The Hard Way (Arthur B. Rubinstein)

Tout dans les Muscles #5 : Les Deux font la Paire

Disques • Publié le 09/09/2022 par

THE HARD WAY (1991)
LA MANIÈRE FORTE
Compositeur :
Arthur B. Rubinstein
Durée : 33:40 | 14 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

3.5 out of 5 stars

 

Le buddy movie est généralement une affaire qui marche. À l’entame des années 90, les puissants d’Hollywood, aux oreilles desquels le boucan des pétarades et les vannes goguenardes de Lethal Weapon sonnaient avec toute la suave persuasion du chant des sirènes, n’en finissaient plus de mettre à la colle des héros disparates — comme ici, l’irascible James Woods sapé du cuir d’un flic de choc, et guère heureux que le sort l’ait contraint à marcher en binôme avec un Michael J. Fox roulant des yeux en vedette ahurie du grand écran. Le film ronronne paisiblement, otage d’une routine comico-policière que le réalisateur John Badham, qui usurpa un temps le titre de petit maître du cinéma d’action, n’a même pas l’air désireux de dynamiter. En somme, tout le contraire de son comparse fidèle, Arthur Rubinstein, chez qui la vive envie de s’amuser se révèle hautement communicative.

 

Non que le compositeur se soit essayé à transfigurer l’anodine matière tombée entre ses mains grâce à des expériences d’un acabit insolite. Il aurait pu, suppute-t-on, par le biais du motif alloué à la ricanante Némésis de notre dynamic duo. Mais à travers ces synthés frigorifiés, tranchant assez peu avec les ratas électroniques frustes dont les eighties firent un emploi invétéré, affleure moins un appétit pour l’avant-garde que la très prosaïque résolution d’épaissir un tant soit peu le personnage du tueur. Celui-ci en a bien besoin, les grimaces du comédien Stephen Lang l’ayant ravalé au rang de vulgaire croque-mitaine pour slasher de carnaval. N’empêche, quelques touches d’inventivité fugaces, l’étrange écho d’un simili-violon par-ci, une atmosphère foraine volontiers grotesque par-là, donnent à se lamenter que Rubinstein les ait cantonnées à l’arrière-boutique. Ce qui se taille la part du lion, c’est le feeling urbain brillamment coloré de la Grosse Pomme, héroïne d’un savoureux jeu de bascule entre rythmes latinos évocateurs d’une faune new-yorkaise pas toujours très recommandable, et fastes jazzy paraissant ruisseler de la tête farcie de fantasmes hollywoodiens de Michael J. Fox. De là à être saisi des vertiges de la mise en abîme…

 

On n’en est pas si loin, pourtant. Au cours d’une scène sise à l’intérieur d’un cinéma bondé, Rubinstein saute en permanence du coq à l’âne, comme s’il ambitionnait, à sa manière souterraine, invisible en quelque sorte, de briser le quatrième mur. Sur la toile géante, un freluquet assailli par des ninjas de pacotille s’amuse à être Indiana Jones tandis que la musique, dopée aux chausse-trappes de serial, fait claquer l’aventure de toutes ses oriflammes. Au milieu des strapontins, le tueur fou et ses poursuivants en décousent dans une débandade monstre, flanqués comme il se doit d’un orchestre faisant assaut de violente modernité. Mais, plutôt que de mettre résolument le « réel » en avant pour mieux amenuiser son antonyme aux modestes dimensions d’une source music tout juste audible, le compositeur s’enhardit à les mettre sur un pied d’égalité. Il persuade ses deux lignes mélodiques, via des orchestrations jouissant de part et d’autre d’un soin égal, de faire fi de leurs différences, il fignole ses contrepoints, gomme avec adresse les marques de suture, et parachève l’improbable fusion dans une joyeuse coda. The Hard Way tient là son point d’orgue, bien mieux que lors d’un climax haletant et spectaculaire, mais plus normatif aussi. Apparemment, les airs hitchcockiens de ce final (littéralement !) au sommet n’ont pas réussi à convaincre Arthur B. Rubinstein qu’il pouvait briguer la place, toujours vacante à l’heure où sont écrites ces lignes, de nouveau Bernard Herrmann.

 

Benjamin Josse
Les derniers articles par Benjamin Josse (tout voir)