston armée ou à mains nues, pour l’aider à démanteler un réseau de trafiquants d’armes mené par un français à l’accent soviétique (no pochemu ?). Celui-ci s’est attaché les services de ninjas peu scrupuleux. Ces assassins de l’ombre sont menés (coup de théâtre !) par un maitre ninja, ennemi juré du pygmalion de notre ninja ricain. Pour des gens qui ont grandi dans les 80’s, c’est le genre de film qui a pu pousser à l’excès de consommation de nanars. Car il faut reconnaitre que, si on se fiche bien du scénario, le film de ninja fauché regorge souvent de scènes d’action (pas toujours adroitement filmées, un comble) qui ne génère pas l’ennui immédiat, et qui, par bien des aspects, peut même faire franchement sourire. Ceci étant posé, cet American Ninja n’est pas le pire représentant de son espèce. En revanche, le succès de ce sympathique nanar va automatiquement déboucher sur une surexploitation du thème en donnant des suites qui s’enfonceront l’une après l’autre, non seulement dans un ridicule navrant mais aussi, et surtout, dans un ennui soporifique de la plus belle eau.

 

 

Si cet opus retient l’attention c’est aussi parce que son compositeur va bénéficier d’un budget qui lui permettra d’avoir, en plus des traditionnels synthés de l’époque, une petite formation orchestrale qui donnera un peu de volume et d’allant aux aventures de notre ninja stoïque. Michael Linn, le compositeur en question, n’a certes pas inventé la poudre à canon musical. Il se contente de faire ce qu’on lui demande. Principalement avec les sempiternels synthés de l’époque, éminemment basiques et redondants. Mais après s’être battu pour avoir deux poignées de cordes et une autre poignée de cuivres afin de rendre compte de « l’atmosphère militaire », il parvient tant bien que mal à faire résonner clairons et trompettes. Enfin, plutôt clairon et trompette. Nos comparses Golan et Globus ne sont pas adeptes de dépenser dans ce qui ne se voit pas. Alors la musique, vous pensez… Notez bien qu’il y aura quand même quelques exceptions à leur principe de comptage méticuleux de leurs sous (et une très notable derechef, en la présence d’un score aussi somptueux qu’incroyable d’Henry Mancini – et quelques plages de Michael Kamen – pour le film de Tobe Hooper Lifeforce).

 

A bien écouter attentivement la plage de 23 minutes dédiée au travail de Linn sur le CD produit en 1990 par Silva Screen, intitulé American Ninjas And Fighters, on se dit que les sessions de répétitions n’ont pas dû être pléthoriques. Au mieux, peut-être y en eut-il une. Et encore. En est témoin le final de cette suite, qui vous fera décrocher un sourire tant le trompettiste s’époumone pour sonner la gloire du héros empyjamé en frôlant la fausse note. Une fausse note digne de Gonzo dans le générique du Muppet Show ! Heureusement que le mixage musique dans le film est en dessous de tout, ce qui fait qu’on ne le remarque pas de prime abord. Ce ne sera pas le cas des inénarrables boulettes de second plan lors des scènes de baston. Toutes les plages d’action/suspens sont menées par des boucles de synthés sensées rendre tout cela haletant. En réalité, ce n’est que lorsque Linn fait appel à l’orchestre pour fusionner avec ses synthés pulsatoires que l’auditeur sort un peu de sa torpeur.

 

Ce sera là l’unique haut fait d’armes du compositeur. Michael Linn n’aura en effet pas vraiment l’occasion de travailler son style ni de marquer de son empreinte la musique de film hollywoodienne. Peut-être, en eut-il le temps, l’aurait-on vu sur quelque production d’envergure plus imposante ? Même si on peut retenir quelques sympathiques morceaux pour Allan Quatermain And The Lost City Of Gold (Allan Quatermain et la Cité de l’Or Perdu), la filmographie de Michael Linn se limitera malheureusement à une dizaine de titres obscurs pour des films de série B voire Z. Son travail de monteur musique sera un peu plus dense : il officiera notamment sur le remake de D.O.A. (Mort à l’Arrivée) d’Annabel Jankel et City Slickers 2 – The Legend Of Curly’s Gold (La Vie, l’Amour, les Vaches 2) de Paul Weiland, tout en servant parfois d’orchestrateur. Sa carrière sera interrompue à l’âge de 42 ans, après avoir combattu un cancer du poumon pendant plus de sept ans, lui qui n’avait jamais fumé une cigarette de sa vie… Ô paradoxe cruel.

 

Christophe Maniez
Les derniers articles par Christophe Maniez (tout voir)